La renversante Bintou de la singulière Compagnie roubaisienne l'Oiseau-Mouche émeut le public du Festival des théâtres de Hradec Kralové
Ouvert samedi dernier, le IXe Festival des Théâtres des régions d'Europe de Hradec Králové, en Bohême de l'est, se poursuit jusqu'au lundi 30 juin prochain. La France ne manque pas au rendez-vous. Ce lundi soir, c'est la Comapgnie l'Oiseau-Mouche de Roubaix qui était à l'honneur, avec la pièce "Bintou" de l'écrivain d'origine ivoirienne Koffi Kwahule.
La France est très présente tout au long de ces dix jours avec pas moins de trois troupes différentes, mais aussi, plus généralement, la francophonie, avec l'Ensemble belge Leporello. Dimanche et lundi, ces Flamands, qui jouaient pour l'occasion en français, ont d'ailleurs fait un tabac auprès du public tchèque avec leur adaption décapante et contemporaine du «Tartuffe » de Molière. Mais l'un des moments très attendus du Festival était la prestation, ce lundi soir, de la Compagnie l'Oiseau-Mouche de Roubaix dont la singularité est de travailler avec des acteurs présentant un handicap mental. Sur les planches du théâtre Klicpera, scène dont la réputation n'est plus à faire en République tchèque, les comédiens du Nord de la France ont répondu, comme à leur habitude, avec un ton juste, à l'attente et à la curiosité d'une assistance quelque peu fébrile avant le lever de rideau. Leur mise en action de « Bintou », texte noir de l'écrivain d'origine ivoirienne Koffi Kwahule qui s'attaque au mal de vivre d'une jeune adolescente rebelle en conflit perpétuel avec le monde violent et dur qui l'entoure, ne pouvait de toute façon pas laisser indifférent. A l'image de Valérie Smigielski (sur la photo) qui interprète le rôle principal de la pièce : le rôle de Bintou. Et comme l'héroîne tout au long du spectacle, à l'issue de celui-ci, Valérie a poussé un vrai cri du coeur. Elle nous raconte sa vie d'actrice professionnelle :
« Je suis devenue actrice parce que j'ai eu la chance de découvrir l'Oiseau-Mouche, un endroit où l'on travaille. C'est un Centre d'Aide par le Travail qui sort de l'ordinaire, car on y fait du théâtre. J'y suis arrivée n 1988. J'avais 17 ans et je ne rêvais que d'une seule chose : faire du théâtre. En trois mois, j'ai convaincu une équipe de faire du théâtre. J'ai eu la chance de rencontrer un metteur en scène qui venait de Paris et qui faisait un travail sur Samuel Beckett. J'ai fait un stage d'une semaine, puis je suis revenue pour faire six mois d'essai. Il y avait là un metteur en scène qui s'appelait Stéphane Verrue, et qui a monté « Pour finir encore ...» de Beckett, trois petites pièces. Et là, en trois mois, j'ai eu la chance de pouvoir rentrer dans la Compagnie. Ca a été très vite, c'était mon envie de faire du théâtre. Je crois que c'est le plus beau métier au monde parce qu'on donne beaucoup de bonheur aux gens, on partage beaucoup avec les autres, et pour moi, c'est ce qui compte. »
-Comment as-tu partagé ce soir avec le public de Hradec Kralové, avec le public tchèque ?
« C'est génial. Ils ne nous connaissent pas, ne parlent pas notre langue (la pièce était sous-titrée), je suppose que certains apprennent le français, mais c'est beaucoup de plaisir de leur donner ce spectacle ensemble, beaucoup de plaisir aussi que ça leur ai plu, parce que c'est un message difficile à faire passer, dur. Ce n'est pas rien, c'est quand même quelque chose qui parle de la femme et de tout ce que cela signifie, de la difficulté à accepter l'autre, ses différences, comment il vit ; d'une famille, comment elle devient, parce qu'elle a du mal à accepter tout ça. Encore une fois, moi, j'ai beaucoup de plaisir à leur donner ça. En même temps, j'espère qua la pièce les aide à se poser des questions, comme moi je me pose des questions : comment faire passer le message, de quelle manière ? Ce n'est évident pour personne, ni pour eux, ni pour moi, mais je pense qu'on est ensemble pour y arriver. »
-A l'avenir, quels seront tes objectifs ? Pas forcément dans la Compagnie l'Oiseau-Mouche, mais peut-être autre part ?
« Moi, mon objectif, c'est de quitter la Compagnie, ensuite j'arrête. Je ne regrette pas tout ce que j'ai pu donner à la Compagnie, je l'ai toujours fait avec plaisir. Eux m'ont donné une ouverture, toute une panoplie, que, moi aussi, je crois, je leur ai apportée. Je ne suis pas sûre de ce que je dis, parce qu'on dit tellement de choses (Valérie est très émue)... (Elle se reprend) Ce dont je suis sûre, c'est que la Compagnie m'a apporté ce qu'il y a de plus beau au monde, pour devenir ce que je suis aujourd'hui. Je remercie fortement l'Oiseau-Mouche. Je ne crois pas que mon travail soit à la hauteur pour leur rendre tout ce dont je leur suis redevable, mais j'essaie. Le plus cadeau au monde que l'Oiseau-Mouche pouvait me faire, il me l'a fait : c'est de pouvoir exister, donner, de pouvoir m'exprimer comme je suis (elle est au bord des larmes). L'Oiseau-Mouche m'a donné cette chance et je l'en remercie. »
C'est nous, spectateurs, qui te remercions, Valérie !
Retrouvez des informations régulières sur le IXe Festival des Théâtres des régions d'Europe de Hradec Kralové tout au long de la semaine dans notre programme quotidien d'actualité « Faits et événements », ainsi que, dimanche prochain, dans le « Magazine culturel ». A cette occasion, nous reviendrons sur la Compagnie l'Oiseau-Mouche de Roubaix et sa pièce « Bintou », mais aussi sur le sympathique Ensemble belge Leporello, avec de nombreux entretiens.