L’accord de Pittsburgh, une étape vers la fondation de l’Etat tchécoslovaque

L'accord de Pittsburgh

Cette année 2018 est marquée en Tchéquie et en Slovaquie par toute une série de célébrations à l’occasion du centenaire de la fondation de leur Etat commun, la Tchécoslovaquie. Une des étapes importantes vers la création de ce nouvel Etat indépendant, c’est la signature de l’accord de Pittsburgh, le 30 mai 1918, un texte qui consacrait la volonté des deux peuples de s’unir au sein d’une même entité étatique.

L'accord de Pittsburgh
Organisée dans le cadre des festivités du centenaire, l’exposition Tchéco-slovaque/Slovaco-tchèque a été ouverte au public le 27 avril dernier au château de Bratislava. Elle y sera visible jusqu’au début du mois de septembre avant de rejoindre Prague, où elle sera officiellement inaugurée le 28 octobre, le jour de la fête nationale anniversaire de l’indépendance de la République tchécoslovaque. L’exposition présente un grand nombre de documents originaux marquants pour l’histoire des deux peuples et au nombre desquels figure le fameux accord de Pittsburgh.

Le rôle de la communauté tchéco-slovaque aux Etats-Unis

Ce texte rappelle que, pendant la Première Guerre mondiale, une partie du sort des Tchèques et des Slovaques, et d’une certaine façon de l’Empire austro-hongrois dont ils faisaient alors partie, s’est joué de l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis. Au début du conflit, il s’y trouverait alors plus d’un millions d’émigrés tchèques et slovaques, une communauté active et organisée, comme le notait pour la Télévision tchèque l’historien František Hanzlík :

« Nos compatriotes ont provoqué les choses, car, quand débute la guerre, naît le Comité d’aide tchéco-slave Českoslovanský pomocný výbor), dont le but est de rassembler des fonds et d’assurer une aide pour les Tchèques et les Slovaques dans le besoin aussi bien en Autriche-Hongrie que pour ceux en captivité. Dans le même temps, est également fondé le Comité tchéco-américain pour l’indépendance et l’aide à la nation tchèque, dont les objectifs n’étaient d’abord pas l’indépendance. On ne parlait pas encore d’un Etat indépendant mais il s’agissait plutôt d’acquérir de l’autonomie, et au minimum au sein de l’Autriche-Hongrie. »

Au début du conflit mondial, personne ou presque n’imagine le démantèlement possible de l’Empire austro-hongrois, engagé contre les puissances de la Triple-Entente aux côtés de l’Allemagne et de l’Empire ottoman. Depuis le XIXe siècle, les militants du nationalisme tchèque fondent davantage leurs espoirs sur une autonomie renforcée voire sur la fédéralisation de l’Autriche-Hongrie.

František Hanzlík,  photo: Archives de Radio Prague
Alors que dès 1914, des volontaires tchèques quittent l’armée austro-hongroise pour s’engager du côté de l’ennemi, en nombre encore certes limité, l’idée d’une union des Tchèques et des Slovaques, et pourquoi pas d’un Etat indépendant, fait son bonhomme de chemin aux Etats-Unis. František Hanzlík :

« A Chicago et à New-York, nos compatriotes ont joué un rôle-clef et, il a alors été question d’un Etat indépendant pour les nations tchèque et slovaque, tandis que Tomáš Garrigue Masaryk était reconnu sans conteste comme la personnalité à la tête de cette résistance à l’étranger. A Chicago, il y a eu d’énormes manifestations rassemblant plusieurs milliers de personnes en soutien à la nation tchèque. A sa manière, la Ligue slovaque a également soutenu l’activité de ces émigrés. Et à l’automne 1915, a été signé l’accord de Cleveland où les organisations d’émigrés les plus significatives, l’Association nationale tchèque et la Ligue slovaque, s’entendent pour agir en commun en faveur d’un Etat indépendant. Il y a encore une organisation qui joue un rôle important, l’Association nationale des catholiques tchèques. Au cours de l’année 1917, toutes ces organisations se sont rassemblées sous la direction du Conseil national tchécoslovaque. »

Une union naturelle ?

Source: public domain
Très proches de par la langue et la culture, les Tchèques et les Slovaques ne semblaient pourtant pas forcément destinés à se rassembler. Les premiers ont longtemps disposé de leur propre Etat et leur territoire est déjà relativement industrialisé. Les seconds, dont le pays est plus rural, ont presque toujours été dominés politiquement par les Hongrois voisins.

D’après l’historien Antoine Marès, un tournant s’opère entre la fin de l’année 1917 et le début de l’année suivante, à l’époque où sont organisées les légions tchécoslovaques, quand la perspective de la disparition de l’Autriche-Hongrie devient de plus en plus réaliste. Il expliquait sur nos ondes :

« Je dirais qu'il y avait un intérêt géostratégique partagé à l'union entre les Tchèques et les Slovaques. Les Slovaques étaient très isolés. Quelles étaient les possibilités théoriques qui s'offraient à eux ? Soit ils restaient dans le cadre de la Hongrie, soit, et c'est une idée apparue chez certains communistes, la Slovaquie devenait une République soviétique. Cela est encore possible au début de l'année 1919 jusqu’au reflux de la vague communiste en Europe centrale à partir de l'été 1919. L'autre hypothèse qui a été par la suite développée chez certains Slovaques, c'est celle d'une union avec les Polonais. Mais de toute évidence, le passé récent, les liens tissés avec Prague, faisaient que la réunion entre Tchèques et Slovaques était la plus naturelle à cette époque. »

Entre fédération et Etat unitaire

Tomáš Garrigue Masaryk à Pittsburgh
Le 30 mai 1918, le Conseil national tchécoslovaque se réunit sous la présidence de Tomáš Garrigue Masaryk à Pittsburgh en Pennsylvanie. Les représentants tchèques et slovaques y entérinent la réunion de leurs peuples à travers un accord en six points. Le premier reconnaît l’objectif politique de parvenir à la constitution d’un Etat commun des Tchèques et des Slovaques. Il y est dit aussi que cet Etat sera démocratique et prendra la forme d’une république, décision importante car jusqu’alors, certains étaient partisans d’une monarchie constitutionnelle sur le modèle britannique. Avec cet accord, c’est le modèle états-unien qui semble l’emporter.

Par ailleurs, deux articles garantissent une grande autonomie à l’entité slovaque, qui devra disposer de sa propre administration et de son propre parlement, et dont la langue sera celle de l’enseignement et des autorités. Journaliste en pays tchèques durant la Première guerre mondiale, partisan du rapprochement tchéco-slovaque, le journaliste Anton Štefánek, devenu parlementaire tchécoslovaque dans l’entre-deux-guerres, revenait en 1938 à la Radio tchécoslovaque sur les attentes de ses compatriotes slovaques vingt ans plus tôt :

« Les Slovaques américains s’imaginaient initialement l’organisation politique de la Tchécoslovaquie libre selon le modèle américain des Etats-Unis de l’Amérique du Nord. Les Tchèques, les Moraves et les Silésiens devaient être unis aux Slovaques de façon fédérative et autonome. »

L’idée de fédéralisation, claire lors de l’accord de Cleveland, s’éloigne pourtant avec celui de Pittsburgh, où se dessinent les traits d’un Etat unitaire, bien que garantissant une grande autonomie à sa partie slovaque. C’est cette seconde option qui va l’emporter, et dans une forme encore plus décevante pour les Slovaques désireux de disposer d’une forme d’autonomie. Quelques mois plus tard, c’est encore sur le sol américain, avec la déclaration de Washington, signée le 18 octobre 1918 par Tomáš Garrigue Masaryk, Milan Rastislav Štefánik et Edvard Beneš, qu’est proclamée l’indépendance de la nation tchécoslovaque.