Une histoire tchèque : le combat d'une vie, celui d'une Tchèque d'origine juive, pour rétablir la vérité sur un père allemand collaborateur
Près de soixante ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la vie d'Eliska Fischmanova et l'histoire de sa famille sont toujours frappées et marquées du sceau de l'odieux, celui des agissements des hommes et régimes politiques en place aux heures les plus sombres de l'Histoire tchèque du XXe siècle. Récemment, l'hebdomaire Respekt a retracé le destin tragique de cette femme d'origine juive qui, encore aujourd'hui, à 86 ans, reste plus que jamais en quête de justice.
Pendant de nombreuses années, Richard Fischman, le père d'Eliska, s'est considéré comme un citoyen tchécoslovaque. Les papiers d'identité dont il était en possession en attestaient d'ailleurs. A la maison, il parlait tchèque avec sa femme et ses enfants, un fils et deux filles, qui allaient à l'école tchèque. En 1930, à l'occasion du recensement de la population, les Fischman se déclarent donc comme étant de nationalité tchèque d'origine juive. Du coup, pour les Allemands qui, quelques années plus tard, envoient toute la famille à Auschwitz, les Fischman ne sont rien d'autre que des Juifs. Aux yeux des Tchèques, en revanche, ce sont avant tout des Allemands, des Allemands tchèques considérés comme collaborateurs du régime du IIIe Reich.
Du camp d'extermination, seuls Eliska et son frère Vitezoslav reviennent vivants. Mais à leur retour dans leur village natal de Puklice u Jihlavy, en Moravie du Sud, il est déjà trop tard. En effet, depuis juillet 1945, le Comité national de la ville de Jihlava a confisqué tous les biens des Fischman : leur château, leur grande ferme et 270 hectares de terrains agricoles. C'est alors le décret Benes n°12 qui autorise les autorités à confisquer les biens de tous ceux qui, dans le texte officiel, sont désignés comme des « traîtres et ennemis du peuple tchèque ». Et de fait, dans la justification de confiscation, rédigée, entre autres, par le maire communiste de l'époque, il est mentionné que « de par son mode de vie, Fischman se sentait Allemand. Il soutenait l'élément allemand avec lequel il était en contact ».
Aujourd'hui, après que Richard Fischman ait récemment été réhabilité dans ses droits, le Bureau d'enquête sur les crimes du communisme estime que « les arguments et la décision rendue ont été déformés de manière intentionnelle ». « C'était purement et simplement un vol », renchérit, pour sa part, Eliska Fischmanova. N'empêche, depuis qu'un verdict a été rendu, fin 2001, obligeant les personnes morales à restituer les biens confisqués, l'affaire continue de traîner, de recours en appels, devant les tribunaux ; la ville de Puklice faisant dans ce sens tout ce qui est en son pouvoir. C'est que ses habitants ne sont guère désireux, malgré le versement de dédommagements promis par l'Etat, de rendre ce qu'ils estiment désormais leur appartenir. Eliska Fischmanova, régulièrement accueillie à Puklice par des propos et actes antisémites, continue donc de lutter seule contre l'injustice, espérant par-dessus tout que le nom de son père soit, enfin, lavé de tout soupçon.