Karlovy Vary 2016 : Alice Diop questionne l’accès au soin pour tous

'La permanence', photo: Film Service Festival Karlovy Vary

« La Permanence » est le seul film français en compétition au festival international du film de Karlovy Vary dont la 51e édition se déroule toute cette semaine. Dans ce long-métrage présenté dans la section des documentaires, la réalisatrice Alice Diop filme le travail de professionnels de la santé dans un hôpital de banlieue parisienne pour prodiguer des soins à des personnes en grandes difficultés. La cinéaste a répondu aux questions de Radio Prague :

Alice Diop,  photo: Film Service Festival Karlovy Vary
« Il s’agit d’un médecin généraliste et d’une psychiatre qui tiennent une permanence pour des gens qui n’ont pas de couverture maladie. Cela s’appelle une PASS, une permanence d’accès aux soins santé. Ce sont des endroits qui existent dans tous les hôpitaux en France et la salle où je filme c’est en banlieue parisienne, à Bobigny, à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Et de fait, par usage, ce sont des lieux qui sont essentiellement fréquentés par des migrants, parce que ce sont les migrants qui ont le plus de difficultés dans l’accès aux soins. »

Comment avez-vous eu envie de placer une caméra dans cette permanence ?

« Parce que j’ai été vraiment touchée par ce que j’ai observé. J’avais une idée de film sur la question de l’égalité de l’accès aux soins. Je voulais mesurer si la question de la santé universelle était une réalité et comment elle pouvait s’entendre. Quelle était la réalité concrète de ce sacro-saint principe en France qui consiste à donner accès aux soins à tout le monde. Quand je suis tombée par hasard sur cette permanence, j’ai été bouleversée par l’humanité incroyable des médecins et en même temps par la douleur et la solitude des patients qui défilaient devant eux. Et je me suis dit que cet endroit-là, ce huis clos pouvait raconter quelque chose du monde dans lequel on vit, quelque chose de l’exil, de la migration. C’est ça qui m’a intéressé. »

Comment cette caméra et la présence de votre équipe ont-t-elles étés acceptées par les patients et par les médecins ?

'La permanence',  photo: Film Service Festival Karlovy Vary
« Cela a été un long travail. Ce sont effectivement des lieux où tout ce qui se raconte et tout ce qui se vit est très intense et très intime. Ce ne sont donc pas du tout des lieux où une caméra peut s’introduire comme ça, de façon trop violente au risque de casser l’intimité de ce qui se joue et de ce qui se passe. Cela a été un long travail. C’est moi qui filme, donc j’ai un chef opérateur. J’ai mis un an avant de commencer à tourner. J’ai passé un an sans caméra à assister aux consultations pour trouver ma place, pour trouver mon point de vue, pour trouver l’enjeu, pour essayer de comprendre moi-même ce qui m’avait tant bouleversé la première fois que je suis venue observer en repérage ce lieu. Donc les gens se sont habitués à ma présence et je crois que d’une certaine manière, ma présence a fait partie aussi des soins. Car ce sont des gens qui sont maintenus dans une forme d’invisibilité et tout d’un coup le fait d’être reconnu et regardé par le médecin, mais aussi d’être regardé par une caméra et par le spectateur, et donc par un public plus large, je pense que pour eux c’était quelque chose de presque thérapeutique. »

Ces permanences sont-elles suffisantes pour faire face à la demande en soins de toute cette population en difficulté ?

'La permanence',  photo: Film Service Festival Karlovy Vary
« Chaque hôpital a la nécessité d’avoir une permanence d’accès aux soins, mais quasiment aucune ne fonctionne comme elle fonctionne à Avicenne, tout simplement parce qu’à Avicenne elle est animée par la personnalité du médecin, par la personnalité du psychiatre. C’est le seul endroit où les gens sans rendez-vous peuvent venir et être soignés avec ces médecins, qui ont une conscience aigüe de leur mission. C’est d’obligation légale mais presque aucune ne fonctionne comme celle animée par le Docteur Geeraert. Donc je ne pense vraiment pas ce que ce soit suffisant, bien au contraire. Y compris à Avicenne, cette permanence est en permanence menacée de fermeture. En raison de restrictions budgétaires, l’administration de l’hôpital met des bâtons dans les roues aux médecins, en réduisant à la fois le créneau horaire de la permanence et en ne donnant pas à tout le monde la possibilité d’obtenir des médicaments gratuits. Car non seulement les gens peuvent venir consulter un médecin et un psychiatre mais en plus ils peuvent bénéficier de médicaments gratuits fournis par la pharmacie de l’hôpital. Mais pour cela, ils doivent passer par l’assistante sociale, qui elle seule a le pouvoir de dire si elle leur accorde ce droit. Donc en fait on voit qu’il y a des vraies restrictions, c’est-à-dire que cette assistance sociale n’accorde pas de bons à tout le monde. C’est une vraie lutte avec les médecins pour que le plus de gens possibles puissent être soignés. C’est difficile et le film le raconte aussi. »

Vous êtes arrivés dimanche à Karlovy Vary, est ce que vous pouvez nous parler de l’impression que vous fait ce festival ?

« Je suis assez impressionnée par l’appétit de cinéma que je sens tout autour de moi. Les salles sont bondées, le programme n’a rien à envier aux plus grands festivals internationaux. Donc je suis vraiment très impressionnée par la qualité de la programmation et par le nombre de gens qui courent pour remplir les salles, et par la qualité des débats aussi. Il y a beaucoup d’étudiants, il y a beaucoup de cinéphiles. Je suis arrivée dimanche, aujourd’hui (l’entretien a été enregistré lundi 4 juillet, ndlr) c’est ma première journée et je suis assez impressionnée par la stature de ce festival. »