Le ras-le-bol d'universités tchèques toujours sans-le-sou
« L’heure de vérité » a de nouveau sonné dans l'enseignement supérieur public tchèque. « Hodina pravdy » (L’heure de vérité) est le nom d’une initiative qui rassemble des enseignants et étudiants de diverses facultés d’une dizaine d’universités du pays. Mardi, tous ont participé à une grève pour protester contre le sous-financement du secteur.
Le sous-financement chronique est la principale raison pour laquelle la grève était organisée. La Fédération des syndicats de l’enseignement supérieur estime que le gouvernement et le ministère de l’Éducation ne se préoccupent pas suffisamment de l’évolution de la situation dans les universités, du faible niveau des salaires des enseignants et, plus généralement, de leurs mauvaises conditions de travail.
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Les manifestations, qui faisaient suite à un précédent mouvement de grève en mars dernier déjà, avaient pour but d’attirer l’attention sur le fait que le système actuel n’est pas viable et contraint souvent les professeurs et autres employés de l’enseignement supérieur à s’orienter vers d’autres secteurs d’activité, voire à abandonner le monde de l’éducation. « Les différents gouvernements n’ont pas investi comme il l’aurait fallu au cours des quinze dernières années », explique ainsi Kajetán Holeček, un des principaux organisateurs de la grève.
« En mars, nous avons principalement attiré l’attention sur la situation des facultés de sciences humaines et sociales, car c’est là que la situation est la plus critique compte tenu de la configuration de la répartition des salaires dans les universités. Mais la situation est désastreuse dans l’ensemble du secteur universitaire et nous tenons à souligner qu’il est nécessaire d’y remédier de manière globale et systémique. C’est tout l’enseignement supérieur qui a besoin de davantage de ressources pour rester compétitif. »
Dans certains endroits, comme à la faculté des lettres de l’Université Palacký d’Olomouc et dans certaines facultés de l’université Charles, les employés, avec le soutien des étudiants, sont restés en grève toute la journée.
À Prague, devant le bâtiment de la faculté des lettres, les manifestants ont brandi des banderoles sur lesquelles étaient inscrits des slogans tels que « Le travail universitaire n’est pas un passe-temps », « Finie la science au rabais », « Une poche vide, l’autre vidée », « Une science de pointe pour un salaire minimum », « Komenský (Comenius) se serait battu pour des salaires décents », « Vivre ou enseigner », « Sans les sciences humaines, nous ne pourrons plus nous comprendre » ou encore « On ne peut pas se chauffer avec de bons sentiments ». Le cortège a ensuite traversé le pont Mánes qui enjambe la rivière Vltava pour se diriger vers le siège du ministère de l’Éducation dans le quartier de Malá Strana.
Le problème du niveau des salaires concerne principalement les professeurs qui travaillent dans les domaines des arts, des lettres et des sciences sociales. Ceux-ci soulignent que si le salaire moyen des employés titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur atteignait 69 000 CZK (2 815 euros) à la fin de l’année dernière pour l’ensemble du pays, dans de nombreuses facultés de sciences humaines et sociales sont employés des professeurs assistants, soit donc des personnes généralement titulaires d’un doctorat, pour seulement un peu plus de 30 000 CZK bruts par mois (1 225 euros).
Selon les données du ministère de l’Éducation, le personnel académique, enseignants compris, qui travaillait dans les universités publiques tchèques gagnait en moyenne 62 872 CZK (2 565 euros) par mois en 2022. À titre de comparaison, selon l’Office tchèque des statistiques, le montant du salaire moyen pour l’ensemble de la population s’est élevé à quelque 40 300 CZK (1 645 euros). Selon le ministère, les rémunérations mensuelles les plus faibles étaient versées au personnel de l’Académie des beaux-arts de Prague, où le montant du salaire moyen en 2022 était de 38 500 CZK (1 570 euros).
« Des attentes irréalistes », selon le ministre
Le ministère de l’Éducation admet toutefois qu’il existe d’importants écarts de salaires tant entre les universités qu'entre les facultés des différentes écoles. Il a donc promis de préparer une nouvelle méthodologie budgétaire et appelle les universités à revoir leur copie de manière à réduire ces différences de rémunération. Dans ce contexte, quelque 800 millions de couronnes (32,6 millions d’euros) devraient être alloués aux universités pour leur permettre de s’adapter aux changements envisagés.
Cette vision des choses n’est cependant pas partagée par les universités, qui contestent l’idée selon laquelle le bas niveau des salaires serait imputable aux écoles. Celles-ci estiment que c’est l’ensemble du secteur qui est sous-financé et que le problème ne peut être résolu en retirant de l’argent aux facultés où les enseignants gagnent davantage pour le redistribuer à celles qui sont moins bien loties.
Le budget prévu pour l’enseignement supérieur pour 2024 sera identique à celui de 2023, comme s’en est félicité le ministre Mikuláš Bek – lui-même ancien professeur d’université -, soit un peu moins de 31 milliards de CZK (1,25 milliard d’euros), tandis que le budget pour l’ensemble du secteur de l’éducation devrait s’élever à 269 milliards de CZK (près de 11 milliards d’euros).
Selon les responsables de « L’heure de vérité », le maintien au même niveau du budget consacré aux universités confirme donc leur sous-financement sur le long terme, et ce d'autant plus compte tenu de la forte inflation de ces dernières années en Tchéquie et de la baisse des salaires réels. Les universités estiment qu’elles auraient besoin d’environ 11 milliards de CZK supplémentaires (près de 450 millions d’euros).
Dans l'immédiat, les syndicats réclament pour 2024 un budget supérieur de trois à quatre milliards de CZK (de 122 à 163 millions d’euros) à celui de cette année et, pour le plus long terme, un plan garantissant une augmentation régulière du financement de l'enseignement supérieur pour atteindre les niveaux moyens des pays membres de l’OCDE. « Des attentes irréalistes », selon le ministre.
Si les revendications ne sont pas satisfaites, ce qui est le scénario le plus probable, les professeurs et personnels universitaires mécontents envisagent d’organiser de nouvelles manifestations. Une action de protestation pourrait ainsi se tenir le vendredi 17 novembre, date symbolique en Tchéquie (première manifestation des étudiants qui a conduit à la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie en 1989 et depuis jour de fête nationale), de même que d’autres mouvements de grève, qui pourraient comprendre l’annulation des cours et la non-tenue des examens d’État.