Charles Jude : Iago, puis Othello dans le ballet « The Moor's Pavane »
Une vingtaine de danseurs étoile du monde entier sont venus cette semaine à Prague, à l'invitation des sociétés tchèque et allemande Ballet International Prague et EuroArts. J'ai rencontré un des grands invités de ce gala, présenté, mercredi, à l'Opéra d'Etat (Statni opera) : Charles Jude, danseur qui a fait une brillante carrière à Paris et qui dirige depuis plusieurs années le Ballet de l'Opéra national de Bordeaux. Né en 1953 au Viêt-nam, puis formé à Nice, ce fils spirituel de Rudolf Noureev a choisi de présenter à Prague « The Moor's Pavane », un ballet américain en un acte, sur la musique de Henry Purcell, inspiré de l'Othello de Shakespeare.
Charles Jude vous rafraîchit la mémoire:
« Othello est marié avec une très jeune fille. Son ami, Iago, qui est un peu l'instigateur du drame, demande à sa femme Emilia de récupérer le mouchoir de Desdémone. Il va manigancer avec Othello pour lui faire croire que sa femme le trompe. Othello questionne sa femme qui, elle, n'est au courant de rien, puisqu'elle ne l'a pas trompé. Othello devient schizophrène et va jusqu'à la tuer... Moi, je danse Othello. C'est une chorégraphie de José Limon qui s'inscrit dans la période des chorégraphies modernes qui ont été faites aux Etats-Unis, avec toute la mouvance Martha Graham, Cunningham, Paul Taylor... C'est une gestuelle théâtrale, très intéressante. On peut dire que The Moor's Pavane est un chef-d'oeuvre de ce moderne américain, qui mêle théâtre, danse et mime. »
Est-ce qu'il y reste quelque chose du ballet classique ?
« Il n'y a pas cette performance que demande l'académisme classique, comme l'a fait Petipa par exemple. C'est une gestuelle proche du post-moderne américain et dont s'inspirent tous les chorégraphes français et européens qui font du contemporain. »
Cela fait combien de temps, en fait, que vous dansez dans ce spectacle ?
« Je danse The Moor's Pavane depuis une vingtaine d'années. A l'époque, je l'ai dansé avec Noureev. Lui, il dansait Othello et moi Iago. Noureev est décédé il y a un peu plus de dix ans et j'ai alors repris son rôle. C'est intéressant, parce que je connais l'histoire et j'essaye de retransmettre ce que j'ai appris avec lui dans cette oeuvre. »
Les danseurs qui sont venus à Prague avec vous, ils font tous partie de votre compagnie à Bordeaux ?
« Voilà, ce sont trois danseurs de Bordeaux. Cela fait trois ans que j'ai demandé à la Fondation Limon de me donner ce ballet à Bordeaux. Il y a aussi Sarah Stackhouse de la Fondation qui est venue nous faire répéter, nous remodeler cette chorégraphie et nous remettre bien dans le monde de José Limon. »
Avez-vous des projets que vous voudriez réaliser à Prague ?
« J'aimerais venir avec ma compagnie et présenter 'Coppelia' que j'ai créée à Bordeaux. C'est intéressant, pour moi, de venir dans un pays de l'Est et de montrer ce que nous faisons en France. Peut-être que nous aurons la chance de pouvoir présenter aussi une compagnie de Prague à Bordeaux. »
Vous avez commencé à faire du ballet à l'âge de 16 ans. Ce n'est pas un peu tard, quand même ?
« Oui, c'est tard. On dit toujours qu'un garçon doit commencer vers 7, 8 ans. Mais j'ai eu un professeur russe qui m'a bien formé. Il m'a dit que si je voulais vraiment devenir danseur, il fallait que je travaille trois fois plus que les autres, pour rattraper tout ce temps perdu. Donc pendant une dizaine d'années, je n'ai pas arrêté de travailler... »
Vous êtes né à Saigon, vous avez ensuite vécu en Afrique, avec vos parents. Ces souvenirs ont-ils enrichi votre vie professionnelle ?
« On dit que les voyages forment la jeunesse... J'ai eu la chance d'avoir voyagé par le métier de mon père et de visiter l'Asie, puisqu'on a fait aussi le Laos et le Cambodge et, enfin, six ans d'Afrique Noire. Quand on est jeune, on ne s'en aperçoit pas vraiment, mais en vieillissant, on se rend compte de cette richesse qu'il y a dans chaque civilisation. Quand on fait partie d'un monde artistique, on arrive à retransmettre tout ce qu'on a vu et ressenti de tous ces pays. »