La vie est merveilleuse (mais parfois insupportable)
« Život je nádherný - La Vie est merveilleuse », dit l’écrivaine Tereza Boučková (1957) et c’est aussi le titre de son dernier roman. Le lecteur doit se poser cependant la question de savoir s’il ne s’agit pas d’un titre cruellement ironique car la vie apporte à l’héroïne du livre d’innombrables épreuves extrêmement difficiles et elle se trouve parfois au bord du désespoir. Le livre est sorti aux éditions Odeon.
La famille est la base de tout
Une fois de plus Tereza Boučková a puisé son inspiration dans sa vie et dans la vie de sa famille. Le livre La Vie est merveilleuse est la troisième partie d’une trilogie « libre » dont le premier tome sorti en 1991 sous le titre La Course des indiens a provoqué des remous dans les milieux littéraires tchèques. La jeune prosatrice y jetait un regard critique sur elle-même et sur sa famille, sur son père Pavel Kohout, écrivain célèbre, mais aussi sur des personnalités publiques comme le président Václav Havel. Son ouvrage a été distingué du prix Jiří Orten. L’écrivaine affirme :« Je pense que les relations en famille vous forment et vous façonnent. Vous avez en plus une certaine prédisposition génétique que vous avez reçue de vos parents que vous le vouliez ou non. La famille, c’est aussi le mariage, les relations entre parents et enfants, et tout cela crée votre micro-monde, votre monde. Et c’est essentiel pour votre vie, pour la façon dont vous vivez votre vie, pour votre force, pour les moyens dont vous disposez pour surmonter certaines épreuves. Cela vous fait réagir par les pleurs ou par les actes. De toute façon, la famille est la base de tout. »
L’adoption de deux enfants roms
En 2008, donc 17 ans plus tard, Tereza Boučková récidive avec le roman L’Année du coq, dans lequel elle évoque la suite de l’histoire de sa famille composée d’un père, d’une mère, de deux enfants adoptifs et d’un fils biologique. Les deux fils adoptifs sont Roms et le roman raconte la période où les deux garçons parvenus à l’adolescence se mettent à résister à l’autorité de leurs parents et la famille finit pas se désagréger. Et nous retrouvons cette même famille et ces fils adoptifs également en 2011, année évoquée dans le dernier tome de la trilogie intitulé La Vie est merveilleuse. Les deux fils roms mènent maintenant une existante indépendante en marge de la société et de la loi sans avoir toutefois coupé définitivement les liens avec leur famille adoptive ce qui met les parents dans une situation extrêmement embarrassante et provoque toute une série de problèmes graves. Tereza Boučková ne cache pas qu’elle a à nouveau trouvé de l’inspiration dans sa vie et dans la vie de ses proches :« Je pense que chaque écrivain écrit une autobiographie plus ou moins fictionnelle. Il doit se baser tout simplement sur ce que lui-même peut absorber, sur ce qu’il a vécu et sur les choses auxquelles il est capable de réfléchir, avec quoi il a besoin de se mesurer. Et il lui faut toujours puiser dans son vécu, dans l’expérience de sa vie. Même en écrivant des romans historiques, il y introduit ce qu’il ressent lui-même. »
Maladie de la mère
L’échec définitif de la tentative d’adoption des deux enfants roms n’est cependant pas le seul thème de ce livre qui est également une espèce de miroir de la société de son temps. Le livre couvre pratiquement toute l’année 2011. L’auteur y évoque ses rapports avec toute une série de personnes dont certaines sont des personnalités connues de la vie publique, donne de petits commentaires sur des événements et même des faits divers. Dans d’autres passages, elle décrit ses crises intérieures et réfléchit sur sa condition.Le thème majeur de ce récit est cependant le rapport entre l’auteure et sa mère. La mère de la narratrice est atteinte de maladie d’Alzheimer et sa fille suit avec une angoisse croissante les multiplications des symptômes de ce mal sournois qui efface progressivement la mémoire des malades et les prive de leur âme. Les moments de sérénité alternent avec des crises de démence et le comportement de la malade devient de plus en plus imprévisible et difficile à contrôler. L’écrivaine cherche désespérément à aider sa mère et à sauver sa dignité humaine, mais elle se sent de plus en plus impuissante et se demande si ce n’est pas au-dessus de ses forces. C’est la littérature, la possibilité de jeter sur le papier ses crises et ses combats intérieurs qui aident la fille de la malade à surmonter ces épreuves. Elle se défend cependant d’avoir écrit un simple journal intime :
« J’avais besoin de prendre une certaine distance, un recul pour pouvoir traiter comme une écrivaine ce qui s’est passé en réalité. La Vie est merveilleuse est un roman, ce n’est pas un journal intime, ce n’est pas la réalité. J’avais besoin de traiter les faits et les situations, de changer leur ordre chronologique, pour donner à mon livre le pouvoir d’intriguer même les gens qui n’ont pas mes expériences mais seront capables de me comprendre. Dans mon livre, il y a donc énormément d’affabulation. En plus, je voulais quand même protéger un peu les membres de ma famille. »Une méthode littéraire proche de celle de Ludvík Vaculík
Dans son livre, Tereza Boučková parle aussi de ses lectures et de ses écrivains préférés. Elle y décrit entre autres une rencontre avec l’écrivain Ludvík Vaculík pour lequel elle a beaucoup d’admiration. Elle apprécie surtout son livre La Clef des songes, dans lequel l’auteur se base sur son journal et retrace sa vie au cours de l’année 1979, dans la période où il était poursuivi par le régime autoritaire tchécoslovaque. Ce livre, proche d’une confession, qui marie les textes les plus divers, un journal intime, des lettres, des citations, des aphorismes, ressemble beaucoup à la méthode littéraire que Tereza Boučková a utilisée dans sa trilogie autobiographique. Plusieurs fois dans sa vie elle a mis plus de fiction dans ses écrits, mais c’est toujours son vécu qui reste pour elle la source principale de son inspiration et une garantie de l’authenticité de son témoignage sur le monde :« La fiction ne m’attire pas du tout. J’ai probablement besoin de me mesurer de cette manière avec les situations et les événements que j’ai vécus. Peut-être devrais-je en parler dans mes livres parce que je sens que je ne suis pas seule à les vivre, que nous sommes plus nombreux mais nous ne sommes pas tous capables d’exprimer tout cela d’une façon littéraire. Donc c’est assez compliqué pour moi parce que comme j’écris avec beaucoup de sincérité, je m’expose trop, je dénude mon for intérieur. En fait, cela ne m’est pas agréable mais je ne peux pas faire autrement. »