Jan Zrzavy
Les bateaux qui dorment, La valée de la tristesse, Cléopâtre, Une dame voilée, ce n'est qu'une petite fraction de l'eouvre de l'un des plus grands peintres tchèques - Jan Zrzavy - qui aurait eu 110 ans, le 5 novembre. Par sa vie ainsi que par son oeuvre, cet artiste a dépassé largement les frontières de son pays pour être considéré aujourd'hui comme peintre de renommée européenne. Et ce n'est pas encore tout, cet homme a passé une partie de sa vie en France, plus exactement en Bretagne qu'il aimait et dont les ports avec des bateaux figurent sur nombre de ses tableaux.
Jan Zrzavy est né le 5 novembre 1890 à Okrouhlice où son père était directeur de l'école. A l'âge de treize ans, il a décidé de devenir peintre, mais le chemin esquissé s'est avéré très difficil. Il s'en souvient lui même : »J'était mauvais élève, paresseux, on dirait un cas désespéré. Mais en réalité j'avais beaucoup d'intérêt, dont la lecture et la peinture, mais les instituteurs ne voulaient pas le comprendre... ».
Après avoir terminé ses études secondaires, Zrzavy part pour Prague où il s'inscrit à l'Ecole supérieure des Arts décoratifs. Mais, plutôt qu'à l'école, il va à la galerie voisine où il étudie l'art pictural. Ainsi il se familiarise et se voit enchanté par les peintres du quatrocento : Boticelli, Giotto, Fra Angelico, par les sculptures orientales babyloniennes, indiennes ou sumériennes. Tout cela a sans doute infuencé l'oeuvre de Zrzavy mais un vrai tournant ne vient qu'en 1907, lorsqu'une grande exposition de la peinture impressionniste française a lieu à Prague. Evidemment, les oeuvres de Gaugin, Gogh ou Degas n'ont pas influencé seulement Zrzavy mais toute l'avant-garde tchèque. « Ces peintres m'ont montré ce qu'il nous faut pour traduire sur la toile notre imagination. C'est de rester indépendant et de n'avoir pas peur de tout essayer », a dit Zrzavy à l'époque. Avide de connaître le pays qui a donné au monde autant d'artistes excellents ; Zrzavy fuit Prague pour aller étudier à Paris. Sans argent, sans souffler un mot en français, il essaie de contacter les peintres tchèques vivant à Paris mais il ne les trouve pas et il en va de même avec le travail. Il doit retourner au pays.
Les années précédant la Première Guerre mondiale ont vu non seulement un essor culturel sans précédent mais aussi la naissance d'une toute nouvelle intelligentsia tchèque moderne dans le cadre de l'empire austro-hongrois. Jan Zrzavy fait la connaissance de plusieurs membres de cette intelligentsia pour former avec eux le groupe artistique nommé Tvrdosijni, les Tétus. A l'époque, Zrzavy est influencé par le cubisme de Picasso et le symbolisme qui lui permettent de matérialiser ses sensations psychiques. Après la guerre, il quitte ces deux styles pour trouver une nouvelle façon d'expression. La découverte de la Bretagne et de Venise y joue le rôle primordial. En 1924, en effet, il s'installe dans la Mecque des artistes, Paris, pour y rester quinze ans. Ses souvenirs parisiens sont assez intéressants car il y fréquentait beaucoup de peintres, dont Utrillo, Chagall, Picasso, Braque ou Modiliani. « Je les voyais de temps en temps, mais nos rencontres étaient plutôt rares. Utrillo était fou. J'ai vu aussi Picasso et Chagall qui étaient très prétentieux, tel un petit monsieur bouclé. Je n'aime pas cette sorte de gens... », a dit Zrzavy. Mais c'est surtout la Bretagne qui devient la terre promise de Zrzavy et c'est avec une profonde émotion qu'il relate sa première rencontre avec elle : » Lorsque j'ai mis pour la première fois le pied sur le sol breton, il me sembla qu'un rêve doux et merveilleux venait se réaliser. Tout m'était connu, je me sentais en sécurité comme si, après un long et pénible pèlerinage, j'avais enfin atteint le but ».
Zrzavy a vécu en Bretagne pendant de longues années et l'amour qu'il ressentait pour elle l'a lié à jamais avec ce coin de la terre. C'est dans l'île de Sein qu'il a découvert les contrastes terrestres sous leur forme la plus dénudée : sur ses tableaux, les voiliers se balancent entre le ciel et la mer, symboles de l'ardent désir humain d'horizons lointains...
Le désir d'aller en Bretagne date de l'enfance, se souvient Jan Zrzavy. « Etant petit garçon, j'ai lu dans un magazine pour enfants une nouvelle sur deux enfants vivant sur l'île de Sein. C'était beau et j'ai été curieux de connaître ce coin du monde. Cette île m'a enchanté ; elle était presque déserte et comptait à peine une douzaine de maisons où vivaient les pêcheurs - descendants de pirates et de bandits qui s'y réfugiaient pour fuire la justice. Les gens y vivaient de façon assez primitive et j'ai voulu partager cette vie avec eux », se souvient le peintre.
Malheureusement, Jan Zrzavy n'a pas réalisé son rêve à cause des événements de 1938 qui l'ont ramené dans sa patrie. Néanmoins, les paysages qu'il a peints depuis ne cessent de refléter ses impressions bretonnes. Il en parle : » L'île de Sein a influencé pratiquement toute ma création artistique. Chacun d'entre nous a sa propre île réelle ou imaginaire et mes tableaux traduisent quelque chose de cette atmosphère sombre, de ce désir de partir dans une île rêvée ».
L'oeuvre de Jan Zrzavy illustre la remarquable aptitude de matérialiser les processus et les états de la vie psychique. Les visages, les personnages, les formes des paysages et des choses jaillissent du subconscient devenant des symboles déchirants de la douleur, de la tristesse et de la souffrance.
Ceux-ci s'infiltrent dans l'oeuvre de Zrzavy avec l'étrange objectivité magique des primitifs. Une lumière mystérieuse y brille en plus représentant une force psychique, une âme visible. Giorgio Chirico, qui a vu son tableau Cléopâtre a merveilleusement saisi le sens de cette oeuvre lorsqu'il a déclaré : »Après Odillon Redon, Edward Munch et le douanier Rousseau, Jan Zrzavy donne à la peinture spirituelle une puissante et inoubliable impulsion... ».
Après la fin du second conflit mondial, Zrzavy n'est pas vraiment très prisé par le régime communiste et il se retire petit à petit de la scène publique. Il est mort en 1977 à l'âge de 87 ans.