Erko, la première bière tchèque produite avec de l’eau recyclée
Pour la première fois en République tchèque, une bière brassée à base d’eaux usées recyclées a été récemment distribuée. Olaf Körner est un des copropriétaires de la microbrasserie de Čížová, petite commune de Bohême du Sud, qui a tenté l’expérience, fruit d’une coopération avec le groupe français Veolia, spécialisé notamment dans l’assainissement et le recyclage des eaux usées. Une expérience réussie, comme Olaf Körner l’a expliqué à Radio Prague :
« C’est d’abord le management de Veolia qui nous a sollicités. L’idée était de montrer que l’on peut aussi utiliser l’eau recyclée pour produire une bière de qualité. »
En quoi cette eau diffère-t-elle de celle que vous utilisez habituellement ?
« Il s’agit en fait d’une eau hyper propre. Elle est même plus propre que l’eau que nous exploitons pour brasser notre bière. La différence est qu’après le processus de recyclage, il n’y a plus de minéraux dans l’eau. C’était donc là le défi à relever pour nous de façon à pouvoir nous en servir pour produire de la bière. »
Justement, on ne brasse pas de bonne bière sans une eau de qualité…
« Il fallait juste adapter cette eau de façon à disposer des ingrédients nécessaires pour pouvoir produire de la bière. Je pense là notamment à la fermentation. A partir du moment où nous y avons ajouté les minéraux nécessaires, c’est devenu une eau comme les autres. La bière que nous avons obtenue est la même que celle que nous brassons habituellement. Le résultat final est donc plus ou moins identique. »
Vous avez donc brassé une lager tchèque classique ?
« Tout à fait. Il s’agit d’une lager de type pils avec 12 degrés de fermentation (il s’agit du degré dit Balling, à savoir la teneur d’extrait sec du moût avant fermentation, aussi appelé la densité primitive de moût, soit le jus en forte teneur en sucre obtenu en salle de brassage à partir du mélange d’eau chaude, de malt et, éventuellement pour certaines bières, d’autres céréales. Ainsi donc, pour obtenir une bière de 12 °, les brasseurs tchèques mélangent 12 % de moût avec 88 % d’eau) et environ 5 degrés d’alcool. »Vous avez brassé 15 hectolitres de cette bière pour ce premier essai. Quel accueil lui a-t-il été réservé par ses premiers consommateurs ?
« Nous l’avons d’abord proposée avec Veolia lors d’un salon à Prague réservé aux professionnels du recyclage de l’eau. Nous l’avons mise dans des petites bouteilles de 33 cl de façon d’abord à pouvoir la présenter à différents clients de Veolia. De notre côté, à la brasserie, nous avons ensuite distribué cette bière sans même préciser l’origine de l’eau, et sa réception a été très positive. Cela signifie que la bière est de qualité. »
L’appellation de cette bière est Erko. Que signifie-t-elle ? Et pourquoi est-elle distribuée avec deux étiquettes différentes ; une jaune et une bleue ?
« Le nom d’Erko a été choisi par Veolia. En tchèque, ‘erko’ désigne tout simplement la lettre ‘R’, qui est la première du mot ‘recyclage’ (‘recyklace’ en tchèque). Une étiquette est utilisée pour la cuvée brasée avec de l’eau recyclée, tandis que l’autre sert pour les bières brassées avec de ‘l’eau normale’, à savoir l’eau que l’on exploite habituellement dans notre brasserie. Pourquoi ça ? Parce que notre idée est de poursuivre la coopération avec Veolia. »
Allez-vous donc continuer à produire et à distribuer cette bière ?
« C’est une bonne question. Actuellement, nous brassons une nouvelle cuvée de ‘Erko’ avec de l’eau potable, mais l’idée est quand même de produire une nouvelle cuvée à base d’eau recyclée. »Cette production à base d’eau recyclée est-elle intéressante d’un point de vue économique ? Le recyclage des eaux usées a un prix, et on peut supposer que pour une brasserie, utiliser l’eau qui est directement disponible est plus rentable.
« Aujourd’hui, économiquement parlant, brasser avec de l’eau usée recyclée ne présente effectivement aucun avantage. Mais l’idée à la base était surtout de démontrer que de l’eau recyclée peut être utilisée pour produire de la bière, et qu’elle peut donc être consommée, car à l’avenir, les quantités d’eau recyclée sont appelées à augmenter. L’aspect économique du projet n’était donc pas encore notre principale préoccupation. Il l’était d’autant moins que Veolia nous a fourni l’eau gratuitement. Il ne faut pas non plus oublier le coût du transport de l’eau jusqu’à la brasserie. »
« 600 à 700 brasseries pourraient coexister en République tchèque »
Plus généralement, dans quelle mesure les économies d’eau constituent-elles aujourd’hui une priorité pour les brasseries ?
« Ca le devient forcément de plus en plus parce que les besoins en eau des brasseries sont énormes. Le calcul est simple : pour pouvoir produire un litre de bière, il faut compter de quatre à cinq litres d’eau. C’est donc un élément qui sera pris en compte de plus en plus régulièrement. Le recyclage des eaux est donc une voie pour l’avenir. Mais nous ne sommes pas la première brasserie à avoir tenté l’expérience. Des brasseries américaines en Californie et dans le Colorado ont procédé à des essais similaires. Carlsberg aussi. »
D’autres bières ont aussi été produites par exemple avec du pain rassis ou de l’eau de pluie, toujours dans un souci d’économie. Est-ce là une tendance que vous pourriez être tentés de suivre ?
« Oui, certainement. Il y a deux aspects dont il faut tenir compte : où prendre l’eau sans nuire à l’environnement tout en proposant sur le marché des produits différents. Les gens sont curieux et ont envie de goûter de nouvelles choses. »
Beaucoup de microbrasseries se sont ouvertes ces dernières années en République tchèque. Est-ce compliqué de faire son trou sur ce marché ?
« Ce n’est pas une tendance propre à la République tchèque. L’évolution est la même en Europe et aux Etats-Unis. La raison est que les procédés sont tels aujourd’hui qu’il est possible de produire de la bière de très bonne qualité en petites quantités. Cela nous ouvre des possibilités pour différentes bières. Aujourd’hui, on parle de quelque 500 microbrasseries existantes en République tchèque, mais leur production ne représente que 2 à 3 % de la production annuelle totale dans le pays. L’objectif des brasseries comme la nôtre est de produire est une bière régionale pour une distribution locale. Il y a donc certainement encore de la place pour d’autres brasseries. On parle d’ailleurs généralement de 600 à 700 brasseries qui pourraient coexister en République tchèque. »