35 depuis l'écrasement du « Printemps de Prague » dans la presse tchèque

La presse tchèque, le 21 août 1968

La presse tchèque, elle aussi, rappelle largement l'écrasement du fameux « Printemps de Prague », il y a 35 ans. Alena Gebertova en a choisi pour vous quelques extraits.

Connaîtra-t-on un jour le nombre exact des victimes qu'a fait l'invasion soviétique en Tchécoslovaquie, en août 1968 ? Le journal Lidove noviny de ce jeudi donne une réponse en se référant aux dernières données du Bureau de documentation et d'enquête sur les crimes du communisme. Le bilan est lourd : une centaine de morts, trois centaines de blessés graves, plus de quatre cents blessés légers.

La majorité des victimes aurait été tuée d'une balle. Une balle tirée intentionnellement sur les personnes manifestant leur mécontenement, ou bien une balle perdue. Selon l'historien Ondrej Felcman, souvent, les soldats tiraient sur les citoyens tchécoslovaques sans motif quelconque. Il y a aussi des Tchèques qui ont trouvé la mort sous les blindés des armées d'occupation.

Le premier compte-rendu sur le nombre des victimes, très approximatif d'ailleurs, a été soumis au gouvernement d'alors, déjà, le 9 septembre 1968. Il va de soi que, à l'époque, les autorités tchécoslovaques n'ont pas osé réclamer l'ouverture d'enquêtes et, encore moins, la punition des coupables.

Pavel Tomek n'avait que douze ans lorsqu'il a été grièvement blessé dans la tête, par un blindé, en traversant une rue de la ville de Pisek, en Bohême du sud. Dans le rapport de la police d'alors, nous pouvons lire : « C'est Pavel Tomek qui est responsable de la collision avec le blindé. Il n'a pas fait suffisamment attention à la ciruclation dans la rue ». Trente-cinq ans après, l'homme souffre toujours de graves problèmes de santé. Au début des années 90, il a obtenu une indemnisation : 65 000 couronnes, l'équivalent de quelques 2 000 euro.

Marta Kubisova, a été une grande vedette de la chanson tchèque au début des années soixante. Avec sa chanson Prière pour Marthe, écrite à cette époque-là, elle est perçue comme l'un des symboles du Printemps de Prague. On la disait liée d'amitié avec Alexander Dubcek. Sur les pages du journal MfD, elle avoue : « Je ne connaissais pas son programme politique. Mais il avait un visage bon et digne de confiance. Mon intuition me disait qu'il fallait le croire ».

Marta Kubisova est l'un des rares artistes qui aient refusé de s'incliner devant les impératifs de la normalisation qui a suivi dans le pays, lors des années soixante-dix. Le pouvoir communiste a misé sur le vif : au sommet de la gloire, Marta Kubisova s'est vue interdire toute présentation en public. L'interdiction a duré une vingtaine d'années. Point étonnant que, invitée sur les podiums des manifestations accompagnant la « Révolution de velours » de 1989, elle ait chanté, tout comme en août 1968, la plus célèbre chanson de sa carrière:... « que la paix règne dans cette contrée, que la méchanceté, la jalousie et l'animosité, la peur et la haine s'estompent. Le moment est venu où le peuple recommence à gérer les affaires qui sont les siennes ... «

« A côté des périodes célèbres du passé - telle fut pour les Tchèques, par exemple, la Première république - ce sont aussi les défaites fatales et traumatisantes qui jouent un grand rôle dans la mythologie nationale », écrit dans LN le psychologue Jeronym Klimes. Au XIXe, un tel rôle incombait à la bataille de la Montagne blanche, au XX, c'était le tour de la « trahison de Munich » en 1938 et de l'invasion soviétique, trente ans plus tard.

« En août 1968, les chars soviétiques ont empeché le renouvellement de la démocratie, rêvée par une grande partie de la société », écrit-il dans un article titré « Le traumatisme de l'an 1968 nous a profité ». Et de continuer : « d'un autre côté, cette perte traumatisante a entraîné, probablement, une plus profonde identification aux principes démocratiques, identification qu'une certaine démocratisation, qui aurait pu être éventuellement atteinte en 1968, n'aurait pas apportée. « Le printemps de Prague » a provoqué au sein de la société des espoirs tout à fait irréels ».

Jan Nemec,  photo: CTK
« C'était une violation, un crime, un assassinat. Un crime impuni et sans pardon contre la liberté, la civilisation et la Tchécoslovaquie ». Le réalisateur de cinéma Jan Nemec, l'une des grandes figures de la « nouvelle vague de cinéma tchécoslovaque » des années soixante ne mâche pas ses mots, toujours sur les pages du quotidien LN.

« Les coupables auraient dû être traduits en justice devant un tribunal international, comme cela s'est passé dans le cas de l'ex-Yougoslavie. Je suis choqué de voir que l'un des acteurs de l'invasion, l'ancien ambassadeur en Tchécoslovaquie, Tchervonenko, vient dêtre enterré en Russie avec les plus hautes distinctions, accordées par l'actuelle direction de ce pays. Je trouve ça absurde. »

C'est grâce à Jan Nemec que le monde a pu connaître les images des premières heures de l'occupation de la Tchécoslovaquie par l'armée soviétique et ses satelites. Dès le matin du 21 août, il tournait avec une équipe modeste, devant le bâtiment de la radio d'abord, puis, dans la rue : les chars, les voitures embrasés, les soldats russes, le courage des Pragois. Le lendemain, le film a pu être acheminé en Autriche pour être diffusé le même jour par les différentes stations de télévision internationales.

Les événements d'août 1968 ont-il changé la vie de Jan Nemec ?

« C'était un tournant clé dans ma vie et dans ma carrière professionnelle. Marginalisation, humiliation, émigration forcée... Mais je ne suis pas le seul à avoir vécu tout cela, il y a des milliers, des centaines de milliers de gens comme moi... En ce qui concerne le cinéma, je rappellerai qu'en 1968, le cinéma tchécoslovaque avait trois films dans la compétition du Festival international du Film de Cannes, singés Forman, Menzel et Nemec. Un chose qui n'a pas et qui n'aura pas de précédent. Or, l'occupation d'août a mis entre autres un terme au film tchèque », dit le réalisateur Jan Nemec qui, dans les années 90, a retourné au pays.