Khalifa Ababacar Dieng : « Prague va forcément m’inspirer »
Depuis neuf ans, le centre d’art contemporain de la MeetFactory propose aux artistes des quatre coins du monde de venir passer plusieurs semaines à Prague. Ce programme de résidences croisées qui permettent à leurs participants de se concentrer davantage sur leur travail, tout en se laissant influencer par l’atmosphère de la capitale tchèque, est très populaire auprès des artistes francophones. Cet été, c’est le Sénégalais Khalifa Ababacar Dieng qui vient habiter pendant trois mois dans un des quinze ateliers proposés à cette fin. Deux semaines après son arrivée, il s’est confié au micro de Radio Prague :
« Je m’appelle Khalifa Ababacar Dieng. Je suis artiste, plasticien, designer et scénographe sénégalais. Beaucoup de gens me considèrent comme un peintre mais moi j’insiste beaucoup sur l’aspect ‘art visuel’. J’ai plusieurs domaines d’activité. J’interviens par exemple en tant que concepteur d’objets. Je suis peintre. Je fais parfois des installations d’œuvres interactives. Et il y a un autre volet qui est très important dans ma vie : je suis aussi un scénographe. Je suis l’un des scénographes de la Biennale des arts contemporains africains de Dakar. »
Diplômé du programme d’aménagement intérieur de l’Ecole nationale des beaux-arts de Dakar, Khalifa Ababacar Dieng a notamment suivi une formation à l’Ecole nationale supérieure des arts visuels de La Cambre à Bruxelles et un stage dans les Ateliers de Décor de l’Opéra Royal de Wallonie à Liège en Belgique. Grâce à ses études de scénographie, ainsi qu’à son mémoire consacré à l’aménagement de l’espace pour les enfants et à la création de jouets inspirés des jeux traditionnels sénégalais, la gestion de l’espace et le jeu occupent une place fondamentale dans son travail :
« La fonction sociale d’un jeu est de faciliter la relation à autrui. Il y a le jeu et le jouet. Quand on a un objet entre les mains et qu’on est seul à le manipuler, il s’agit d’un jouet. Mais il suffit de se mettre en compétition ou bien d’avoir un partenaire et on est en train de faire un jeu. C’est donc cette possibilité de la relation à autrui que je fais transparaître dans mon œuvre d’art. Exposer pour moi, c’est trouver un prétexte pour la relation à autrui. Et cette relation passe par le biais de l’œuvre que je lui présente en lui disant qu’il ne s’agit pas d’une œuvre qu’il faudrait accepter comme quelque chose d’accompli. J’essaie de dire : ‘Voici mon avis, qu’est-ce que tu en penses ?’ Donc la relation est là. Même si le jeu ne transparaît pas, le fait que je soumets à l’éventuel visiteur mon projet veut dire que je suis en train de l’inviter à un jeu. »
Première impression de Prague : « il fait le même climat qu’à Dakar »
Dakarois de naissance qui se présente souvent sous le pseudonyme de Lifadieng, cet artiste possède à présent son propre atelier dans la capitale sénégalaise et travaille en tant que curateur au Musée Moribana, dédié à l’art contemporain. Pour ses réalisations, il a même été récompensé par le Prix de l’Union européenne de la Biennale de Dakar. Après avoir passé une résidence en 2008 dans le Belas Artes Multicultural Center & Art Gallery à Saint-Louis au Missouri (Etats-Unis), il est parti en juillet dernier pour la Tchéquie où il restera jusqu’au 3 octobre. Il a présenté ses impressions de son tout premier séjour dans ce pays centre- européen :
« J’ai une vision assez curieuse de la ville. En venant, j’ai eu bien sûr des échos. De plus, comme on dit aujourd’hui, on peut être éloigné à 25 000 kilomètres et pourtant savoir ce qui se passe ailleurs. Mais ce n’est jamais pareil quand on est sur le terrain. J’ai regardé beaucoup de choses sur Prague quand j’étais au Sénégal. Je connaissais d’abord la Tchécoslovaquie, puis la République tchèque notamment grâce au sport. Quand on dit Prague, je pense toujours à l’équipe de foot du Sparta. C’est dans ma tête depuis de très longues années. Par ailleurs, hier, j’ai été dans un tram. Il y avait un match du foot et j’ai croisé des jeunes qui avaient une bannière du Sparta Prague autour du cou. Cela nous permet donc de vérifier sur place des informations acquises précédemment. En tout cas, l’impression que j’ai de la ville : il fait le même climat que chez moi à Dakar en ce moment. C’est un bénéfice pour moi. C’est l’été, il y a du soleil, il fait chaud, il pleut… comme à Dakar. Je ne me sens donc pas très dépaysé. Et à la MeetFactory, tout le monde fait tout pour que je sois à l’aise. Je me sens donc sincèrement chez moi. »
Comment avez-vous appris l’existence de cette résidence à la MeetFactory ?
« Je ne dirais pas qu’il s’agissait d’une coïncidence ou d’un hasard parce qu’Albert Einstein disait : ‘Le hasard n’existe pas, c’est Dieu qui se promène incognito’. C’était à la suite d’une rencontre avec Zuzana Jakalová qui était venue à Dakar pour y préparer une manifestation. Outre mon rôle de scénographe de la Biennale de Dakar, je suis aussi assistant du responsable de l’organisation d’une partie intégrante de cette biennale, le festival ‘Dak’Art OFF’. C’est ainsi que j’ai rencontré Zuzana. Après notre rencontre, j’ai eu l’occasion de lui raconter que mis à part mes rôles dans la biennale et au musée où je travaille en tant que curateur, je suis aussi un artiste. Elle m’a donc demandé de préparer un dossier artistique et de le lui présenter. A la suite, j’ai reçu une invitation pour venir faire une résidence de trois mois à Prague. »
Qu’est-ce que vous faites de vos journées à Prague ? De quelle manière travaillez-vous ?
« Comme vous m’avez trouvé : tranquillement à l’atelier. Ce que j’apprécie vraiment, c’est d’habiter dans l’atelier même. Cela me permet d’avoir des horaires de travail assez larges sans être obligé de faire des allers-retours. De plus, l’atelier qu’on m’a octroyé à Prague est peut-être quatre ou cinq fois plus grand que mon atelier au Sénégal. Je suis donc vraiment dans des bonnes conditions de production. »
« Le but d’une résidence est de pouvoir subir une influence »
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
« Je suis en train de préparer des toiles pour faire une série de peintures qui vont rentrer dans un projet global. Cette série va être une installation de mon point de vue à moi. Il y aura une partie qui va s’appeler ‘You promised me’ ou ‘Tu m’avais promis’. Et la deuxième partie, ce sera une installation autour du chiffre sept. C’est un chiffre très symbolique dans lequel se partagent toutes les traditions. Par exemple, au niveau de la tradition religieuse, c’est le chiffre de la Genèse. On parle de sept cieux, de sept pièces souterraines, de l’arc-en-ciel avec ses sept couleurs… C’est donc un nombre très symbolique. Mais moi, je ne vais pas trop m’intéresser au symbolisme de ce chiffre. Pour moi, il s’agit d’un chiffre très universel qui a à peu près le même sens partout. Cela me permet de l’utiliser comme prétexte à un message. Et mon message ne parle de rien autre que de la tolérance, c’est-à-dire de l’acceptation de l’autre tel qu’il est. Vous verrez qu’à la finalité de ce travail, il y aura donc des messages. Mais ces messages seront destinés au public sous forme de jeu. En tout cas, ce ne sera pas une œuvre que les gens vont regarder et trouver que c’est beau ou pas. Chacun sera interpellé par rapport à ces messages-là. Après, si ces messages pourront passer ou non dépendra du fait si les gens trouveront l’intérêt pour participer à ces jeux avec moi. C’est là le challenge. »
Est-ce que et comment votre séjour à Prague vous inspire ?
« Prague va forcément m’inspirer. Je suis en train de me promener et de prendre des photos dans la ville. A la fin de mon travail, il y aura donc forcément quelque chose qui naîtra de ma présence à Prague. Si ce séjour n’avait pas été intéressant, j’aurais dû rester à Dakar, y peindre mes toiles et ne venir qu’après pour les exposer. Pour moi, le but d’une résidence est de pouvoir subir une influence du milieu dans lequel on est. Et je vais m’ouvrir au maximum pour recevoir le maximum possible. J’arrive ici en tant que Sénégalais, dans un nouvel environnement. J’ai beau avoir beaucoup voyagé dans ma vie, il y aura forcément quelque chose de nouveau pour moi. Et ce ‘quelque chose’, je suis en train de le chercher. »
Il y aura une exposition à la fin de cette résidence ?
« On est en train de voir. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura la journée des portes ouvertes le 8 septembre prochain. A cette occasion, même si je n’aurai donc pas fini tout le travail, j’aimerais bien avoir beaucoup avancé afin de pouvoir présenter quelque chose, rencontrer le public et parler de mon œuvre. »