Georges de Podebrady

530 ans s'écoulent, cette année, de la mort du roi Georges de Podebrady, une des grandes personnalités de notre histoire, dont le legs demeure de toute actualité. Les 13 années de son règne ont laissé une trace ineffaçable dans l'histoire tchèque: Georges de Podebrady a été le premier et unique roi utraquiste élu de la volonté du peuple, et non pas issu d'une famille régnante. Son nom reste lié à un projet dépassant son temps: projet de création d'une union pacifique pan-européenne des pays souverains égaux en droit, ayant le statut d'une charte pacifique universelle. On dirait, aujourd'hui, le projet d'une Europe unifiée...

Le futur roi, Georges de Podebrady, est né en 1420, dans une famille de la noblesse tchèque: son père, Viktor Bocek de Kunstat, a été un ami du commandant hussite, Jan Zizka. Georges de Podebrady est né, 5 ans après la mort de Jean Huss sur le bûcher de Constance pour ses idées réformatrices proclamées hérétiques. Cette période du hussitisme culminant a marqué toute la vie de Georges de Podebrady. Peu après la mort prématurée de son père, Georges se retrouve dans le milieu du puissant seigneur Hynek Ptacek, l'un des organisateurs de l'union des nobles ayant combattu l'aile radicale des hussites dans la bataille de Lipany. C'est ainsi, donc, que Georges, par ce concours de circonstances, s'est retrouvé, à 14 ans, en écuyer, sur le champ de la bataille de Lipany, livrée en 1434, contre les taborites, aile radicale du mouvement hussite, dont le radicalisme menaçait de pousser le pays à des conflits perpétuels.

Le nom de Georges de Podebrady se fait remarquer, plus tard, lorsqu'il devient un commandant militaire brillant: ainsi, en 1448, Georges de Podebrady a pris d'assaut Prague, devenant l'homme le plus puissant, dans le pays. En 1452, il est nommé lieutenant général du royaume de Bohême. C'était dans une période dite d'interrègne, quand le pays n'avait pas de roi, puisque Ladislas, fils posthume du duc d'Autriche, Albrecht, était trop jeune pour pouvoir régner: aussi, le pays a été agité par de petites guerres, auxquelles Georges de Podebrady a mis résolument fin.

L'expérience militaire vécue dès la tendre enfance, ainsi que son pouvoir atteint par l'épée n'étaient point en contraste avec les aspirations nettement pacifiques de Georges de Podebrady. Ses actes ont été dictés par la raison, sa tactique, c'était la diplomatie, sa stratégie - la tolérance. Il a vite compris que la prospérité de l'Etat est une valeur indépendante, qui ne peut pas être soumise à une idéologie quelconque. Son éducation, et les principes par lesquels il était guidé, l'ont prédéterminé pour une carrière d'homme politique, grand diplomate et initiateur des projets pacifiques d'envergure européenne. Apôtre de la tolérance religieuse, Georges de Podebrady est devenu, en 1458, roi tchèque élu, aussi bien par des catholiques que des calixtins, roi respectant leur égalité en droit, à tous les niveaux. En 1453, Georges de Podebrady reconnaît Ladislas posthume roi tchèque et, en revanche, ce dernier le confirme dans son poste de lieutenant général du pays. Après la mort du roi Ladislas , à l'âge de 17 ans, lorsque le trône est resté sans héritier légitime, c'est le lieutenant général, Georges, qui est élu par la Diète, au scrutin secret, le 2 mars 1458, roi de Bohême: premier et unique roi calixtin, issu de la volonté du peuple, et non pas d'une famille régnante.

Comment était ce roi issu d'une famille non royale? En premier lieu, extrêmement responsable au profit de la nation et de l'Etat. Il a su unifier la nation, il disposait d'une armée puissante et expérimentée, lui-même étant un commandant brillant, quoi que préférant régner par la diplomatie et la raison. Sous son règne, on était témoin d'un phénomène unique en son genre en Europe, mais qui était à la fois risqué, face à la curie papale, à savoir de la coexistence légale de deux églises dans un seul Etat: catholique et réformatrice hussite. Rome considérait cet état de choses comme transitoire et Georges de Podebrady, en tant qu'homme politique réaliste, ne se faisait pas, lui non plus, d'illusion sur les intentions de Rome en ce sens. Ainsi, une attitude politiquement réfléchie, une tactique consciente de son but à l'égard de la curie papale, sont devenues des points de départ de sa politique. Ayant donné la promesse de déraciner l'hérésie, il pourchassait toutes sortes de sectarisme, en tolérant, cependant, des utraquistes ce qui est devenu, au fur et à mesure, la pomme de discorde entre lui et Rome. L'intransigeance du souverain tchèque peut être illustré par sa réponse donnée à l'interlocuteur papal à Prague: "Je ne reconnais personne à être le juge de ma conscience." Vu son origine, Georges de Podebrady préférait toujours, dans ses discordes avec la curie papale, les intérêts du peuple et de la nation aux aspects héritiers. Sous son règne, Tchèques et Moraves refusaient de soumettre la souveraineté de leur Etat à Rome. La tension, qui a duré plus de 4 ans, a culminé, en 1462, par l'abolition, par le pape Pie II, de l'accord dit de Compactata, grâce auquel la religion hussite était reconnue en tant que christianisme orthodoxe. Plus, le pape a jeté l'anathème sur Georges de Podebrady. Une croisade se préparait contre la Bohême. Le pape a joué son dernier atout: faire entrer la Bohême dans un isolement politique. Pour sa part, le roi Georges de Podebrady n'est pas resté inactif. Il s'est mis à mettre au point un projet grandiose d'une large portée: celui de défense pan-européenne contre la pénétration turque en Europe et, par la suite, il visait un projet d'organisation pacifique générale. La clé de cette idée, qui n'a pas d'équivalent à l'époque - éliminer les guerres et conflits armés, placer toute agressivité hors la loi, maintenir une paix durable. Ce projet, élaboré en commun avec le conseiller du roi Georges de Podebrady - le Français Antonio Marini - visait plus loin encore: vers la création d'une union des pays souverains égaux en droit, ayant le statut d'une charte pacifique universelle. Un document unique en son genre, dépassant de loin son époque, et proche, par ses principes, de la Charte de l'ONU que seulement notre siècle cherche à faire prévaloir.

L'analyse détaillée du projet sera le thème de notre prochaine rencontre.