Quand Tchèques et Français font des affaires

Depuis la fin des années 90, l'intérêt des entreprises françaises pour la République tchèque n'a cessé de grandir. Les rapports commerciaux se sont développés entre ces deux pays, sans que les différences dans les relations et habitudes commerciales ne cessent d'étonner, de surprendre, d'un côté comme de l'autre. Jaroslav Hubata-Vacek, Directeur de la chambre de commerce franco-tchèque, et Pavel Holomek, Responsable de l'accompagnement des entreprises françaises dans cette même institution, ont tenté, au micro de Radio Prague, de brosser le tableau des relations commerciales franco-tchèques en parlant des habitudes de ces deux pays et en quoi celles-ci sont différentes.

Disciplinés, réservés, hiérarchisés, les Tchèques sont parfois déroutés par l'approche "méditerranéenne" de leurs interlocuteurs français. Ils puisent leurs habitudes commerciales et de travail dans le lointain empire austro-hongrois, réputé pour sa bureaucratie et ses lourdeurs administratives. Les 50 ans de communisme n'ont fait qu'accentuer cette tendance encore bien perceptible aujourd'hui en République tchèque. Plus récemment, après la chute du régime, les Tchèques ont adopté par mimétisme les manières commerciales de leurs partenaires étrangers. On trouve ainsi différents modèles dans les entreprises tchèques, un autre élément qui peut être perturbant pour les Français. Pavel Holomek nous en dit un peu plus.

"Je pense que la plupart des entreprises tchèques ont appris à négocier par le biais de leurs partenaires étrangers. Comme il n'y avait pas de formation commerciale ni beaucoup de contacts avec l'étranger avant 1990, les premiers commerciaux qui sont venus dans nos entreprises nous ont donc montré comment négocier, et c'est à partir de ces contacts la, sur le terrain, que nous avons appris à travailler avec les partenaires étrangers. Donc si à l'époque une entreprise tchèque a fait des affaires avec des entrepreneurs allemands, elle s'est inévitablement imbibée de la culture commerciale allemande, d'autant plus que les Tchèques ont cette capacité de s'adapter à une culture étrangère qui est tout à fait formidable."

L'entrepreneur français attache une grande importance à la relation humaine et au contact personnel qui peut s'établir entre lui-même et son interlocuteur, ce qui se traduit par les incontournables déjeuners d'affaires, parfois difficile à décrypter pour un Tchèque non initié. Le Français va donc faire ses choix souvent en fonction du rapport personnel qui s'est instauré, mais aussi en fonction d'un contexte qu'il jugera favorable. Une décision pourra ainsi être prise rapidement du côté français, en fonction justement des ces aspects d'ordre "sensoriels", ce qui ne manquera pas de dérouter le partenaire tchèque. Jaroslav Hubata:

"Dans un premier temps, l'entrepreneur tchèque trouve son collègue français trop méditerranéen. Le Tchèque est en effet plus distant, plus vigilant, plus patient, et c'est pourquoi il pourra être surpris de la vitesse d'une proposition, qui tombera après quelques rencontres qu'il avait trouvé plutôt floues."

Dans leur prise de décision et dans leurs négociations, les Tchèques ont en effet plutôt tendance à faire confiance à un système, à des procédures bien définies, à des arguments techniques et aux chiffres. Ils ne se laisseront pas impressionner par la "sauce marketing" tant aimée dans les pays latins, qui plutôt que les convaincre ou les charmer, leur donnera une impression de manque de concision et d'arguments réels. La confiance ne sera gagnée, en bonne logique, que lorsque le produit sera livré, les prix et les délais tenus, la qualité assurée. Ici transparaît la tendance que les Tchèques, contrairement aux Français, ne sont pas fondamentalement commerciaux, ils n'ont pas cette volonté de commercialiser au maximum leurs produits en démarchant un grand nombre de partenaires potentiels, en présentant leur entreprise sous son meilleur jour, bref en exploitant toutes les ressources marketing. Mais bien sûr, les habitudes évoluent. A ces caractéristiques d'ordre plutôt culturel, s'ajoute un autre trait remarquable chez les Tchèques: leur respect des règles et de la hiérarchie, qui ne manque pas d'étonner les Français qui découvrent les habitudes commerciales du pays. J. Hubata nous en dit un peu plus sur cette tendance qui s'observe avant tout dans le secteur industriel:

"Si l'on prend l'exemple des sites de production, on observe la une hiérarchie et un mode de fonctionnement ancrés dans les vieilles habitudes, à savoir une organisation ferme voire rigide, des compétences bien définies, des employés qui préfèrent avoir des ordres très clairs et qui ont parfois du mal à prendre des initiatives si l'ordre qu'ils reçoivent n'est pas assez clair."

Ceci n'est pas vrai, en revanche, dans les jeunes entreprises de services qui ont vu le jour il y a moins de 10 ans et qui ont souvent calqué le modèle anglo-saxon de management, au point d'en oublier parfois qu'il y en existe d'autres, et au point d'ignorer leurs propres racines. Si les entrepreneurs tchèques doivent encore mûrir dans leur connaissance des habitudes des interlocuteurs français, les Français ont également un bel effort à fournir pour prétendre bien connaître les Tchèques. P. Holomek:

"Les Français abordent le marché tchèque en ayant une information macro-économique très claire, mais peu d'expérience de terrain et une vision micro-économique quasi inexistante. L'entrepreneur français qui vient rencontrer pour la première fois ses partenaires commerciaux tchèques ressort, après quelques jours de négociations, généralement surpris. Surpris des différences entre capitale et province, entre grands groupes industriels d'avant 90 et entreprises créées après 1990, et qui en 10 ans se sont complètement construites."

Quelques longs déjeuners d'affaires seront sans doute encore nécessaires pour que Tchèques et Français arrivent à se comprendre parfaitement. En affaires.

Auteur: Agnès Vaddé
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