Après Intouchables et Samba, Éric Toledano présente Le Sens de la fête à Prague
Dokud nás svatba nerozdělí, c’est le titre tchèque du film Le Sens de la fête, qui sort sur les écrans tchèques ce jeudi. Portée par Jean-Pierre Bacri dans le rôle principal, cette comédie, sur l’organisation qui se cache derrière une journée de mariage, est le dernier long-métrage signé Olivier Nakache et Éric Toledano, les auteurs d’Intouchables et plus récemment de Samba. Début novembre, Éric Toledano était en Tchéquie pour présenter le film en avant-première. Radio Prague l’a rencontré :
La radiographie d’une équipe au travail
Comment fait-on pour renouveler un genre déjà beaucoup vu au cinéma, le film sur le mariage ?« Je n’ai pas l’ambition de le renouveler, par contre j’ai changé d’axe et de point de vue, ce film raconte un mariage vu par ceux qui travaillent à sa réalisation. Donc on n’a pas les éternelles rencontres entre les belles-familles, les histoires de mariage d’amour, les relations entre les mariés… ce n’est qu’une vitrine de fond finalement.
Par contre ce qui est intéressant, c’est de faire la radiographie d’une équipe au travail, et peut-être de raconter à travers ça une métaphore de la France d’aujourd’hui. On voit différents types de personnages issus de milieux sociaux différents travailler au sein d’une même entreprise, gérée par Jean-Pierre Bacri, qui doit organiser ce mariage. Donc que ce soit le photographe, l’orchestre, l’animateur, la brigade de serveurs… chacun ajoute un point de vue, et donc il y a une vision un peu sociale dans cette comédie, comme une radiographie de ce qu’on peut voir dans la société française aujourd’hui. »
Cette équipe qui organise ce mariage en backstage, peut-on la comparer à une équipe de cinéma ?
« On peut la comparer à une équipe de cinéma bien sûr, parce qu’évidemment au cinéma on ne voit pas tous les petits bras qui sont derrière et qui font que l’image, les décors, les costumes sont là. Mais on peut la comparer à tous les métiers où il y a des gens de l’ombre qui font en sorte que les choses soient extraordinaires.Ce qui était intéressant avec le mariage, c’est que ce n’est pas le mariage en soi qui nous intéressait, c’est plutôt que ça raconte quelque chose de festif et je pense que nous sommes plutôt dans un moment non-festif de la vie de la France, parce qu’on a été échaudés par un certain nombre d’évènements, sociaux, populistes, terroristes… la question c’est donc comment fait-on pour continuer à aller vers la célébration des choses ancestrales qui nous font être heureux ? C’est pour ça que le film s’appelle Le Sens de la fête. »
Vous faites équipe avec Olivier Nakache sur vos films, et cette fois-ci vous avez coopéré avec Jean-Pierre Bacri pour l’écriture du scénario. Comment écrit-on un scénario à six mains ?
« Alors Jean-Pierre c’est spécial, au début il fallait le convaincre de venir sachant qu’il a une réputation de refus rapide. On est venus sans scénario en lui exprimant juste notre désir de travailler avec lui, parce que certains acteurs sont très sensibles au désir qu’on peut avoir pour eux. On lui a dit qu’on le verrait bien en petit patron d’une entreprise familiale, quelque chose qu’il n’avait jamais joué ! Comme ça lui a plu, il a commencé à rentrer dans la danse et puis au bout de trois ou quatre mois, on a commencé à faire des rendez-vous réguliers où il a donné son avis, et il est rentré dans le groupe.
On a toujours été assez ouverts avec Olivier à un travail de collectif, on s’est nous-mêmes rencontrés en colonie ! Et puis le cinéma, c’est un art de groupe en vérité… Donc Jean-Pierre est rentré dans le groupe, et puis on ne peut pas se priver d’un talent comme le sien quand on a la chance de l’avoir devant soi. C’est un gars qui a écrit pour Alain Resnais, qui a écrit pour le théâtre, avec Agnès Jaoui… et en plus il joue les scènes, donc nous avons carrément l’embarra du choix : on les écrit et il les joue de suite ! Bref, il est rentré dans la danse, peut-être emporté par ce mouvement collectif justement. »La contrainte, un terrain de création
Sur l’aspect ‘théâtre’, on remarque qu’il y a une unité de lieu et de temps dans le film, qu’est-ce que ça lui apporte?
« La contrainte, c’est pour nous un terrain de création. En vérité, on a eu dans le passé d’abord beaucoup de contraintes, puis on a fait un film qui nous a libérés des contraintes, et je pense que c’était un peu à nous de nous les redonner en termes de cadre. Là il y a une contrainte de lieu et de temps, et ça joue sur notre créativité. Jouvet disait ‘l’art naît de contrainte, et meurt de liberté’, et c’est vrai qu’on est plus créatifs dans un cadre de contrainte.
En l’occurrence, il y a une soirée qui avance, elle doit arriver jusqu’au bout, on n’a pas le droit d’abandonner, dans le cadre d’un mariage on ne peut pas dire ‘bon ben j’arrête’ puisqu’il y a deux cents personnes qui attendent et des gens qui vous ont fait confiance… ça fait un effet-miroir sur des choses que beaucoup de gens peuvent connaître. C’est comme ça qu’on a vécu les choses. »C’est une comédie, et l’on rit beaucoup, mais quelles sont vos références en termes de comédies ou d’auteurs de cinéma excellant dans ce genre ?
« Je l’ai beaucoup répété dans mon voyage précédent au festival de Rome : c’est vraiment la comédie italienne qui nous a inspiré Olivier et moi depuis longtemps, parce qu’elle racontait, avec talent, son époque. Pour nous, la comédie c’est un genre majeur. Je vais citer Monicelli, Dino Risi, Ettore Scola, tous ceux qui ont employé nos modèles, c’est à dire de très grands acteurs, Gassman, Manfredi, Scarpelli, etc.
Et puis ce sont des histoires fortes, où les gens lâchent leurs émotions et ne sont pas dans la retenue, parce que nous ne sommes pas dans la retenue. Et il y a toujours une espèce de trame de fond qui raconte quelque chose sur le moment que le pays est en train de vivre, la comédie italienne c’est les années 1960-1970, c’est un moment qui a eu du mal à être renouvelé là-bas. Bien sûr j’ai des références françaises ou américaines comme tout le monde, mais c’est vrai que la comédie italienne c’est des films comme Le Pigeon, où l’on suit beaucoup de personnages… et puis Bacri il fait bien Italien ! »
Ici vous aurez peut-être plus de difficultés peut-être à trouver des références. Connaissez-vous un peu l’univers cinématographique tchèque ? Que vous inspire la République tchèque ?
« Je connais plus la littérature, et encore je ne suis pas un spécialiste. Comme beaucoup, je connais Kundera et j’apprécie. En me baladant dans la ville, j’ai vu que Kafka est très présent, j’ai essayé d’expliquer à mes enfants qui est Kafka et je leur ai dit ‘c’est un auteur qui est devenu un mot : kafkaïen’. Donc je suis un peu plus lié à la littérature et à l’histoire de Prague, mais en termes de cinéma à part les classiques, et encore, je ne pense pas être un spécialiste.Il y a Miloš Forman évidemment, je me rappelle dans la biographie de Claude Berri quand ils viennent le chercher ici pendant le Printemps de Prague pour le ramener à Paris. D’ailleurs, Amadeus reste pour moi encore un des plus grands films sur la musique qui a été fait depuis l’invention du cinéma. »
Le casting aussi est un mariage
Pour en revenir au Sens de la fête, il y un panel de personnages hauts en couleur. Il y a par exemple personnage de Vincent Macaigne qui est très à cheval sur la langue française, vous pourriez nous en dire un peu plus sur l’acteur ?
« Le casting est lui-même un mariage dans ce film. Un mariage de toutes les familles de cinéma qui ne sont pas d’une seule chapelle, et ça nous fait plaisir de rassembler des gens qui ne sont pas habitués à jouer ensemble. Le marié est joué par Benjamin Lavernhe qui est en train de triompher à la Comédie française avec Scapin, Vincent Macaigne, qui lui aussi dans son genre triomphe dans un théâtre public. Il y a aussi Suzanne Clément qui joue dans Mommy, Jean-Paul Roove qui est un acteur plus populaire avec qui j’ai déjà travaillé par le passé, Gilles Lelouch, Judith Chemla qui est une ancienne de la Comédie Française…Macaigne c’est quelqu’un de très lunaire, qui ressemble beaucoup à son personnage, à la fois intelligent et confus. Dans le monde du travail, on est amené à travailler avec des gens très différents. Je ne sais plus quel réalisateur a dit ‘le casting c’est déjà 50 ou 60 % du film’, donc nous dans ce film on voulait mettre des gens de caractères et de natures très différentes pour exprimer ce réalisme qu’il y a dans le travail : vous allez travailler avec quelqu’un qui n’est pas forcément votre tasse de thé, vous n’iriez pas prendre un café avec lui, mais voilà, il va falloir ‘vous marier’ avec lui.
Concernant le goût pour la langue française du personnage de Macaigne, je dirais que c’est un film qui se veut une comédie assumée, et derrière ça c’est un film sur le langage, parce que dans un pays, ce n’est pas parce qu’on parle la même langue, qu’on parle le même langage. On avait à cœur de raconter le langage, par exemple le langage d’Eye : on comprend qu’elle vient d’un quartier populaire et dès le début elle a un vrai problème de langage. Le film commence d’ailleurs par Jean-Pierre qui lui dit : ‘tu ne peux pas parler comme ça aux gens dans le travail’. Il y a aussi le langage des sans-papiers sri lankais aux cuisines, qui commentent le mariage. Et bien sûr le langage de ceux qui font des erreurs de français, et que corrige Macaigne. On a eu envie de faire parler le même langage à des gens qui parlent la même langue, et c’est pour ça qu’on a pris la métaphore de la musique mais je ne veux pas ‘spoiler’ la fin. »Vous aviez imaginé ce scénario au moment où vous faisiez Samba, le tournage du Sens de la fête vous a-t-il donné des idées pour un nouveau projet ?
« Il y a des sujet qui sont comme ça, dans des tiroirs et qui passent le temps. C’est comme une musique que vous auriez écouté dix fois, et vous vous dites à la onzième fois ou bien ‘c’est bon j’en ai marre’, ou alors ‘c’est marrant elle ne perd pas en intensité’. De cette façon, il y a un sujet qui nous intéresse depuis longtemps mais on se demande souvent si on est vraiment capables d’en faire un film. On a beaucoup travaillé avec Intouchables sur le handicap, et je pense qu’il y a quelque chose à faire sur les gens qui encadrent l’autisme, on en a déjà un peu parlé dans la presse. En tout cas ce film nous donne confiance sur l’envie de continuer à faire des comédies qui sont un peu exigeantes, j’espère. »