Mariana Otero : « Un tabou s'est levé avec mon film »
L'Institut français de Prague propose, cette année, un cycle de films soutenus par l'Agence pour le cinéma indépendant et sa diffusion (l'ACID), ainsi qu'une série de rencontres avec leurs réalisateurs. Le cycle a été ouvert ce mardi, par la projection du documentaire de Mariana Otero, « Histoire d'un secret », sorti en France en 2003. Ce secret concerne la disparition, en 1968, de la mère de Mariana Otero, le peintre Clotilde Vautier. A ce moment-là, Mariana a cinq ans. Mais n'est que vingt-cinq ans plus tard, qu'elle et sa soeur apprennent la vraie raison du décès de leur mère qui est un avortement clandestin.
Dans l'intimité de sa famille, Mariana Otero tourne alors son film, à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, sur cette révélation. Un film reconstituant, sans pathétisme, l'univers de sa mère artiste, un film qui a, aussi et surtout, levé le voile sur les avortements clandestins, responsables, aujourd'hui encore, d'environ 300 000 décès par an dans le monde... Mariana Otero :
« Pour moi, c'était un film qui avait à voir avec ma famille, mais en même temps, et c'est ce m'a poussé à le faire, je savais que ce n'était pas que mon histoire. C'est l'histoire des femmes depuis des siècles, et encore maintenant, dans beaucoup de pays... Je voulais révéler la difficulté de vivre une telle expérience quand l'avortement est absolument interdit et les drames que ça peut provoquer. Donc pour moi, il y avait à la fois une dimension intime, mais aussi politique, très forte, qui a fait que j'ai transformé cette histoire de famille en une histoire plus universelle. »
Quelles étaient les réactions du public ? Est-ce qu'il y avait des gens qui vous ont contacté, pour vous dire qu'ils avaient vécu la même chose ?
« Oui, il y a eu des histoires comme ça. Je me souviens par exemple d'une femme, c'était une Nantaise, qui n'habitait donc pas loin de Rennes, qui a compris, en voyant le film, que sa mère était décédée d'un avortement clandestin, alors qu'on lui avait dit que c'était un cancer. Dans le film, il y a plein de petits indices qui lui ont fait comprendre qu'il s'agissait de l'histoire de sa mère. Cette révélation a été très importante pour elle, car tout d'un coup, elle a eu, comme moi, accès à la vie de sa mère. J'ai compris que quand on cache les raisons d'un décès, on cache aussi la vie. On retrouve, en quelque sorte, la mémoire quand on fait la lumière sur les circonstances du décès. Il y a beaucoup d'autres femmes qui m'ont écrit ou qui m'ont raconté leur expérience lors des débats... Même des femmes qui ont avorté clandestinement à cette époque-là et qui n'en avaient jamais parlé à leurs enfants. Souvent, ces femmes sont revenues voir le film avec leurs filles. Je pense qu'il y a un tabou qui s'est levé avec ce film. »
Je vous le disais, « Histoire d'un secret » est un film soutenu par l'Agence pour le cinéma indépendant et sa diffusion. Pascal Deux fait partie des réalisateurs qu'elle regroupe et qui, tel est le principe du fonctionnement de l'agence, promeuvent en France et dans le monde les films de leurs collègues. Il a eu un coup de coeur immédiat pour le documentaire de Mariana Otero :
« Je dois dire que l'enthousiasme autour du film a été général dans notre groupe. Sur le plan personnel, ce qui m'a plu, c'est que les frontières entre documentaire et fiction n'étaient plus du tout définies comme elles pouvaient l'être il y a encore quelques années. A cette occasion, j'ai pris conscience de tout un pan du cinéma français qui est extrêmement original. Moi même, j'ai tourné un documentaire, mais je n'étais pas au courant de cette liberté qui pouvait exister parmi ces cinéastes. J'ai apprécié l'aspect presque romanesque de ce film. Et aussi, d'autre part, le fait qu'un film qui travaille énormément sur l'émotion et sur l'intime part de quelque chose de presque minuscule, donc de la douleur de deux jeunes femmes, de deux petites filles en fait, dans lesquelles on essaie de se replonger. Et il en arrive à un questionnement historique. En ce qui concerne, j'étais la génération juste après cette époque qui est décrite dans le film. J'ai été moi-même, tout en étant Français, assez surpris de voir quelle était la situation avant 1968 et avant la loi Veil en particulier. Donc cette manière avec laquelle Mariana Otero passe de l'intime à une espèce d'interrogation sur l'histoire, à quelque chose de beaucoup plus général, je la trouve extrêmement forte dans le cinéma. »Mariana Otero sera l'invitée d'un des prochains numéros de Culture sans frontières. Un autre film défendu par l'ACID, « La Peau trouée » de Julien Samani, sera projeté à l'Institut français en février.