Une commération de la fête nationale du 17 novembre pas comme les autres
Cette nouvelle revue de la presse tchèque de la semaine écoulée propose d’abord quelques observations en rapport avec le rappel des événements du 17 novembre 1989. Elle s’intéresse ensuite à la position de la République tchèque quant à la protection de l’Etat de droit en lien avec le débat sur le prochain budget européen. Le regard des Tchèques sur Comenius, 350 ans après sa mort, est un autre sujet traité, de même que les retombées de la pandémie de coronavirus sur les grandes fortunes tchèques.
Mardi dernier, trente-et-un ans après la révolution qui a abouti à la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, la majorité de la population a commémoré la fête nationale du 17 novembre autrement que d’habitude. Les mesures de restriction ont limité les festivités et les grands rassemblements, constatent à l’unisson les commentaires. Une bonne occasion, selon l’auteur du site aktualne.cz, de réfléchir à la manière dont « le totalitarisme rouge » est considéré aujourd’hui :
« La chute du régime communiste a impacté toutes les sphères de la vie des gens. Elle a apporté les libertés que la plupart d’entre eux ne connaissaient pas. C’est pourquoi l’expérience d’un témoin direct des événements de novembre 1989 est en forte contradiction avec la tendance actuelle qui consiste à relativiser le caractère de l’ancien régime. Il semble que le regard critique sur le totalitarisme communiste s’affaiblit depuis un certain temps déjà, avec des pressions auxquelles la société ne parvient pas à faire front. Le renouvellement des générations et l’émérgence de jeunes historiens selon lesquels une grande partie de la société aurait soutenu le régime communiste sur la base d’un consensus, jouent aussi un rôle dans cette évolution. »
Le 17 novembre, l’unique fête à laquelle les Tchèques s’identifient spontanément, a été cette année plus étrange que jamais, observe le commentateur du quotidien Hospodářské noviny. Lui aussi se penche sur le message de ce 31e anniversaire de la chute du régime communiste, tout en le situant dans le contexte de la pandémie :
« Cette date permet non seulement de célébrer la liberté, mais aussi d’exprimer les craintes quant à son maintien. Alors que nos libertés sont actuellement radicalement réduites, on peut se demander si elles sont solides et quelles sont les principales menaces qui les guettent. Aux yeux de beaucoup, le gouvernement et les mesures de restriction en constituent une. Aussi étranges les manifestations dans la rue contre le port du masque puissent-elles paraître, elles nous rappelent, sous une forme caricaturale, qu’il convient sans cesse de contrôler les dirigeants politiques pour qu’ils n’abusent pas du confinement imposé. »
D’un autre côté, comme on peut encore le lire dans Hospodářské noviny, d’autres libertés doivent également être défendues. Dans cette logique, il faut rejeter par exemple les conspirations « ridicules » dont l’ancien président Václav Klaus est une des figures phares. L’auteur explique :
« En dépit de leurs possibles tendances autoritaires, les gouvernements actuels ne peuvent en aucun cas être comparés aux gouvernements d’avant 1989. C’est effectivement le Covid qui nous limite le plus aujourd’hui. La principale ligne de lutte pour la liberté ne passe pas alors entre le gouvernement et la population, elle est l’affaire de chaque individu. La liberté est indissociable de la responsabilité. C’est une liberté basée sur le respect mutuel que les acteurs du 17 novembre auraient certainement privilégiée à une liberté sauvage et égoïste. »
Le contraste entre « le festival de la liberté » en 1989 et l’atmospèhre marquée par la pandémie de coronavirus est frappante, remarque pour sa part le site echo24.cz :
« Tous ceux qui soutiennent l’adoption des strictes mesures épidémiologiques refusent catégoriquement de comparer la situation actuelle à la suppression des libertées civiques imposée par la dictature communiste. Cela ne nous empêche néanmoins pas de constater que tandis qu’au tournant des années 1980 et 1990, la liberté a promptement augmenté, cette année, elle a été considérablement réduite. La période qui s’étend de novembre 1989 à aujourd’hui apparaît alors comme une oasis d’extrême liberté. »
La Tchéquie du côté des pays qui défendent l’Etat de droit
Comme les années précédentes, le président de la République, Miloš Zeman, a préféré ne pas participer aux commémorations du début de la révolution de Velours. Un geste très éloquent, selon un commentateur du journal Deník :
« Heureusement, le Premier ministre, Andrej Babiš, a commémoré l’anniversaire du 17 novembre de manière digne en déposant des fleurs au pied du mémorial sur l’Avenue nationale à Prague. C’est très imporant, car le sort de la démocratie et de la liberté en Europe est de nouveau un enjeu après le veto de la Pologne et de la Hongrie contre le budget européen et le plan de relance post-Covid, qui sont condionnés par le respect du principe de l’Etat de droit. Cette décision risque de plonger l’UE dans une profonde crise économique et politique. »
Il s’agit ici ni plus ni moins de savoir si l’UE restera une communauté d’Etats démocratiques et de droit, explique Deník avant de conclure :
« Dans ce conflit, la Tchéquie s’est rangée du côté de la majorité des pays qui entendent imposer ce principe à la Pologne et à la Hongrie par le biais de mécanismes dont dépendrait le versement des subventions. On veut croire qu’Andrej Babiš a pris son geste du 17 novembre au sérieux et que le pays demeure du côté démocratique de la barricade. C’est une des rares dossiers sur lesquels l’action du Premier ministre peut encore être bénéfique pour son pays. »
Komenský (Comenius), apprécié mais peu connu
La presse tchèque a réservé une grande place au rappel du 350e anniversaire de la mort du « père de l’éducation moderne » qu’était le pédagogue, théologien et philosophe Jan Amos Komenský (Comenius en latin). Dans un entretien pour le quotidien Lidové noviny, l’historien Vladimír Urbánek, spécialiste de Komenský, souligne à ce propos :
« La société tchèque considère Komenský comme une grande figure de son histoire. Les différents sondages dans lesquels il apparaît régulièrement parmi les personnalités les plus marquantes, confirment sa position privilégiée. Dans l’enquête pour ‘Le plus grand Tchèque’, lancée en 2005 par la Télévision publique tchèque, Komenský est d’ailleurs arrivé en quatrième position derrière Charles IV et les présidents Tomáš Garrigue Masaryk et Václav Havel. »
Comme le fait l’historien, il convient pourtant de s’interroger sur ce que les Tchèques apprécient véritablement chez Komenský :
« La majorité des gens considèrent Komenský comme le ‘professeur des nations’, l’auteur du Labyrinthe du Monde et le Paradis du Cœur et, probablement, comme un grand Européen. Mais l’ensemble de l’œuvre de Komenský, qui fait preuve de sa grandeur de pensée et de son originalité, demeure dans une très large mesure peu connu du grand public. »
Le Covid et les grandes fortunes
Selon les estimations d’E15 Premium, la valeur des biens des plus grandes fortunes tchèques a considérablement baissé cette année, de quelque 21 milliards de couronnes. Le journal économique précise :
« Tandis que la fortune des cent Tchèques et Slovaques les plus riches n’a jamais cessé d’augmenter ces dernières années, la situation est en train de changer. La pandémie de coronavirus, qui sera probablement à l’origine de la plus forte récession de l’économie mondiale depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, touche aussi les nouveaux milliardaires tchèques et slovaques. La croissance de leur nombre a ralenti. Ceci dit, ce n’est qu’à partir de l’année prochaine que l’impact de la pandémie pourra être réellement confirmé. Le nombre de milliardaires en Tchéquie et en Slovaquie se situe aujourd’hui entre 550 et 700. »
Preuve marquante de l’impact brutal de la pandémie, selon le journal E15: la baisse de quelque 57 milliards de couronnes de la valeur des biens du chef du groupe PPF Petr Kellner, qui ne reste cependant pas moins la plus grosse fortune tchèque.