Le Bestiaire, un roman de Barbara Nesvadbova

Barbara Nesvadbova

"Si je vivais les histoires de l'héroïne de mes livres, je serais déjà dans un hôpital psychiatrique," dit Barbara Nesvadbova, une jeune Tchèque, dont on parle beaucoup ces derniers temps. Ailleurs elle avoue que Karla, personnage principal de trois livres qu'elle a publiés, ne manque pas de traits autobiographiques. Ses livres ne laissent pas indifférents. Condamnés par la critique, ils remportent un rare succès auprès des lecteurs. "Je suscite soit l'enthousiasme qui est le même chez les hommes, chez les femmes d'un certain âge et chez les jeunes filles, ou la condamnation et cela dans la plupart des cas chez les hommes entre la trentaine et la quarantaine. Je ne sais pas si ce n'est plus la condamnation de ma personne que de ce que j'écris." En 1999, donc à l'âge de 24 ans, Barbara Nesvadbova a publié le livre intitulé Le Bestiaire qui est le deuxième volume de sa trilogie romanesque sur les aventures de Karla, une jeune femme qui ressemble beaucoup à l'auteur. Si j'ai décidé de vous parler aujourd'hui de ce livre ce n'est pas pour vous entretenir de ces qualités littéraires, qui sont d'ailleurs problématiques, mais pour vous présenter le livre et son auteur en tant que phénomène de société, comme un témoignage sur ce qui attire les Tchèques de notre temps.

Barbara Nesvadbova est avant tout un personnage médiatique. La presse parlée et écrite exploite abondamment son physique attrayant et sa réputation de femme sans préjugés. On spécule sur ses liaisons avec des hommes et même avec des femmes célèbres. On la soupçonne d'entretenir tout à fait savamment et consciemment sa mauvaise réputation qui est la base même de sa popularité. Elle sait profiter non seulement de sa blondeur et de la plénitude de ses formes mais aussi de son intelligence. Elle a étudié les relations publiques et cela se reflète sans doute dans la façon dont elle édifie sa carrière. Animatrice d'une émission télévisée intitulée "Face à face", elle a l'ambition de faire un programme qui ne serait pas politique et qui parlerait des problèmes intimes. Journaliste, elle écrit des feuilletons et des articles qui se situent déjà à la limite de la littérature et qui sont publiés non seulement en Tchéquie, mais aussi en Angleterre, en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Elle est membre du Parti civique démocrate, principale formation de droite tchèque. Elle y est entrée au moment où le parti traversait une crise parce qu'elle aimerait le transformer de l'intérieur. Pour l'instant elle est cependant trop occupée par ses activités médiatiques. Son père et sa mère sont psychiatres. Selon Barbara, ils ne s'indignent pas de la vie scandaleuse de leur fille. C'est de Josef Nesvadba, son père, que Barbara a hérité probablement ses gênes littéraires. Mais tandis que le père est un des auteurs tchèques les plus célèbres de la science-fiction, elle se spécialise plutôt dans la littérature inspirée par les moeurs de son temps avec un arrière-goût de scandale.

"Je m'appelle Karla Dostalova. J'ai vingt-cinq ans. Depuis cinq ans je travaille comme journaliste. J'ai mis sur ma carte de visite "critique d'art", dit l'héroïne du roman. "D'abord l'écriture m'amusait. Je collectionnais mes articles imprimés. Je ne contrôlais même pas si les rédactions me les payaient. Avec le temps, l'écriture est devenu une routine. Je tape sur le clavier de l'ordinateur et je me dis - encore une page, encore cinq cents couronnes. En somme, je ne suis qu'un passeur des textes. Mes ambitions artistiques ont disparu. Je ne sais pas quand. Dans la griserie quotidienne je ne m'en suis même pas aperçue. Aujourd'hui, je veux savoir seulement si ma soi disant création suffira à couvrir mes frais de logement. On dit que le journalisme est une littérature éphémère. Jadis je prêtais l'attention surtout au mot littérature. Maintenant je prends en considération seulement éphémère." Ces quelques lignes caractéristiques pour le personnage principal du livre donnent le ton. Il est évident qu'on doit s'attendre, après une telle profession de foi, à un texte qui oscillera entre la franchise et le cynisme. Karla commence par nous raconter sa liaison avec un certain Alex, homme d'affaires étranger, établi temporairement à Prague. Elle est attirée par cet homme qui manifeste vis-à-vis d'elle tantôt une sympathie proche de la passion, tantôt une tiédeur qui frôle l'indifférence. Ce n'est qu'après un certain temps qu'elle trouve une explication pour les changements d'attitude de son amant qui la font souffrir. Elle le surprend au lit avec un homme. Karla rompt avec lui mais elle n'arrive pourtant pas à s'en détacher. Elle se lance dans plusieurs liaisons éphémères comme si elle voulait se venger à tous les hommes. Elle veut devenir une bête humaine. "Je vais cesser de pleurer, je veux cesser de donner, je commencerai à prendre," dit-elle. Le défilé des amants qui commencent à entrer dans sa vie est assez spectaculaire et varié - Marek, un jeune homme de Moravie, promis à une belle carrière, un homme d'un certain âge dont la femme vient de mourir, Honza - un étudiant que Karla a connu à la faculté, Petr, un sportif bien bâti et borné, un peintre à la retraite qui fait d'abord le portrait de Karla et finit au lit avec elle, Tomas, un homme marié qui rompt avec Karla pour ne pas tomber amoureux d'elle et pour pouvoir revenir à sa femme. En somme ce bilan d'échecs amoureux d'une femme mal dans sa peau devient un peu lassant malgré les scènes d'amour et la description détaillée et souvent impitoyable des atouts et des failles des amants. Le tout se termine par le retour d'Alex. Karla n'arrive toujours pas à résister à son charme. Alex lui propose le mariage. La cérémonie doit avoir lieu à l'Hôtel de ville de Prague. Mais à la veille des noces, Karla reçoit un coup de téléphone de David, amant d'Alex. Il lui dit que celui qui doit devenir son mari n'a pas rompu sa liaison homosexuelle et se marie seulement pour faire plaisir à sa mère malade. Karla, désespérée, fait une décision. Demain, Alex et les invités viendront à l'Hôtel de ville, elle ne viendra pas.

Dans son livre Barbara Nesvadbova transgresse les conventions et parle ouvertement des problèmes sexuels. Elle exhibe sa liberté d'esprit et son manque de préjugés et on dirait qu'elle se joue avec les tabous. Bien sûr, elle n'est pas le premier auteur à se lancer sur cette piste et on peut dire que la recherche de l'indépendance face à la morale trop astreignante est un des thèmes majeurs de la littérature de tous les temps. Barbara Nesvadbova abat allègrement les barrières, nous parle des aventures amoureuses sans en tirer les conséquences. Elle évite de plonger dans les profondeurs psychologiques, elle préfère rester à la surface mais ajoute du piquant à son récit en faisant entendre au lecteur qu'il y a beaucoup de matière autobiographique dans les aventures de Karla. Dans les interviews accordées à la presse elle souligne parfois qu'elle a mis quand même beaucoup de fiction dans son récit mais elle se trahit tout de suite en racontant quelques épisodes de sa vie qui sont pratiquement identiques avec les histoires de Karla. Le lecteur est donc poussé à confondre Karla avec Barbara. Il voit Karla sous les traits de Barbara et attribue au personnage littéraire presque automatiquement la beauté blonde et opulente de Barbara rendue célèbre par la télévision et les photos dans la presse. Le livre devient ainsi une espèce de roman-photo grâce à l'image médiatique soigneusement entretenue de l'auteur. Qui est donc Barbara Nesvadbova? Est-elle une idole sexuelle, une romancière, une femme fatale? Où bien tout cela n'est qu'une image inventée par une spécialiste des relations publiques? Quels sont au fait ses relations avec les hommes puisqu'elle n'arrive pas à vivre avec et leur préfère la compagnie d'un chien? Elle voit que le partenaire idéal pour elle n'existe pas. "Je n'aimerai aucun homme plus que mon père et personne ne m'aimera plus que lui, dit-elle. On ne me pardonnerait jamais ce qu'il est capable de me pardonner."