150 ans depuis la naissance du général Faucher, l’homme qui a dit non aux Accords de Munich
Il y a 150 ans naissait à Saivres, dans le centre-ouest de la France, Louis-Eugène Faucher, officier général et résistant français. Celui qui a dirigé la mission militaire française en Tchécoslovaquie à partir de 1926 s’est élevé contre sa hiérarchie en protestant contre l’abandon du pays par la France fin septembre 1938, quelques jours avant la signature des Accords de Munich.
Qu’est-ce qui peut bien inciter un officier de carrière, occupant un poste de prestige de représentant de la France à l’étranger, à défier sa hiérarchie en se mettant à la disposition de cette même armée étrangère qu’il épaule ? Lorsqu’en 1938 la crise des Sudètes est à son paroxysme, le général Louis Eugène Faucher a été cet homme qui s’est élevé et a dit non au renoncement français et britannique de soutenir leur allié tchécoslovaque.
Pour répondre à cette question, il faut d’abord revenir sur la jeunesse de Louis Eugène Faucher. Il est un de ces enfants qui a évolué dans l’école française d’après la défaite de 1870, celle qui éduque des « bataillons de futurs petits soldats » prêts à prendre leur revanche sur l’Allemagne et à récupérer l’Alsace-Lorraine. Ce fils d’un menuisier et d’une lingère aspire à devenir marin, il rêve de destinations lointaines. Myope, il ne peut rentrer à l’école navale et bifurque vers l’école polytechnique. Son aspiration à un ailleurs lointain aurait pu l’amener dans l’armée coloniale, mais non, c’est la Tchécoslovaquie qu’il choisit – voire qui le choisit. Il choisit se tourner certes vers carrière dans l’armée, mais affiche un parcours militaire fort singulier dont son poste à Prague sera le symbole.
La République tchécoslovaque naît le 28 octobre 1918. Soutenue par les puissances occidentales, dont la France, la nouvelle république indépendante accueille en 1919 la mission militaire française, chargée de former la nouvelle armée tchécoslovaque. Sa direction est confiée au général Maurice Pellé (1863-1924) qui fait rapidement appel à Louis-Eugène Faucher, « l’homme de la situation », selon lui. Contre toute attente, Faucher reste pendant près de 20 ans en Tchécoslovaquie, s’éprend d’une femme tchèque, tout comme de ce pays dans lequel il perçoit intimement quelque chose que la France a perdu, à ses yeux : une population unanime, fière d’être maîtresse de son destin.
Né en 1934 à Prague, son fils Václav Eugène Faucher est aujourd’hui âgé de 90 ans. De ses années pragoises il se souvient de ses balades dans le parc de Stromovka, et d’une chute mémorable dans l’eau d’une mare au milieu des canards. C’est lui qui entretient depuis la mémoire de son père. Le général qui prend la tête de la mission militaire en 1926 est une personnalité à part comme aime à le rappeler son fils :
« Il n’est pas passé inaperçu au ministère des Affaires étrangères allemand. Dans les archives de la Wilhelm-Strasse, il y a une note sur Faucher qui le décrit comme ‘ein Ausgresprochenerscharfmacher’, en gros, un excité de première ! Je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion de le sonder sur ce qu’il pensait de l’avertissement de Jules Cambon en 1919. Il était un des principaux négociateurs lors des discussions préliminaires du Traité de Versailles. Il avait déclaré : ‘maintenant la grande affaire sera d’amener les Français à se résigner à ce que leur nation soit une nation de second rang’. Benes avait télégraphié à Masaryk que dans les négociations de Versailles, la France n’avait rien à dire. Benes était donc parfaitement au courant de la défaite française en 1918 : les Etats-Unis avaient gagné la guerre, mais pas la France. »
C’est ce constat et ce contraste qui marquent le général Faucher : pour son fils, ce dernier a très vite compris que son point de fuite avait été très judicieusement choisi parce qu’il est tombé dans un pays qui connaissait le « paroxysme de sa fierté ». Une fierté qu’il n’arrivait pas à retrouver en France, mais qu’il trouvait offerte sur un plateau en Tchécoslovaquie. Cet attachement trouvera son illustration dans un geste fort et inouï : face aux pressions exercées par la France et l’Angleterre sur la Tchécoslovaquie, il donne sa démission au gouvernement français le 23 septembre 1938 et se met à la disposition de la Tchécoslovaquie.
« Il s’est mis à la disposition du gouvernement tchécoslovaque pour toute mission qu’il voudrait bien lui confier. Mais les Accords de Munich ayant été conclus il n’y avait plus de mission, plus de défense possible. Nous ne sommes pas rentrés en même temps que lui, nous sommes rentrés, ma mère, ma grand-mère et moi, après l’invasion de la Tchécoslovaquie. C’était fin mars 1939. Beaucoup de gens ont mis du leur pour nous aider. Ça n’a pas été facile. Je me rappelle notamment le travail exténuant de l’avocat Otakar Flanderka qui a malheureusement été arrêté par la Gestapo et est mort en déportation. Il y avait des quantités de formalités que, sans lui, on n’aurait pas pu mener à bien. Nous sommes partis avec l’Orient-Express. Nous étions dans le même compartiment que des Tchécoslovaques juifs qui nous ont dit qu’ils allaient en Amérique car c’était plus sûr. »
Quelques jours plus tard, les Accords de Munich sont signés, mais le général Faucher a d’ores et déjà montré qu’il était tout à la fois un patriote français… et tchèque !
« Rester en fonction à Prague, c’était se porter garant de cette imposture. Il ne pouvait pas rester plus longtemps complice de cette imposture. La coopération franco-tchécoslovaque était déraisonnable car elle supposait que la France soit encore une nation de premier rang. Ça, De Gaulle n’en avait pas pris conscience. Il a attendu Munich pour écrire à sa femme : la France n’est plus une nation de premier rang. Alors que Jules Cambon l’avait compris dès 1919 en écoutant ce qui se disait pendant les négociations du Traité de Versailles. Ce que Benes avait compris lui-même, car il était aussi un des négociateurs. Il avait compris que la France n’avait rien à dire, et il l’avait fait comprendre à Masaryk. Donc ni Beneš ni Masaryk n’ont été dupes mais ils ne pouvaient dire à leur peuple : cette indépendance durera ce qu’elle durera. »
Rentré en France au printemps 1939, le général Faucher se retrouve très vite pris dans l’engrenage de la guerre qui gagne tout le continent : mobilisé, il est chargé d’assister la formation de l’armée tchécoslovaque à Agde dans le sud de la France. Après l’armistice, il rentre chez lui, à Saint-Maixent où bientôt il sera appelé à rejoindre la Résistance.
« Il était important pour De Gaulle d’avoir un général de corps d’armée dans son entourage, pour son crédit auprès des Alliés, et des Britanniques notamment. En sorte que le travail de Faucher dans la Résistance a été fort peu de choses. Il a répondu oui à l’appel de De Gaulle et il a été arrêté avant de pouvoir faire beaucoup. Il a quand même eu le temps d’être nommé responsable de la région sud-ouest de Libération Nord, organisation rivale de l’organisation de Résistance dans l’armée. Et il a réussi à fédérer les résistants à proximité immédiate, mais pas jusqu’à Bordeaux. »
Arrêté par la Gestapo en 1944, Louis-Eugène Faucher est détenu au camp de Füssen-Plansee jusqu’à la fin de la guerre. Par la suite, il s’efforcera de retisser cette amitié franco-tchécoslovaque si importante pour lui. Très vite alarmé par le fait que l’association France-Tchécoslovaquie créée en 1945 devienne si vite noyautée par les communistes, notamment après le coup de Prague en 1948, il décide de créer l’Amitié Franco-Tchéco-Slovaque qui publie régulièrement un bulletin.
Václav Eugène Faucher avait pris le relais de l’association après la mort de son père il y a soixante ans. Aujourd’hui, il a également passé la main, et nous aurons l’occasion de reparler de l’association et du bulletin sur cette antenne d’ici la fin de l’année.