Hommage à Lenka Reinerová (1è partie)

Lenka Reinerová, photo: Miro Švolík

Ce vendredi ont eu lieu les obsèques de Lenka Reinerová, la dernière écrivaine pragoise de langue allemande, décédée à l’âge de 92 ans, au terme d’une vie qui ne l’a jamais épargnée.

Née dans une famille juive à Prague en 1916, elle a personnellement souffert des pires maux du siècle dernier. Sa famille a été exterminée par les nazis, elle a réussir à fuir vers la France, où elle a été enfermée dans des prisons et des camps avant de réussir à prendre un bateau pour le Mexique. Après guerre, de retour à Prague, c’est le régime communiste qui va décider de l’enfermer à nouveau. Sa vie est un roman, ses livres tous un peu autobiographiques. L’année dernière, nous avions rencontré Lenka Reinerová, chez elle, toujours étonnante de vitalité et d’énergie. Elle nous a d’abord parlé, en français, d’un des projets qui lui tenait le plus à coeur, celui de la maison de la littérature allemande à Prague.

« Les gens sont étonnés, parce que je suis juive, j’ai perdu toute ma famille dans l’Holocauste, je suis née à Prague. Comment se fait-il qu’elle écrive en allemand ?, se demandent-ils. Ma langue maternelle, au sens propre du terme, est l’allemand. Ma mère est née dans une ville qui s’appelle en tchèque Žatec, en allemand Saaz, et c’était une ville ou environ 90% des gens parlaient allemand. Ma mère parlait aussi le tchèque, pas parfaitement mais elle le parlait. Avec mon père, qui était de Prague, c’était le contraire : il parlait tchèque et pratiquait un allemand pas tout à fait correct. Vous savez comme la mère est la plus importante dans la famille. Mes deux soeurs et moi parlions surtout allemand, à Prague, dans cette jeune République tchécoslovaque. »

« Puis est venue la guerre et tous ses malheurs. J’ai perdu toute ma famille. J’avais commencé aussi à travailler très jeune, à 19 ans, comme journaliste pour une revue allemande qui avait émigré de l’Allemagne nazie pour s’installer à Prague. Donc cette langue est pour ainsi dire devenue mon moyen, mon instrument. Après la guerre, j’ai continué. Je pense que ce n’est pas important dans quelle langue vous parlez ou vous écrivez, l’important c’est le contenu de ce que vous dîtes ou écrivez... L’allemand est une langue comme les autres : elle a ses beautés et sa valeurs. »

« Comme c’est drôle dans la vie... Pendant pas mal d’années on disait : ‘quand même c’est étrange, elle a perdu toute sa famille et continue d’écrire en allemand’. Mais après la dernière ‘révolution’, comme on dit chez nous, tout d’un coup le fait que je continue d’écrire en allemand est devenu une chose très positive. »

« Je pense que le charme de la Prague que j’aime beaucoup est qu’il ya ici plusieurs cultures qui sont chez elles ici. On parle souvent d’un ‘Cercle de Prague en langue allemande’. Le plus connu de ce Cercle de Prague est naturellement Franz Kafka. Il est devenu très moderne. Il n’est pas le seul, il y a un assez grand nombre d’écrivains de Prague ou de Bohême qui ont écrit toute leur vie en allemand et qui ont une grande valeur. Les plus connus, à part Kafka, sont Werfel, Kisch, Rilke, etc. »

Lenka Reinerová et Václav Havel,  photo: CTK
« Pendant la période du Printemps de Prague, en 1968, un groupe d’intellectuels a eu l’idée de construire à Prague un musée des auteurs qui écrivaient en langue allemande, pas seulement Kafka. Mais vous savez comment le Printemps de Prague a fini... donc on n’a pas pu réaliser cette idée. Quand Havel est devenu président de la République, en 1989, et que les circonstances ont changé, je me suis rappelé de ce projet que nous avions. Mais tout d’un coup j’ai constaté que j’étais la seule de ce groupe à être encore en vie. Alors je me suis dit qu’il fallait que j’essaie de le faire, et à mon grand plaisir, cette maison de la littérature allemande de Prague et de Bohême existe. Ça m’a coûté quelques années à vrai dire... »

« Dans les discussions que j’ai eues, nous avons finalement décidé de ne pas faire un musée, car un musée est tourné vers le passé. Nous avons trouvé qu’à Prague il n’existait pas de maison pour la littérature, donc nous avons choisi ce titre. »

C’est la fin du premier extrait de l’entretien réalisé l’année dernière avec Lenka Reinerová. Mardi prochain, il sera notamment question de son exil en France, une année en tout, dont la moitié passée dans des prisons et des camps.