Cinéma : la FAMU, « îlot de liberté » devenu l’une des meilleures écoles au monde
Quatre lettres pour un acronyme que tous les Tchèques et de nombreux cinéphiles étrangers connaissent : la FAMU (Filmová a televizní fakulta Akademie múzických umění v Praze) est une véritable institution depuis plusieurs décennies dans la capitale tchèque. La plupart des grands réalisateurs du pays, dont trois oscarisés, sont diplômés de cette école, tout comme par exemple Agniezska Holland ou Emir Kusturica. Située dans un palais au cœur de Prague, la FAMU est bien plus qu’une école du film et propose aussi désormais un cursus spécialisé dans la production de jeux vidéo. Le magazine The Hollywood reporter l'a récemment classées parmi les meilleures écoles de cinéma du monde. Rencontre avec le nouveau doyen francophone de la FAMU, David Čeněk.
David Čeněk : « Je suis doyen de la FAMU depuis le 20 mai et il y a beaucoup de choses à faire, notamment parce qu’on n'a pas encore de secrétaire général qui s'occupe du budget et de toute la logistique de l'école. En plus de ça en fait on prépare la nomination d'un nouveau recteur ou d’une nouvelle rectrice et chez nous, c'est un peu différent, ce n'est pas comme en France, car le recteur est ici en fait le président de l'université et la personne la plus importante pour nous. C'est la personne qui d'ailleurs est nommée par le président de la République et qui a beaucoup de pouvoir. »
Quelle était votre histoire personnelle avec la FAMU avant d’y travailler ?
« Avant de devenir le doyen, j'étais pendant quatre ans vice-doyen pour les relations internationales et avant j'étais enseignant, en externe, j'y ai enseigné l'histoire du cinéma et l’analyse du film. Après j'ai été nommé vice-doyen pour les relations internationales en 2020 et à la fin du mandat on m'a proposé de me présenter aux élections. Alors j'ai accepté la nomination et j'ai gagné. »
Avez-vous étudié ici vous-même ?
« Non, j'ai étudié à la faculté pédagogique le français à l'espagnol et après j'ai fait des études du cinéma à l'Université Charles, à la Faculté des Lettres au département de cinéma. »
Qu'est-ce que représentait pour vous la FAMU plus jeune ?
« La FAMU a toujours représenté le top des écoles de cinéma. Elle a été fondée en 1946 et si je ne me trompe pas c’est la quatrième école de cinéma la plus ancienne dans le monde. La FAMU a toujours eu quelque chose de prestigieux et il faut dire qu’à l'époque socialiste, c'était la seule école où on passait tous les grands noms du cinéma tchèque et slovaque. »
« Quand j'ai fait mes études, c'était le milieu où je pouvais en fait rencontrer ou côtoyer les futurs cinéastes de la production tchécoslovaque. Il faut dire que la FAMU attire aussi beaucoup d’étudiants étrangers, qui représentent environ la moitié des étudiants. »
Gratuit pour les études en tchèque et payant pour les cursus en anglais
Avec un entité appelée FAMU International, c’est bien ça ?
« En fait la FAMU a 12 départements et un de ces départements est FAMU international, qui s'occupe de quelques programmes enseignés en anglais mais pas seulement, parce qu'il y a aussi chaque département qui a son programme enseigné en anglais. Ici en Tchéquie chaque université peut ouvrir des programmes d'études enseignés dans une langue étrangère, en général en anglais et elles le font parce que dans ce cas-là ce sont des programmes payants. Sinon ici l'enseignement est gratuit. »
Est-ce que ces étudiants américains, européens ou asiatiques représentent une part importante des ressources pour les finances de la FAMU ?
« Oui bien sûr, ça ne nous apporte de l'argent dans notre budget. Et puis parce que le cinéma est quand même un art plus global peut-être que la littérature, c'est très important pour nos étudiants de pouvoir travailler avec les étudiants étrangers au niveau international, c'est aussi important parce que ça donne du prestige à l'école. Il y a je dirais tous ces côtés-là qui sont importants pour nous. »
Fondée en 1946 et berceau de la Nouvelle Vague
Il y a dans l'histoire de cette institution de très grands noms qui sont passés par ici. Vous parliez des cinéastes tchécoslovaques, vraiment les plus grands noms de la Nouvelle Vague - parmi les enseignants également de la FAMU, il y a eu des grands noms du cinéma et de la littérature, notamment Milan Kundera qui a enseigné ici avant de partir en France. Aujourd'hui, est-ce que des cinéastes tchèques contemporains enseignent ici ?
« Oui, aussi. Bon il n'y a jamais eu une autre nouvelle vague, il n’y a qu’une seule Nouvelle Vague tchécoslovaque… Mais depuis toujours en fait l'école veut avoir comme enseignants des cinéastes. Ce qui est un peu plus compliqué, c'est comment employer un cinéaste et lui laisser la liberté de tourner des films. Ce n’est pas évident parce qu'on est une école universitaire et ça prend beaucoup de temps. Parmi les cinéastes contemporains les plus connus qui enseignent ici, il y a par exemple Bohdan Sláma ou Michaela Pavlátová, qui a d'ailleurs obtenu très récemment un césar en France, c'est une réalisatrice de films d'animation. »
Depuis que vous travaillez à la FAMU, y avez-vous découvert des trésors, des secrets dans ce bâtiment ? La FAMU n’a pas été fondée ici en 1946, c'était ailleurs dans le centre de Prague, mais est-ce qu'il y a peut-être des pellicules des documents qui font partie du patrimoine prestigieux de cette institution ?
« La FAMU est une école qui a produit vraiment beaucoup de films, plus de 50 films chaque année. Et bien sûr tous les films de la Nouvelle Vague tchécoslovaque, de Miloš Forman, Jiří Menzel ou encore Vera Chytilová, ont été tournés via la FAMU, mais tous ces films sont archivés ou stockés aux Archives du film. On n’a plus les droits d'exploitation pour ces films-là. »
La FAMU était le seul producteur de ces films ou était-ce en coproduction ?
« A l'époque du socialisme la FAMU était le seul producteur. On recevait de l'argent de l'État, c'est de l'argent public et avec cet argent, on produisait les films. C’est toujours le cas aujourd’hui pour la production des films de nos étudiants, il y a des films qui sont des coproductions mais il n’y en a pas beaucoup. »
Îlot de liberté pendant la normalisation
Est-ce que la normalisation, après 1968, a été difficile ici dans ce palais pour la FAMU ? Y a-t-il encore des traces de la répression après cette bouffée d'air de la Nouvelle Vague ?
« C'est un peu compliqué parce qu'il n'existe pour le moment aucun livre, aucune publication ni recherche qui retrace l'histoire de l’école. On a commencé, il y a quelques années, il existe un livre sur tout l'Académie des Arts du spectacle et en ce moment, il y a quelques enseignants qui ont créé un groupe de recherche pour retracer l'histoire de la FAMU. »
« Ce qu'on sait est que pendant la normalisation, dans les années 70 et 80, on appelait la FAMU ‘l'îlot de liberté’, parce qu'on parlait librement à l'intérieur de l'école. On organisait des projections des films qui ne sortaient pas dans les salles de cinéma. »
Même si les étudiants étaient triés bien sûr pour l’inscription à l’école et qu'il y avait des agents de la StB forcément au sein de l'école…
« Exactement, je crois même qu'ils avaient un espèce de poste d’observation pour la police secrète ici dans la tour… Mais en fait, il tolérait la discussion. Mais les étudiants ne pouvaient pas refléter ces discussions dans leur film. On ne voyait pas cela dans les films mais on sait qu'il y avait cet espace, cette ambiance de liberté. »
La FAMU parmi les meilleures écoles de cinéma, selon The Hollywood Reporter
Est-ce que cela vous a agréablement surpris ou pas du tout que la FAMU soit classée le mois dernier parmi les 15 meilleurs écoles du cinéma du monde par le magazine The Hollywood Reporter ?
« Ce n'est pas la première fois, cela ne m'a donc pas surpris et pour être franc en fait, on est en contact avec la rédaction du Hollywood reporter et on sait que ce n'est pas vraiment un classement. Il n'existe aucun classement officiel des écoles de cinéma, parce que je pense que c'est impossible de les comparer. Je connais bien les meileures écoles en Europe, que ça soit la FEMIS ou l'école Louis Lumière ou d’autres écoles en Italie, au Danemark et en Allemagne et je sais que c'est compliqué de trouver des aspects communs pour les comparer. »
« Alors ce qu'on voit dans The Hollywood Reporter, ils ne nous ont jamais révélé en fait les critères d'après lesquels ils établissent leur classement. Cela nous fait en tout cas une très belle publicité. En plus, on a beaucoup de programmes en anglais alors c'est super, mais je n’y donne pas tellement d'importance. »
Quelle est la relation actuellement entre la FAMU et la production contemporaine de cinéma tchèque ?
« Je pense que le lien est assez étroit parce que beaucoup des producteurs tchèques importants enseignent ici au département de production. Il s'avère aussi que beaucoup de nos étudiants, après avoir fini leurs études, deviennent des producteurs importants et je pense qu'il y a des producteurs qui cherchent aussi des talents parmi nos étudiants, pour développer leur court-métrage et en faire un long. »
Nouvelle section dédiée aux jeux vidéo - problème de rémunération des enseignants
La FAMU s'est adaptée aux nouveaux médias. Il y a depuis quelques années maintenant un département de jeux vidéo, ça marche bien ? Avez-vous de plus en plus d'étudiants ?
« Oui bien sûr, mais c'est une course à long terme, parce que c'est compliqué de développer un programme d'études autour de quelque chose qui n'a pas de spécialiste universitaire. Parce que comme on est une école universitaire, pour avoir le programme d'études qui doit être approuvé - pour simplifier – par le ministère, il faut avoir des professeurs avec des doctorats et c'est compliqué de trouver un spécialiste en jeux vidéo qui aurait fait des recherches à l'échelle universitaire. Alors oui, il y a de plus en plus des étudiants, ça se développe et je pense aussi que c’est grâce au fait que cette partie de l'industrie est importante en Tchéquie, avec beaucoup de studios qui ont des succès mondiaux. »
Est-ce que la FAMU doit aujourd’hui lutter pour obtenir l'argent nécessaire à son fonctionnement auprès de son ministère de tutelle ?
« Je pense que d'abord, il faut dire que ce qui est nécessaire est d'augmenter les salaires des enseignants, ça c'est un grand problème et bien sûr, ça veut dire qu’on demandera plus d'argent au ministère de l’Education. »
« Le problème est par exemple que la production des films est quelque chose qui n'est pas demandé par la loi mais que l'école a décidé déjà pendant le socialisme qu'on va le faire, parce que c'est logique d'aider les étudiants pour tourner leurs films pendant leur cursus et leurs films de fin d’études, mais ça veut dire qu'on manque toujours d'argent pour avoir des salaires qui seront dignes de ce que font les enseignants ici. »
« En plus, il faut dire que l'Académie des arts du spectacle, dont la FAMU fait partie, est l'école artistique la plus riche en Tchéquie, mais ça ne veut pas dire qu'on a suffisamment d'argent parce que c'est un peu déséquilibré. Alors il faudrait en fait trouver un autre moyen, mais c'est aussi un problème législatif, pour qu'on puisse avoir de l'argent privé par exemple pour tourner ou pour financer les tournages de films tout en ayant de l'argent pour les salaires. »
Si vous deviez choisir un extrait sonore d’un film produit par la FAMU dans l'histoire ou aujourd'hui, qu'est-ce que vous auriez envie d'écouter ?
« Alors si c’est sonore je vais dire La bouchée (Sousto) de Jan Nemec et le deuxième film serait Elektra de Daria Kascheeva, projeté à Cannes et primé à Toronto l’année dernière. »
Financement : l'école de Madrid ou la Fémis de Paris en exemples
Vous avez été vice-doyen pour les relations internationales, où est-ce qu'en est la FAMU aujourd'hui, est-ce qu'il y a des partenariats privilégiés avec des écoles européennes ou ailleurs dans le monde ?
« Oui, nous avons développé des relations stratégiques avec la Fémis notamment, Louis Lumière, Rochester Institute of Technology aux États-Unis par exemple. Des étudiants viennent ici et nos étudiants vont suivre des cours là-bas, c'est toujours des séjours de courte durée. La deuxième activité internationale qui est importante pour nous, c'est ce qu'on appelle le mentorship program : on a envie que les cinéastes de toutes les professions viennent, mais pas seulement pour parler un après-midi de leur film, plutôt pour avoir en fait un but pédagogique, c'est à dire par exemple regarder les films en développement de nos étudiants. Pour leur donner du feedback ou bien pour travailler les scénarios avec eux, etc. »
Est-ce qu'il y a une institution parmi vos écoles partenaires qui peut vous servir d'exemple, qui arrive à faire ce mélange de financement privé/public ?
« Oui, je pense que l'école du cinéma à Madrid y parvient par exemple. Je pense que la Fémis est aussi un peu plus liée au secteur privé. On peut inspirer de ces écoles-là. »