Le 21 août 1968, date de l'occupation de la Tchécoslovaquie et de la fin du processus du renouveau
L'une des dates névralgiques de l'histoire tchèque, le 21 août 1968, date de l'occupation du pays par les troupes soviétiques, semble tomber, peu à peu, dans l'oubli. Un désintérêt de l'opinion et un silence des médias furent caractéristiques du 32ème anniversaire de l'événement. Moins d'une centaine de personnes, dont les témoins et les proches des victimes, assistaient, ce lundi 21 août, à un acte de piété devant la Radio tchèque qui fut, les jours de l'occupation, le théâtre des accrochages des plus sanglants entre les soldats et les Tchèques protestant contre l'occupation: quinze personnes sont mortes alors devant la Radio par des balles soviétiques. Jusqu'à nos jours, des traces des tirs sont visibles sur la façade des maisons d'en face. Une plaque à droite, à l'entrée de la Radio, indique les noms des Tchèques tombés. Les 21 ans de l'occupation firent parmi les citoyens tchécoslovaques 72 morts, 266 blessés graves et 436 légèrement. La présence des soldats soviétiques et le diktat de Moscou déterminèrent la vie du pays pour 21 longues années. Aujourd'hui, pourtant, cette période est pour la jeune génération une histoire aussi lointaine que la fin de la guerre pour leurs grands-parents.
La nuit du 20 au 21 août 1968, les armées de cinq pays - l'URSS, la RDA, la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, d'une force d'un demi-million de soldats, franchirent la frontière de la Tchécoslovaquie. Cet acte fut opéré à l'insu du président de la République, de l'Assemblée nationale, du premier secrétaire du parti. Toute la nuit, les avions lourds se croisaient au ciel au-dessus de Prague. Seulement deux heures après, la nation effrayée fut informée par la Radio sur ce qui se passe. Une déclaration du parti est lue à la Radio, condamnant l'intervention comme un acte contraire au droit international.
A 4 heures du matin, le 21 août, le siège du CC du PCT est investi par les soldats étrangers. Des membres du gouvernement et de l'Assemblée nationale internés et escortés, plus tard, sur le territoire soviétique. Le 21 août, au matin, les premières balles furent tirées et les premières barricades montées au centre-ville. Sur la place Venceslas, plusieurs centaines de Tchèques essaient, par leurs corps, d'empêcher les chars d'avancer. Le bâtiment du Musée national et de la Radio reçoivent les premières balles de fusil. Les Pragois essaient, en vain, de discuter avec les soldats, d'expliquer la situation. A 9 heures, le 21 août, même la Radio qui fut le seul moyen à fournir les informations, se tut. La nation fit preuve d'un courage et d'une détermination de défendre sa liberté au prix de la vie. Le premier jour de l'occupation, 58 citoyens tchécoslovaques, dont 7 femmes et un enfant, furent tués par l'occupant. Ce jour-là, pratiquement toutes les institutions furent mobilisées. Le ministère des Affaires étrangères fit appel aux ambassades des cinq pays "frères" pour protester énergiquement auprès de leurs gouvernements afin qu'ils mettent fin à l'occupation illégitime. En vain. Au soir, le 21 août, le représentant du KGB, Vinokurov, confirme à la centrale de la StB, que les "alliés" furent obligés d'occuper la Tchécoslovaquie puisque son gouvernement n'était pas en mesure de réprimer la contre-révolution.
Les 23 - 26 août, les dirigeants tchécoslovaques furent escortés à Moscou. Ici, sous une pression psychologique et physique, ils furent contraints de signer le protocole annulant le processus réformateur entamé en avril 1968. Rappelons que ce fut Alexander Dubcek qui avança l'idée du socialisme à visage humain, donc un régime dirigé par le PC mais garantissant aux citoyens certaines libertés - de la presse, de la circulation, du rassemblement. Inutile de dire que cette tentative fut très mal vue par Moscou et qu'il ne pouvait être question de la moindre démocratisation du socialisme. Le bloc socialiste devait rester sans changement et sous le diktat soviétique. Les entretiens de Moscou finirent par la capitulation des dirigeants tchécoslovaques, à une exception près: Frantisek Kriegel refusa de signer le honteux protocole sur l'abandon du processus réformateur.
De retour à Prague, la direction espérait pouvoir encore essayer de mettre en vie au moins quelques-unes des réformes. Cette espérance fut naïve. Les événements commencèrent à se dérouler dans la mise en scène de Moscou. Les hommes du Printemps de Prague furent écartés de leurs fonctions. Le 31 août, le parti communiste tchécoslovaque adopta le protocole de Moscou et proclama nul le 14ème congrès du PCT d'avril 68 ayant approuvé les principes du renouveau. Le parti nomma ses cadres aux postes décisifs, y compris les médias. Par une loi du 13 septembre, la censure fut renouvelée. Le 18 octobre, le traité gouvernemental tchécoslovaco-soviétique sur le séjour temporaire des troupes du pacte de Varsovie sur le territoire tchécoslovaque fut adopté par l'Assemblée nationale. Ce document marqua une rupture définitive entre la direction du pays et la volonté des citoyens. La défaite du Printemps de Prague fut achevée le 17 novembre par l'adoption de la résolution sur les tâches principales du parti pour la période à venir. Gustav Husak, exposant direct de Moscou, fut installé à la direction du pays. C'est le début de ce qu'on appelait la normalisation de la société.
Les raisons pour lesquelles l'anniversaire de l'occupation soviétique du pays est plutôt ignorée sont nombreuses. Pour certains, août 68 fut une sorte de révolution avortée par la force, pour d'autres ce ne fut que de la pure utopie de démocratiser un régime irréformable.
Il reste un fait que les années 60 furent des années d'une décentralisation, d'un souffle nouveau, d'un dégel de l'atmosphère intellectuelle. La censure fut supprimée ce qui contribua à un essor sans précédent de la littérature, des sciences sociales, des arts et de la culture en général. Rien d'étonnant que ces changements positifs aient eu le plein soutien de la majorité écrasante de la population. Cette dernière ne se rendait pas compte, à l'époque, que construire un îlot du socialisme à visage humain au milieu des eaux totalitaires était naïf, et compte tenu de la situation politique, exclu. Les réformateurs tchécoslovaques essayaient de concilier l'irréconciliable. Ils pensaient pouvoir jouir du soutien de la population et en même temps de la bénédiction de Moscou.
Même si 32 ans s'écoulèrent de ce qu'on appelle les événements d'août 68, pas un seul des trois hauts dirigeants communistes d'alors inculpés de haute trahison ne fut traduit, à ce jour, en justice. Milos Jakes et Jozef Lenart participèrent à l'ambassade soviétique à Prague aux négociations sur la création d'un gouvernement ouvrier et paysan. Karel Hoffmann, lui, ordonna d'arrêter les émissions radiophoniques, afin d'empêcher la propagation des points de vue des institutions légales condamnant l'intervention.