« Ce film est le point de vue d’un animal sur un autre animal »
Bien loin des documentaires animaliers classiques vient de sortir en salles, en République tchèque, Aïlo : Une odyssée en Laponie, un film de Guillaume Maidatchevsky qui suit un petit renne à partir de sa naissance dans le Grand nord. Ce conte s’adresse tout à la fois aux parents et aux enfants, auxquels, grande surprise, on ne cache pas les aspects souvent cruels de la nature. Cette honnêteté, l’absence d’anthropomorphisme, une histoire à la fois charmante, drôle et instructive, et les paysages sublimes de Laponie, contribuent à faire de cette aventure filmée un grand moment de cinéma, inscrit dans la lignée de L’Ours de Jean-Jacques Annaud. Le réalisateur Guillaume Maidatchevsky était récemment à Prague pour présenter le film. Il a raconté au micro de Radio Prague la genèse de ce projet.
Et totalement dépaysant…
« Oui, des températures de moins 40 degrés, c’est totalement dépaysant ! C’est pur, sauvage. On y en rencontre des loups, des gloutons qui est un animal que je ne connaissais pas avant de faire le film. »
Qu’est-ce qui vous a amené au documentaire animalier à l’origine ?
« Je n’étais pas assez bon biologiste. Mais je voulais voyager et observer la nature. Mais il n’y a que les très bons biologistes qui font cela. Il a fallu que je change mon fusil d’épaule et que je trouve un autre moyen de voyager. Donc réaliser des films animaliers, c’est pas mal. »
C’est un genre que vous renouvelez par contre, parce que votre film n’a pas du tout la tonalité des documentaires animaliers classiques. C’est plus de l’ordre d’une histoire qu’on raconte…
« C’est une volonté assumée. J’en ai marre des documentaires catalogues, où il y a certes une succession de petites histoires, mais pas de grande histoire, pas d’émotions, pas de héros, pas de personnages secondaires. J’ai vraiment utilisé les outils de la fiction. Les enfants aujourd’hui sont habitués à cela, à un niveau de fiction très élevé. Je voulais les intéresser à la nature en utilisant des outils de fiction. Je ne m’intéresse pas à l’espèce renne, mais je m’intéresse à Aïlo. Chaque animal a son caractère. Dans les documentaires animaliers, on reste souvent en surface, en restant uniquement sur l’espèce en elle-même. J’ai voulu aller plus loin, rentrer dans leur tête et m’intéresser à ce qu’ils ont dans leur tête en tant qu’individus. »Aviez-vous un scénario de départ ? J’ai du mal à imaginer un scénario dans des conditions telles que vous avez dû les vivre parce qu’avec des animaux sauvages, ça doit être l’improvisation totale, même avec une trame de départ…
« Si, j’ai vraiment écrit un scénario. C’est mon scénario idéal, mon histoire idéale. Comme je filme des animaux sauvages, j’ai dû constamment m’adapter : toutes les fins de semaine de tournage, je réécrivais mon scénario. Il suffisait que je regarde une fois de plus ce qu’on avait tourné : un regard, une attitude m’interpellaient et je réécrivais des séquences. Je me suis constamment adapté. Ce film est le point de vue d’un animal sur un autre animal. Je ne peux pas contrôler l’animal qui est devant moi car il vit sa vie. Par contre je peux contrôler l’animal-caméra. A mes cameramen, je disais par exemple : ce matin, tu es une hermine et tu vas filmer un renard. Il devait se mettre dans l’idée qu’il était une proie, qu’il devait faire attention, bouger différemment. C’est ainsi que j’ai pu contrôler la caméra-animal, pas celui en face. »
Connaissiez-vous la Laponie auparavant ?
« J’étais venu en Laponie quand j’avais 18 ans. J’avais fait un raid photoreportage. »
Cela vous avait donné envie de revenir ?
« Les moustiques non ! (rires) J’avais un souvenir des moustiques en plein été. Par contre le côté rude de la vie m’intéressait ainsi que la vie de ces rennes. Les rennes ce sont des proies. Il y a de très bons films sur les lions, mais ce sont des prédateurs qui ne risquent rien. Avec un renne, on ne sait pas comment ça va se finir : il naît proie et meurt proie. Ça laisse envisager beaucoup de scènes parfois drôles, parfois dramatiques. En tout cas, la vie est dure pour un renne. »
Comment êtes-vous parvenu à suivre un tout petit bébé renne pendant tout son périple ? Aïlo est un petit qui est littéralement né devant la caméra…« Il est vraiment né très proche de nous, contrairement aux autres petits rennes. Sa mère lui a donné la vie à quelques mètres de nous ce qui signifie qu’elle nous faisait confiance. Cette confiance, elle l’a transmise à son petit : c’est comme ça que ça se passe dans la nature. Aïlo a ouvert les yeux, il a vu sa mère, son troupeau et puis nous. Il ne nous a évidemment pas pris pour des rennes, mais nous faisions partie de son cercle de confiance, de son troupeau. Alors qu’il était difficile de filmer les autres petits rennes, lui a vécu sa vie de renne sans se soucier de nous. »
Comment rendre au mieux et au plus vrai la vie de ces animaux sans la perturber ?
« C’est un équilibre très délicat. C’est une question de patience. Pour Aïlo, il est né tout près donc il nous a très vite intégrés dans son cercle de confiance. Les autres, c’était du temps. Par exemple, le glouton, il nous a d’abord vus et il est parti. Nous on est restés, pendant plusieurs jours, sans le voir. Il est revenu car c’est son territoire. Il a vu qu’on n’avait pas bougé, qu’on restait tranquilles. Il s’est fait à notre présence. D’abord inquiet, il est retourné à sa vie de glouton et c’est là qu’on a commencé à filmer. »
On apprend dans ce film, dès le début, que le changement climatique perturbe grandement la vie de ces rennes, notamment dans la mise à bas des petits par les femelles. Vous parlez des rennes sauvages, mais en Laponie, il y a aussi des rennes d’élevage. A l’heure actuelle, un projet minier en Norvège menace leur élevage par les populations Sami. Quelles sont les menaces principales pour la faune locale ?« Il y a une menace claire par exemple sur le petit renard polaire. Il n’y en a presque plus en Norvège. C’est très simple : le renard polaire vit depuis des millénaires très haut dans le nord, et n’a jamais été dérangé par d’autres prédateurs. Ensuite, il y a le renard roux qui vit en bas. Sauf qu’en haut, il fait de plus en plus chaud, donc le petit renard roux, bien plus gros que son cousin polaire, il monte sur son territoire et il prend toute sa nourriture. Le renard polaire n’a plus de quoi manger et meurt. Voilà un exemple concret à présenter aux enfants pour leur expliquer le réchauffement climatique. Pour Aïlo, c’est une succession de chaud-froid, chaud-froid qui fait qu’il y a beaucoup de couches de glace qui se superposent. C’est donc impossible pour les femelles de casser la glace, alors qu’avant il n’y en avait qu’une après la neige. Elle n’arrive pas à la casser avec leurs sabots et ne peuvent donc pas nourrir leurs petits. »
Dans la version française du film, c’est le chanteur français Aldebert qui lit le commentaire. Dans la version tchèque, il s’agit de l’acteur et présentateur Marek Eben. Qu’avez-vous pensé de la voix tchèque du film ?« J’ai aimé : il a vraiment joué un rôle, un personnage. C’est ce que je voulais à travers la voix off, ce n’est pas uniquement une narration, c’est un personnage. Il a vraiment joué : il y a des moments où il hésite, où il chuchote, où il rit un peu. J’aime bien ce côté camarade qui fait aussi partie de la nature. Je suis agréablement surpris. »