Klara Nademlýnská : « Les Tchèques cachent leur personnalité derrière leurs vêtements »
Rencontre cette semaine avec une styliste et créatrice de mode tchèque, Klára Nademlýnská qui évoque pour Radio Prague ses débuts à Paris, l’ouverture de sa boutique à Prague, la mode des Tchèques aujourd’hui.
Klara Nademlynská, bonjour, on se trouve dans votre boutique, à Prague, dans la rue Dlouhá. Vous êtes styliste, vous êtes Tchèque, mais vous avez vécu pendant une dizaine d’années en France. Pour commencer j’aimerais savoir d’où vous vient ce goût pour les vêtements, pour la confection de vêtements. C’était quelque chose que vous aimiez déjà petite ?
« Oui, ma mère a travaillé depuis ma naissance et elle était couturière. Elle avait fait une école plus tard. Mais depuis ma naissance, elle est restée à la maison où elle recevait sa clientèle. Donc j’ai grandi au milieu des tissus, des ciseaux, des fils... Je voyais ma mère pendant les essayages, comment elle coupait et préparait tout. Ça me plaisait déjà à l’époque. »
Vous avez essayé à l’époque de vous servir de tous ces instruments ?
« Oui, j’ai essayé ! J’essayais de couper les tissus, de les coudre à la main. Mon grand-père était ingénieur en construction de bateaux, mais il avait le goût pour le dessin. On dessinait beaucoup ensemble. Ce sont donc les deux choses qui me plaisaient petite, et ensuite j’ai voulu continuer, je n’ai jamais pensé faire quelque chose d’autres qu’avec les vêtements. »
C’était prédestiné ! Avez-vous fait des études dans ce sens ?
« J’ai fait une école qui apprenait le côté pratique, un peu le style aussi. Mais c’était assez différent des écoles qui existent aujourd’hui. On avait un peu de tout. Les gens qui voulaient vraiment faire de la mode devaient apprendre par eux-mêmes et s’intéresser. Déjà pendant l’école j’ai commencé à faire mes premiers modèles et mes premières collections de cinq pièces qu’on a présenté en Tchécoslovaquie, lors de défilés de jeunes créateurs. »
C’était quand ?
« C’était entre 1984 et 1988. »
C’était possible de faire de la mode sous le communisme ? On associe toujours le communisme au gris, au manque d’originalité au niveau de la mode. On n’imagine pas qu’il y ait eu de l’inventivité à cette époque-là...
« Ça existait, mais c’était un milieu vraiment très fermé, ce n’était pas pour le grand public. De temps en temps ça sortait pour les magazines pour les jeunes. Mais c’est incomparable avec aujourd’hui. Pendant l’école, j’ai fait connaissance de mon mari qui faisait la FAMU, en photographie. On s’est dit qu’on partirait ailleurs. En 1988, on a un peu voyagé en Europe. J’ai toujours aimé Paris, c’était ma ville rêvée... »
... et c’est la capitale traditionnelle de la mode !
« Oui. Mes parents m’ont acheté un voyage d’une semaine pour Paris. J’ai tout de suite su que j’aimais la ville, j’avais l’impression de la connaître, même sans jamais y avoir été avant. J’ai fini mon école, on s’est marié et on est partis à Paris. On ne connaissait personne, on ne parlait pas un mot de français. On est partis comme ça. Peu à peu on a connu des gens, on a appris la langue, j’ai appris sur le tas. »
Au niveau de votre métier, comment avez-vous fait pour vous repérer dans la jungle parisienne ? C’est la capitale de la mode, et il y a plein de gens, plein de jeunes qui viennent et ont l’espoir d’y faire leur trou. Comment avez-vous creusé le vôtre ?
« J’ai commencé par les agences de mannequin, mais c’était plutôt pour connaître les gens du milieu. Ca n’a duré qu’un an. Peu à peu, j’ai rencontré des gens. J’ai fait des vêtements pour des amis. J’ai travaillé pour un styliste tchèque qui était à Paris, d’abord comme couturière, puis comme modéliste. Un jour une amie m’a dit qu’elle s’habillait chez une société qui faisait du prêt-à-porter de luxe pour les femmes. Elle m’a dit : ‘tu m’as toujours bien coupé les vêtements, tu ne veux pas essayer d’y travailler ?’ J’y suis restée sept ans. »
Pourquoi ensuite avoir décidé de retourner à Prague ? Après toutes ces années à Paris, c’était une envie de voler de vos propres ailes ?
« J’avais envie de faire mes vêtements, de trouver mon propre style. J’ai fait de petites collections que je présentais à Prague. Petit à petit, j’ai trouvé que les gens en République tchèque commençaient à voir les choses différemment, qu’ils commençaient à vouloir s’habiller en se faisant plaisir. Je me suis dit qu’il fallait se décider : Prague ou Paris. Je me suis dit : pourquoi ne pas rapporter à Prague les choses que j’ai apprises à Paris et essayer de créer une société ici ? Après dix ans à Paris, je suis donc retournée à Prague. »
Un mot sur la mode ici, en République tchèque. Du point de vue extérieur, étranger, on a souvent tendance à trouver que les femmes tchèques s’habillent de façon un peu trop tape à l’œil, et que les hommes s’habillent de manière peu élégante (un exemple classique, c’est la chaussette dans la sandale). Est-ce que vous pensez que ça change ou que ces habitudes perdurent ?
« Si je regarde la clientèle de la boutique, ce sont des femmes qui ont trouvé leur style de manière générale, pas seulement dans leurs vêtements, mais dans leur vie. Elles savent ce qu’elles font, elles veulent s’habiller différemment. Mais c’est un petit groupe de gens. Mais de manière générale, je trouve aussi que les femmes tchèques sont belles, mais ne savent pas le mettre en valeur. Elles en font trop. »
Pourtant il existe aujourd’hui de nombreux magasins à Prague notamment. Des magasins de prêt-à-porter pas cher, joli... Il y a matière à acheter. Alors est-ce une question de goût ? D’habitudes qui sont restées ?
« Oui, c’est une question de goût. Je pense qu’il faut plusieurs générations et les gens vont faire ça naturellement. Aujourd’hui, les gens voient la mode dans les journaux et s’habillent en fonction. Ils n’ont pas l’habitude de penser par eux-mêmes. Ils se cachent derrière leurs vêtements. Ce que j’aime en France, c’est que les gens s’habillent comment ils sont. Les vêtements les aident simplement à mettre leur personnalité en avant. Les Tchèques, ils cachent leur personnalité derrière leurs vêtements. Il y a pas mal de gens à Prague qui gagnent bien leur vie. Ils s’habillent chez des grandes marques. Certaines femmes pensent que si elles sont tout en Dior, c’est signe de bon goût et de bon style. »
Quand vous envisagez une nouvelle collection, quelle est votre inspiration ? Est-ce par rapport à ce que vous aimeriez porter ?
« Oui, c’est beaucoup par rapport à ça. Même si après, je ne mets pas la moitié de la collection. J’ai aussi beaucoup de souvenirs de mon enfance : ma mère était une belle femme qui savait s’habiller. C’est aussi une question de sentiments, de ce qui se passe dans ma vie, autour de moi, si je vois un film, que j’écoute de la musique, si je voyage. C’est un mélange. Petit à petit ça fait comme un lego et ça prend forme. »
Avez-vous des tissus fétiches que vous réutilisez fréquemment ?
« J’aime beaucoup les tissus naturels, la soie, le lainage, le jersey. J’aime le tissus fluides, qui donnent une forme souple. Je ne suis pas très tissus rigides, j’aime que ce soit féminin et doux. »
Tereza Maxová, une mannequin tchèque très connue, est le visage de vos modèles. Comment s’est faite cette rencontre ?
« On s’est rencontrées à Paris où on a débuté toutes les deux. On est restées en contact et on est devenues amies. La société a été créée en 1998. En 2001, on s’est dit qu’on allait essayer de faire des photos avec Tereza. C’est mon mari qui fait les photos aussi. Elle a accepté. On n’est pas juste amies, elle est aussi le visage des collections. Elle a une vraie beauté intérieure. C’est une personne chaleureuse, elle est positive, elle sourit toujours. C’est la femme idéale. »
Photos : www.klaranademlynska.cz