Anne-Marionnette : du castelet de son grand-père tchèque au métier de marionnettiste au Québec

Anne-Marie Cardin

Petite-fille de grands-parents tchèques, la Québécoise Anne-Marie Cardin rend hommage à ses origines en pratiquant un art séculaire en Tchéquie : l’art de la marionnette. Anne-Marionnette, de son nom d’artiste, nous raconte en quoi son métier-passion lui permet de renouer avec ses origines tchèques et de les promouvoir au Québec.

Anne-Marie Cardin | Photo: Josée Dutil,  Archives de Anne-Marie Cardin

Anne-Marie Cardin : « Ma mère est d’origine tchèque, sa famille a immigré en 1949. Mon grand-père était passionné de marionnettes, il partait au Québec avec sa valise mais aussi avec son castelet et sa collection de marionnettes. Ils ont installé le tout dans le sous-sol de ma grand-mère et j’y ai joué pendant de longues heures quand j’étais jeune. C’est de là qu’est née ma passion. »

Vous n’avez pas toujours été marionnettiste, à quel moment et pour quelles raisons avez-vous décidé de faire de cet art votre métier ?

« C’est venu comme ça, c’est comme si je ne l’avais pas vraiment décidé. J’avais commencé à collectionner des marionnettes et à trente ans une amie m’a proposé de faire un spectacle de marionnettes dans un festival à Sainte-Foy, un quartier à Québec. J’ai accepté de faire ce spectacle, devant une grande foule d’une centaine de personnes, et ça a été une illumination pour moi. A la fin tout le monde est venu me voir et tout cet amour que j’ai reçu m’a convaincu de continuer. J’ai écrit un autre spectacle pour Halloween, puis pour Noel et ainsi de suite, jusqu’à ce que les gens commencent à me payer. Finalement j’ai décidé de quitter mon emploi en 2014, un an après mon premier spectacle. »

Photo: Archives de Anne-Marie Cardin

Pouvez-vous nous parler de la dimension éducative que peuvent prendre vos spectacles et vos ateliers ?

« J’ai étudié les Sciences de l’environnement parce que c’est une cause qui m’importe beaucoup. Dans mes histoires mais aussi dans mes créations de marionnettes, je reste sensible à l’environnement. Pour fabriquer mes marionnettes j’utilise beaucoup d’objets récupérés, comme des rouleaux de papiers toilettes, des bouchons de lièges, des cintres, j’utilise aussi beaucoup le papier mâché. Je n’aime pas utiliser des produits nocifs pour nous et pour l’environnement. Je sais que cela touche beaucoup les enfants de ne pas utiliser de matériaux nocifs. Pour ce qui est de mes histoires, j’ai une approche de sensibilisation, sans pour autant être didactique ou moralisatrice, c’est important pour moi de rester dans l’humour. Cette formation en Sciences m’a vraiment marquée c’est sûr, et je crois aussi que la sciences et l’art ont quand même un lien très fort, les deux s’inspirent de la nature. »

Kašpárek ou Vodník font parti de mes souvenirs et de mes inspirations

On dit de vos spectacles qu’ils sont un parfait mélange du folklore tchèque et québécois, est-ce une volonté de rendre hommage à vos origines, ou est-ce qu’il s’agit d’une inspiration plus spontanée ?

Photo: Archives de Anne-Marie Cardin

« Je dirais que c’est un peu des deux. Moi j’ai grandi au Québec, mais les personnages tchèques comme Kašpárek ou Vodník font parti de mes souvenirs et de mes inspirations. Quand j’étais petite et que mon oncle ou ma tante me faisaient des spectacles, il y avait toujours Kašpárek, il y avait toujours Vodník, donc aujourd’hui pour moi c’est inévitable de les utiliser dans mes spectacles. J’aime aussi rappeler que les marionnettes ont été inventées dans des contextes éducatifs et Vodník en est un bon exemple. Vodník a été créé pour empêcher les enfants de se noyer en République tchèque, à une époque où ils ont créé beaucoup d’étangs dans les villages et pour les en éloigner ils ont inventé ce personnage qui vit dans un royaume sous-marin. Je suis aussi consciente que je n’ai pas accès à toute cette culture tchèque, donc ça me fait plaisir d’en faire un art, de l’honorer. »

Avez-vous envisagé de vous produire en Tchéquie ?

Photo: Archives de Anne-Marie Cardin

« C’est un rêve. J’y suis allée déjà deux fois et j’ai rencontré des compagnies de marionnettes : BOĎI Jaroměř, le théâtre de Hlinsko et le théâtre de Říše Loutek. Ces trois compagnies m’ont accueillies à bras ouverts, ils m’ont invité derrière les castelets, ils m’ont fait essayer des marionnettes. Ça m’a vraiment touché de pouvoir être parmi eux, baignée dans mes origines, qui sont mes sources d’inspiration. En partant je me suis dit que je retournerais les voir et qu’on pourrait faire quelque chose ensemble ou que je reviendrais avec mon castelet et mes marionnettes pour proposer un spectacle dans les quartiers en Tchéquie. Jouer en tchèque ce serait un beau défi et une bonne manière pour moi de me remettre à la langue tchèque. Ce qui m’a touché quand je suis allée en Tchéquie, c’est de voir que les marionnettes sont maintenant plus pour les touristes et que les enfants ne baignent pas de cette culture de la marionnette tchèque. Pour moi venir leur apporter un spectacle ce serait aussi une manière de les faire reconnecter avec cette culture. »

Mélanger les cultures tchèque et québécoise

Vous tenez aussi des ateliers de fabrications de marionnettes, d’initiation aux marionnettes traditionnelles, est-ce une manière en quelque sorte de transmettre à votre tour ce que vous ont transmis vos grands-parents d’origine tchèque ?

« Absolument. J’ai envie que les enfants soient fascinés comme je l’ai été par ce monde imaginaire. De nos jours beaucoup d’enfants vivent de l’anxiété alors si on peut les toucher et les émerveiller avec un personnage pour moi c’est la preuve qu’il y a encore de l’espoir. Donc mes spectacles, mes ateliers d’initiation, de fabrication, ce sont toutes des façons de les amener dans mon monde imaginaire de marionnette. Au Québec les marionnettes ne sont pas populaires, on n’a pas grandi avec la culture des marionnettes, surtout les marionnettes à fils. Donc c’est important pour moi de promouvoir cette culture au Québec. »

Pourriez-vous décrire l’une de vos marionnettes ?

Photo: Archives de Anne-Marie Cardin

« Ici j’ai une petite souris, que j’ai fabriqué en papier mâché. Elle est suspendue par un fil de métal, on appelle cela une marionnette à tringle. Les pattes sont raccrochées par des œillets de métal, donc grâce à une seule petite impulsion la marionnette va frétiller, un peu comme une vraie souris qui est rapide. Ses moustaches sont faites en poils de pinceau, sa queue est faite avec un chargeur de téléphone et la tringle est un cintre. J’ai d’autres petits personnages, pour lesquelles je me suis inspirée de la technique tchèque. Comme Krampus par exemple, le diable qui punit les enfants qui n’ont pas été gentils pendant l’année à Noel. Je sais que le ‘Père Noel’ disons de la culture tchèque est Ježíšek et j’ai d’ailleurs fait une histoire sur la culture tchèque avec Ježíšek. A la fin de cette histoire on mange du poisson, car en Tchéquie le met traditionnel pour Noël est la carpe. J’aime bien faire un petit clin d’œil à la culture tchèque car c’est quelque chose qui m’accompagne et j’aime mélanger les deux cultures (tchèque et québécoise), je trouve cela amusant. »

« Si jamais il y a des marionnettistes en Tchéquie qui aimeraient me rencontrer ou me parler ils peuvent me contacter, ça me ferait vraiment plaisir. »

annemarionnette.com

Auteur: Rachel Giraudeau
lancer la lecture