Barbara Winton, la fille du « Schindler britannique » est morte
Barbara Winton, fille de Sir Nicolas Winton, le sauveur de centaines d’enfants juifs tchécoslovaques, est décédée en Grande-Bretagne mardi à l’âge de 68 ans des suites d’une longue maladie. Barbara Winton se rendait régulièrement en République tchèque où son livre retraçant la vie de son père a été traduit. Barbara Winton œuvrait pour transmettre l'histoire longtemps ignorée de son père tout en s’engageant pour les réfugiés d'aujourd’hui.
« Je pense que l’une des choses importantes dans la vie, c’est que les gens aient un niveau de vie décent, si possible, et qu’ils soient gentils avec les gens qui les entourent. Je suis toujours bouleversée lorsque j’entends des discours qui montent les gens les uns contre les autres, car je ne pense pas que quiconque en bénéficie au final. Ce serait bien si le langage que les gens utilisent à l’égard des autres était plus gentil. »
Ces paroles prononcées par Barbara Winton en 2018, au micro de Radio Prague Int., résument bien à la fois sa personnalité et la vocation qu’elle s’était faite de diffuser un message de bonté et d’espoir, celui que lui avait transmis son père, Sir Nicholas Winton.
C’est en 1988, grâce à une émission de la BBC, que le grand public découvre l’histoire de Nicholas Winton : dans un grand moment d’émotion comme la télévision sait le faire, ce sont soudain des dizaines d’adultes qui se lèvent comme un seul homme pour se faire connaître au vieux monsieur de 79 ans alors, comme les enfants qu’il a jadis sauvés d’une mort certaine après l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’armée nazie.
Cette histoire a bien failli rester inconnue de tous, s’il n’y avait eu Greta, la femme de Nicholas Winton, pour découvrir quelque temps auparavant dans une valise rangée au grenier de vieux documents faisant état des activités de son mari à Prague en 1938 et 1939.
Barbara Winton elle-même reconnaissait en 2018 que jusqu’à la diffusion de l’émission « That’s life » rassemblant une trentaine d’« enfants Winton », même sa famille n’avait pas vraiment saisi toute l’ampleur de ce que son père avait accompli :
« Aucun d’entre nous, même pas lui, n’a vraiment pris conscience de ce que cela impliquait jusqu’à ce que nous commencions à rencontrer les enfants eux-mêmes. C’est à ce moment-là que cela a cessé d’être une information historique pour devenir l’histoire de vraies personnes, des personnes vivantes. »
Issu d’une famille juive libérale, convertie à la religion anglicane, Nicholas Winton avait une carrière toute tracée et tranquille dans le secteur bancaire londonien. Pourtant, en 1938, il préfère abandonner le ski dans les Alpes suisses pour se rendre à Prague pour prêter main forte à un ami, volontaire dans une association pour réfugiés juifs. Anticipant les évènements, il installe un bureau dans la salle à manger de son appartement place Venceslas et travaille immédiatement à l’affrètement de convois de trains à destination de Londres, pour évacuer des enfants tchécoslovaques. En 1939, il parvient à organiser un départ en avion mais aussi celui de huit trains, huit « Kindertransport » qui quittent la gare de Prague où aujourd’hui, un monument rappelle leur souvenir. Le neuvième, préparé pour le 1er septembre 1939 avec à son bord 250 enfants, ne quittera pas le quai car la Seconde Guerre mondiale vient de commencer.
Sa fille Barbara a plus tard dédié une partie de sa vie à rappeler cette histoire, via des conférences, des rencontres dans des écoles, un livre publié à l’occasion du 105e anniversaire de son père, mais aussi un site internet consacré aux archives de son père :
« L’idée de promouvoir son histoire de la manière dont nous le faisons est de rappeler aux gens l’implication d’un individu qui a fait quelque chose d’important. C’est aussi une sorte de manuel pratique : Comment s’y prendre ? Eh bien, vous voyez un problème, vous vous assurez que vous comprenez ce qu’est le problème, vous avez le sentiment que ce qui se passe n’est vraiment pas bien - et puis vous rassemblez autour de vous un groupe de personnes qui sont d’accord avec vous et vous vous lancez. »
Cela peut paraître incroyable aujourd’hui, à l’heure de l’hyperconnexion, c’est qu’une grande partie des enfants que Nicholas Winton a sauvés ne savent toujours pas qu’ils lui doivent la vie. Selon la BBC, sur les 669 enfants sauvés des chambres à gaz grâce à lui, plus de 370 n’ont jamais été retrouvés et n’ont pas idée des circonstances dans lesquelles ils ont survécu à la guerre. C’est aussi à cet effet que le site de Barbara Winton a été créé : pour éventuellement retrouver la trace de ces dizaines d’ « enfants Winton » qui s’ignorent.
Barbara Winton ne faisait pas qu’entretenir la mémoire de son père décédé en 2015 : elle était elle-même engagée en faveur des réfugiés. Au moment de la crise migratoire il y a sept ans ou face à la politique anti-migrants de Donald Trump, elle alertait sur le devoir d’humanité nécessaire des gouvernants en rappelant à qui daignait l’entendre « l’échec de l’esprit humain » de tous les pays qui ont fermé leurs frontières aux réfugiés juifs qui avaient un besoin urgent de protection avant le début de la Deuxième Guerre mondiale : « mon père savait que nous avions tous une responsabilité envers les autres hommes et femmes, une responsabilité d’offrir un endroit sûr à ceux qui fuient les persécutions. »