Festival Jeden Svět - A la découverte de la culture des hommes éléphants
Les Bunongs sont un peuple établi dans l’est du Cambodge, dont les éléphants, qu’ils ont appris à capturer et à domestiquer, occupent une grande place dans la culture. Présenté à Prague dans le cadre de la dix-septième édition du festival documentaire Jeden Svět, le film « Les Derniers Hommes éléphants » propose de partir à la rencontre de ces gens, dont le mode de vie est aujourd’hui menacé par la déforestation et l’apparition de nouveaux enjeux tels que le tourisme. De passage dans la capitale tchèque, Arnaud Bouquet, l’un des coréalisateurs de ce long-métrage, a répondu à nos questions.
Pour pouvoir les planter, il faut avoir énormément de sol. Donc la Socfin achète des morceaux de forêt, coupe la forêt et plante l’hévéa à cet endroit. Une fois que l’hévéa est planté, tout ce qui pousse autour meurt et toute vie animale est menaçante pour les arbres à caoutchouc, en particulier les éléphants, qui n’ont pas de problème à arracher un arbre en quelques secondes. Donc on chasse aussi les animaux de leur habitat naturel. »
Ce n’est pas le sujet du film mais avez-vous tenté de contacter cette compagnie ?
« Oui, nous avons filmé sur des morceaux de forêt qui aujourd’hui leur appartiennent mais qui sont revendiqués par les Bunongs comme étant des terres ancestrales. Il y a même eu des drames à ces endroits car les Bunongs enterrent leurs morts dans les forêts aux pieds des arbres et ces terres ont été dévastées par les compagnies sans aucun remord. Donc on les a contactés, mais cela a toujours été une fin de non-recevoir. Ils ne veulent pas être filmés, ils ne veulent pas donner d’entrevue, etc.
On a donc laissé tomber mais de toute façon, ce n’était effectivement pas notre propos. Avec « Les Derniers hommes éléphants », nous n’avons pas voulu faire un film d’activiste, un film à charge contre les compagnies. Nous avons voulu nous approcher au plus près des Bunongs, qui, finalement, sont des gens très méconnus. On ne sait pas qu’il y a ces autochtones avec cette culture au Cambodge. »Vous avez réalisé trois portraits de Bunongs. Comment avez-vous sélectionné ces personnes ?
« Tout d’abord, il y a le personnage clef de ce documentaire qui s’appelle Mrey, un vieil homme aujourd’hui décédé, qui était âgé entre 75 et 80 ans. Les gens ne connaissent pas nécessairement leur âge chez les Bunongs. Avec lui, cela allait de soi, parce qu’il est le dernier homme éléphant, c’est-à-dire qu’il a la capacité de communiquer avec l’esprit des éléphants. C’était le dernier à maîtriser ce savoir. Les Bunongs sont des animistes, ils croient à l’esprit de la forêt, à l’esprit des animaux.
Pour le deuxième, nous avons voulu aller vers la nouvelle génération, donc nous avons été à la rencontre de Duol, un jeune garçon de 16 ans, qui lui, comme pas mal de gens de la nouvelle génération chez les Bunongs, utilise les éléphants pour gagner de l’argent avec les touristes. C’est un phénomène nouveau. Pendant longtemps, ils ont utilisé les éléphants pour les tâches agricoles et forestières. Mais depuis quelques années, ils font énormément d’argent, soudainement avec les touristes qui veulent faire des trekkings à dos d’éléphant. De la même façon, nous n’avons pas voulu faire un documentaire à charge contre le tourisme. Nous ne jugeons pas cette activité. Nous avons voulu montrer ce que cela impliquait pour l’éléphant et pour les gens.La troisième personne est une activiste du nom de Mané. Une fille qui est sortie de la communauté, qui a étudié à Phnom Penh, qui a voyagé un peu partout dans le monde, et qui milite pour les droits des Bunongs. Elle a aussi un drame personnel très touchant. L’éléphant qu’elle possédait enfant avec sa famille a été vendu. La famille a aujourd’hui des regrets et elle part en quête de retrouver son éléphant à travers le pays. »
Dans le film, on voit des gens discuter entre eux naturellement. Comment avez-vous mis cela en scène ?
« La particularité des « Derniers Hommes éléphants », c’est que nous avons passé beaucoup de temps avec les gens sur le terrain. J’ai passé quatre mois en tout et pour tout étalés sur une période d’un an avec plusieurs voyages, trois ou quatre. Deux mois ont certainement été consacrés à mettre les gens en confiance, à passer du temps sans la caméra avec eux, à leur expliquer le projet. Les deux derniers mois ont été consacrés au tournage.Une fois qu’on a gagné la confiance de toutes ces personnes, des protagonistes en particulier, il a effectivement été assez aisé de les faire rentrer dans le jeu finalement du documentaire. Nous n’avons pas hésité à jouer certaines choses, connaissant des éléments de leur vie, connaissant les quêtes qui étaient les leurs, les difficultés qui étaient les leurs. Nous n’avons pas hésité par moment à les faire s’asseoir ensemble et à les faire jouer un peu leur vie comme si on était dans de la fiction en fait. Sans évidemment tourner le dos à la réalité, en étant fidèle à ce qu’était leur vie. Cela a permis d’avoir ces moments où ils discutent comme si personne n’était là, sans se soucier d’aucune traduction. »
Est-il facile de filmer des éléphants ?
« L’éléphant est un animal charmant mais on est loin de Dumbo l’éléphant, c’est un animal extrêmement dangereux. Les Bunongs ont été très protecteurs dans les premiers tournages car il me voyait m’approcher de façon naïve des éléphants pour pouvoir les filmer. Il a fallu que je prenne un ou deux coups de tête d’éléphant pour comprendre que, même domestiqué depuis 50 ou 60 ans, l’éléphant reste un animal extrêmement dangereux, extrêmement puissant, extrêmement imprévisible.Mais ce qui est fascinant, c’est qu’à un moment donné, ce sont les Bunongs qui me l’ont expliqué, les éléphants s’habituent à votre odeur. A un moment donné, j’ai réalisé que les quelques éléphants que j’avais pris l’habitude de filmer n’avaient plus peur de moi. Selon mes amis bunongs, c’est parce qu’ils étaient habitués à mon odeur corporel et ils étaient capables de m’identifier. »