Sur scène à Prague : « Je pensais être bilingue, mais le stand-up m’a donné une leçon d’humilité »
Aller dire des blagues sur scène dans la cave du Metro Comedy Club après le travail, pourquoi pas ? C’est en tout cas ce que s’est dit Julie Cantrel, 28 ans, originaire du Nord-Pas-de-Calais et cheffe de projet dans une entreprise de service linguistique à Prague. Entretien avec une comédienne unique au parcours singulier.
Notre histoire commence avec une rencontre. Celle entre une jeune femme qui veut sortir la tête de son travail et un super-pouvoir. Après plusieurs années à Prague, la future humoriste constate que sa vie tourne quasiment exclusivement autour de son travail et décide de s’inscrire dans un groupe de théâtre d’improvisation. Une décision qui changera beaucoup de choses dans sa vie, puisqu’elle découvre un soir le pouvoir de faire rire sur scène et la sensation que cela lui procure.
Julie Cantrel : « Pendant une représentation, j’ai fait une blague avec mes copains sur scène et il y a eu une réaction immédiate du public, avec du rire et des applaudissements. C’est là que je me suis vraiment pris une claque. J’avais déjà fait des discours à l’école, dans mon entreprise ou à des mariages, donc je n’ai jamais eu peur de parler en public. Mais le fait que les gens réagissent en direct par le rire, j’ai été scotchée et je me suis dit que je voulais revivre ça. »
D’un besoin vital à un hobby sain
Son rapport à la scène a évolué depuis cinq ans. Au début, le stand-up est apparu comme la solution à un enfermement professionnel.
« J’ai eu des nouvelles responsabilités à mon travail et je pouvais y passer toutes mes soirées. J’avais besoin de quelque chose en dehors de mon travail. Mes seules relations sociales étaient mes collègues, qui étaient devenus mes amis, donc ça commençait vraiment à tourner en rond. »
Rapidement le stand-up est devenu un nouveau besoin pour Julie. Aujourd’hui, elle a un rapport plus sain à l’art de scène.
« J’ai un peu des phases. Parfois j’ai envie d’y aller tous les soirs, mais je ne suis pas traumatisée si je n’y vais pas pendant une semaine. Parfois, ça fait du bien de faire autre chose. »
L’humoriste garde une régularité et une discipline, mais essaie de se limiter pour éviter que le stand-up devienne une obsession comme l’était son travail auparavant.
Entre observations et récits personnels
« Je vois des situations qui me font rire. Je prends des notes sur le moment et j’écris un brouillon de blague. Ensuite je travaille dessus, je lui donne une structure. Il y a une méthodologie pour écrire des blagues dont on ne se rend pas compte, parce que les stand-uppeurs donnent une impression de spontanéité. Lorsque j’estime qu’une blague est assez prête, je la sors dans des scènes ouvertes (open-mic) encore et encore pour la peaufiner. Ça peut être dix fois, vingt fois, jusqu’à trouver la bonne intonation, le bon rythme. »
Au-delà des observations du quotidien, les comédiens de stand-up mettent beaucoup de leurs propres expériences de vie dans leurs blagues.
« Je pratique beaucoup l’autodérision. C’est une manière de se protéger. Si je suis capable de rire de moi-même, on peut se moquer de moi sans que ça m’atteigne. Il y a un côté très soulageant à parler de sa vie, de ses défauts, de ses galères, en faisant rire les gens. Ça nous fait du bien et les gens passent un bon moment. Il y a un peu un côté thérapie de groupe. »
À Prague, la scène de stand-up est largement dominée par la langue anglaise. Un vrai défi pour la jeune humoriste.
« Au départ, j’avais vraiment peur, alors que je parlais couramment anglais au travail. Je pensais être bilingue, mais le Stand-up m’a donné une petite leçon d’humilité. »
L’exercice n’est pas aisé. Comme tout art scénique, le stand-up est basé sur les mots et le rythme. Avant de commencer, l’humoriste a dû s’imprégner de l’ambiance du stand-up à Prague.
« Je suis allée à tous les open-mic possibles pendant un mois, pour m’imprégner de l’ambiance et repérer les codes. Je ne voulais pas commencer de but en blanc sans comprendre les rouages. Au début j’avais du mal à comprendre tout le monde et j’avais peur de m’engager dans les conversations en dehors de la scène. »
Un phénomène stand-up à Prague
Grâce au Voulez-vous Comedy, lancé par Axel et Zuzi Fitte-Duval, Prague se voit dotée d’un début de scène de stand-up francophone. Julie Cantrel a été la maîtresse de cérémonie (MC) lors de la première de Voulez-vous Comedy. Une expérience dont elle est particulièrement fière.
« J’étais super fière. Ça faisait longtemps que je voulais faire quelque chose sans arriver à vraiment lancer un projet. Axel et sa femme m’ont approchée et ça s’est fait. Les deux soirées ont affiché complet, donc on voit qu’il y a de la demande et une scène possible. »
Ce phénomène est symbolique d’une scène de stand-up de plus en plus populaire à Prague et qui tend clairement à se développer. Aujourd’hui, le Metro Comedy Club est le seul Comedy Club de Prague. Fait par des comédiens, pour des comédiens, le lieu centralise le stand-up local, avec une soirée open-mic tous les mercredis et deux shows par soir tous les jeudis, vendredis et samedis. En plus de cela, deux scènes ouvertes ont vu le jour, le lundi soir à Anděl et le jeudi soir au Kontakt Bar. Le stand-up se développe tranquillement mais sûrement, dans un esprit collectif, comme l’explique Julie Cantrel.
« En ce moment, beaucoup de spectacles naissent un peu partout dans Prague. Mais si quelqu’un lance un spectacle, ce n’est pas pour faire compétition avec les Comedy Club par exemple. On essaie d’éviter de se tirer dans les pattes. »
Malgré tout ce développement du stand-up et ses succès personnels, Julie Cantrel n’envisage pas d’arrêter son travail pour se consacrer à 100% à son art. Vivre du stand-up à Prague reste très peu réaliste. Seuls les passages de dix minutes sont payés, à hauteur d’une dizaine d’euros. De plus, dans une soirée, il n’y a que quelques comédiens qui peuvent faire dix minutes de show et ce sont souvent les plus expérimentés.
La comédienne a accumulé environ trente minutes de blagues et a pour projet de monter un split show, show d’une heure coupé en deux, avec une amie comédienne.
