Andrew Lass, lauréat 2014 de la fondation des époux Havel
Depuis 1999, le prix international de la fondation VIZE 97 des époux Václav et Dagmar Havel, est attribué chaque année à tout penseur et érudit qui outrepasse ou qui aurait dépassé le cadre traditionnel de la connaissance scientifique. Dimanche dernier, cette contribution à la compréhension de la science comme faisant partie intégrante de la culture générale a été reconnue à l’anthropologue et professeur américain, Andrew Lass.
« De mon enfance, je me souviens que je faisais des cauchemars, dans la mesure où je ne me sentais pas toujours très bien en tant que Pragois et étranger en même temps. J’ai souvent été victime de bizutage et d’intimidation. »
S’il se lance après le lycée dans des études de photographie scientifique à Stuttgart, il revient néanmoins poursuivre des études à la FAMU et à la Faculté de philosophie à Prague. Il devient même membre du Groupe surréaliste de Prague en 1968. Or en 1973, la famille d’Andrew Lass, dont le père travaillait à la rédaction étrangère de la Radio tchèque, est expulsée par le régime de normalisation. Paradoxalement, cette expulsion sauvera la vie à Andrew, car des médecins américains lui découvriront une tumeur au cerveau. Il termine ses études aux Etats-Unis, mais toujours profondément épris de la langue tchèque, langue qu’il utilise pour écrire des poèmes, Andrew Lass tâchera tout au long de sa vie et dans le cadre de ses travaux de faire revivre et revenir la Tchécoslovaquie au sein des pays ‘civilisés’.
Dans le cadre de son travail, il se fait remarquer par une approche originale à l’égard des différents concepts du temps et de la mémoire. Et les sujets de ses travaux reflètent un intérêt constant vis-à-vis de la société tchèque, passant par la période de la Renaissance nationale, mouvement culturel de renaissance de la langue et de l’identité nationale aux XVIIIe et XIXe siècles, ainsi que par des sujets touchant à l’avant-garde artistique ou au phénomène touristique actuel.
Après la Révolution de velours, Andrew Lass s’est impliqué dans le développement de la numérisation des ouvrages des bibliothèques tchèques et slovaques. Il continue néanmoins d’avertir contre l’utilisation, parfois démesurée, faite par les étudiants des sources d’information électroniques :« Lorsque je donne des conférences, je demande à tous les étudiants d’éteindre leurs appareils technologiques, je leur montre un crayon et du papier. Et j’exige de leur part qu’ils soient à la fois capables de prendre des notes, et de se concentrer sur le cours, dans le but de s’approprier l’idée, de la posséder, et de ne pas la laisser juste sous forme de notes. Si sur le fondement de l’existence de nouvelles technologies, nous allons continuer de soutenir le fait que nous n’avons plus besoins de bâtiments éducatifs, scolaires, en raison de l’enseignement à la maison, alors nous allons en quelque sorte éliminer les bonnes choses avec les mauvaises. Il se passe énormément de choses lors d’un séminaire, qui ne se rapportent pas uniquement à ce qui est écrit dans un texte. »
Depuis 1999, Andrew Lass enseigne l’anthropologie socio-culturelle à l’Université de Massachussetts. Après avoir été réhabilité politiquement, il obtient le magistère de l’Université Charles de Prague en 1993. Actuellement, il enseigne à l’Université Masaryk et à l’Université Palacký d’Olomouc, en Moravie. A l’occasion d’un entretien réalisé à la télévision tchèque au mois de novembre 2013, Andrew Lass a fait savoir à propos de la différence entre les enseignements tchèque et américain :
« Les deux modèles ont des fondements très différents. Le modèle tchèque est en réalité un modèle austro-hongrois, qui est lui-même un modèle prusse, qui est lui-même un modèle napoléonien, et dans une certaine mesure jésuite. Leur point commun est qu’ils rassemblent l’existence d’un ensemble de connaissances, qu’il est possible de représenter, en quelque sorte, au sein du système scolaire, dont le rôle est d’amener l’étudiant à englober toutes ces connaissances. On parle alors d’encyclopédisme. L’inconvénient réside dans la création d’individus substituables. Tout le monde sait faire la même chose. A l’inverse, le modèle anglo-saxon ou plutôt américain est basé sur la vision de l’exceptionnalité de l’individu. Je décris bien évidemment des modèles idéaux. Mais la vision qui y prévaut est que chacun a le droit de grandir en tant qu’individu, et que sa créativité ne doit pas être étouffée. »
En 1995, Andrew Lass se voit octroyé le prix Jan Evangelista Purkyně de l’Académie des Sciences tchèques. En 2010, il obtient le prix du pédagogue universitaire de l’anthropologie de l’Association des anthropologues américains.