Borivoj Celovsky, critique implacable des maux de la société tchèque

Borivoj Celovsky

"Les paroles dans le vent", c'est ce titre que l'historien Borivoj Celovsky a donné à son livre, qui, d'après lui, n'est pas seulement le dernier en date, mais sera aussi le dernier de toute sa carrière. Les livres de cet historien et polémiste touchent certains points sensibles de l'histoire tchèque du XXe siècle et dénoncent les maux de la vie contemporaine de la société tchèque. On y décèle l'angoisse d'un homme qui a trop connu les avatars de l'histoire récente pour accepter sans crier gare les faiblesses, les dangers et les pièges qui guettent aujourd'hui la jeune démocratie tchèque.

La vie de Borivoj Celovsky a été riche et pleine d'obstacles. Il l'a résumé lui-même au micro de Radio Prague :

"Je suis un historien né en Tchécoslovaquie et qui a fait ses études en Allemagne et au Canada. En 1948, j'ai fui les communistes et suis parti de Tchécoslovaquie. Ensuite j'ai vécu au Canada et en Allemagne où j'ai écrit mon premier livre d'histoire, un ouvrage sur le Traité de Munich, qui a remporté un succès certain. J'ai travaillé pendant trente ans dans l'administration canadienne où je suis parvenu à une situation très solide. En 1982, je suis parti à la retraite et ensuite je me suis rétabli en Tchéquie. Ainsi j'ai eu le temps pour écrire. J'ai beaucoup écrit, peut-être même trop."

Borivoj Celovsky est né en 1923 à Hermanice près, de la ville d'Ostrava en Moravie du Nord. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il est envoyé en Allemagne pour le service de travail obligatoire. C'est en 1946 à Opava, métropole des Sudètes, qu'il se découvre la vocation d'historien. Le jeune homme est chargé de rechercher les livres d'histoire pour les archives régionales. Il lui suffit de se promener dans la rue. La population de cette région est déjà transférée en Allemagne et les livres allemands s'entassent devant les maisons. En quelques semaines il réunit une jolie collection de livres sur la Silésie.

La carrière du jeune bibliothécaire prend un tournant inattendu en 1948. La victoire des communistes et l'avènement d'un régime totalitaire chassent le jeune homme d'abord en France, où il gagne sa vie comme "valet de chambre", puis en Autriche et au Canada. Il étudie ensuite aux universités de Montréal et de Heidelberg et c'est en Allemagne qu'il publiera, en 1958, son étude historique sur le traité de Munich. C'est pourtant au Canada qu'il finira par s'établir. Il entre dans l'administration et laisse sa trace dans le système social et la politique d'immigration de ce pays. L'histoire, sa vocation et son amour, n'est pas oubliée, mais il doit s'adonner à des occupations "pratiques". Ce n'est que dans les années 1990, après son départ à la retraite et la chute du communisme en Tchécoslovaquie qu'il pourra rentrer dans sa patrie et revenir à sa passion pour l'histoire.

"Je suis avant tout l'homme qui s'oppose au mal", dit Borivoj Celovsky. J'ai résisté au mal pendant tout le temps et à tout prix, aux fascistes, aux nazis, aux communistes - c'était toujours pareil. Les Tchèques ont collaboré sous l'occupation allemande, sous le protectorat de Reinhardt Heydrich, et ont collaboré encore plus pendant la période communiste sous le président Gustav Husak. C'est terrible."


De nos jours, Borivoj Celovsky cherche et dénonce les maux de la société tchèque. La liste de ses livres, publiés souvent à compte d'auteur, est considérable. Il prête beaucoup d'attention aux rapports tchéco-allemands, publie un recueil de documents allemands de 1933 à 1945 sur la solution de ce qu'on appelait la question tchèque. Il revient encore à la problématique munichoise dans le livre intitulé "Le syndrome de Munich", et analyse la question des Allemands des Sudètes qui ont été obligés de quitter la Tchécoslovaquie après la Deuxième Guerre mondiale. Il met en garde contre l'oubli :

"Les Allemands des Sudètes n'ont pas le droit de se plaindre, et ils n'ont surtout pas le droit de présenter des revendications concernant les biens confisqués. Lorsque je préparais les sources pour mon livre sur le traité de Munich, j'ai eu l'occasion d'étudier des documents diplomatiques allemands dans les archives de six institutions différentes. Et ce que j'ai découvert était horrible. On ne peut pas le pardonner. Cela donne froid dans le dos. On y apprend, par exemple, avec quelle impassibilité ils traitaient les enfants des pères exécutés. C'est indescriptible. On y apprend aussi avec quel sang-froid ils préparaient l'anéantissement du peuple tchèque après la guerre. J'y ai trouvé des mémorandums de Heydrich, ceux de Hitler et ceux des Allemands des Sudètes. On y découvre avec quelle minutie ils préparaient tout cela."

Aujourd'hui, Borivoj Celovsky déplore que la majorité de la presse écrite tchèque se trouve entre les mains de grandes sociétés allemandes. Sévère avec le voisin allemand, il est non moins sévère avec ses compatriotes tchèques et ne cesse de leur rappeler leurs failles historiques, leur collaboration avec les occupants allemands et russes, leur engagement dans la STB, police politique communiste. Sa plume acérée dénonce sans merci la corruption qui est sans doute le plus grand fléau de la scène politique tchèque actuelle. Il ne cache ni l'amertume, ni le dégoût qu'il éprouve face à ceux qui savent abuser des faiblesses de la démocratie et de l'indifférence générale pour s'enrichir et s'imposer dans la politique. On serait tenté de dire que ce sont l'âge et la maladie qui assombrissent la vision du monde de ce grand récalcitrant et le poussent au scepticisme et à la colère. Ce serait cependant trop facile et même dangereux pour l'avenir de la société tchèque, car on ne peut pas nier que cette colère et cette critique implacable reposent sur un fond de vérité.