« Le jazz est l’âme de Prague »

Hermès Karel, photo: Ondřej Tomšů
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Prague est une ville de musique et de jazz en particulier. Et dans son sillage, elle attire de nombreux musiciens, qui viennent se produire dans les piano-bars et les clubs de jazz. Parmi eux, le Français Hermès Karel qui, à côté de son travail d’auteur-compositeur, est également interprète des grands classiques du jazz. Les 13 et 14 décembre prochains, il se produira au Reduta avec cette fois, son tout premier spectacle praguois intitulé Frémissement, monté en collaboration avec la metteuse en scène Sophie Knittl qui s’est chargée de la dramaturgie.

Hermès Karel, bonjour. Contrairement à ce que l’on pourrait croire en raison de votre patronyme, vous n’êtes pas tchèque, mais français. Vous êtes chanteur de jazz, auteur et compositeur. Vous vivez à Prague, ville de jazz également. Rappelez-nous en guise d’introduction ce qui vous a amené dans la capitale tchèque.

Hermès Karel,  photo: Ondřej Tomšů

« C’est vrai que mon statut est complexe. Je suis effectivement chanteur de jazz, des standards de jazz. Je revisite les grands standards de jazz de l’époque comme Frank Sinatra, Nina Simone, Ray Charles. D’ailleurs je me produis au Reduta Jazz Club qui est le club de jazz numéro 1 ici à Prague. J’ai au départ une amie qui est tchèque, que j’ai connue à Paris et qui insiste depuis des années pour que je puisse venir à Prague. Elle était persuadée que ça allait me plaire et m’enthousiasmer du point de vue artistique. J’ai fini par me décider cinq ans plus tard. En arrivant à l’aéroport j’ai senti quelque chose de particulier. Ce n’est pas anodin pour moi qui suis quelqu’un de très intuitif. J’ai pas mal voyagé mais je n’ai jamais ressenti ce que j’ai ressenti à Prague. J’ai donc fait quelques allers-retours pendant un an. Je venais régulièrement me produire avec différents artistes et puis, je me suis décidé après un concert avec un big band. Ça a été le déclic. J’ai vraiment eu le sentiment d’être accueilli par Prague. »

En quelques mots, parlez-nous de votre parcours avant cela. Tout le monde arrive avec un bagage. Quel est votre bagage artistique en France ?

Hermès Karel,  photo: Archives d'Hermès Karel
« Je ne sais pas situer exactement au niveau artistique quand j’ai commencé puisque ma mère m’a dit il y a quelques années qu’avant de parler et de marcher, je chantais. Donc difficile de dire quand ça a vraiment commencé. Pour faire une rétrospective rapide, à 8 ans je faisais ma première composition. A 9 ans, j’ai fait ma première scène, en Bretagne, là où j’habitais. Il y a eu une longue coupure pour des raisons diverses et variées. J’ai repris la musique de façon publique aux alentours de 28 ans. Je me suis trouvé de vraies raisons d’écrire et de composer. Quand je dis ‘vraies’, c’est que mes amis, mon entourage, avaient des réponses à apporter à leur vie. Comme je suis quelqu’un qui est très à l’écoute des gens, j’ai pensé qu’avec les chansons et les textes, ça allait, de façon large, donner quelques réponses, même si c’était sur quelques phrases et mélodies. La musique est un langage à lui tout seul, tellement plus simple et accessible à tous… Il n’y a pas besoin de chercher des mots, c’est un état d’être qu’on transmet à travers ces mélodies. »

Prague est connue pour ses clubs de jazz, dont l’un de ses plus réputés est le Reduta. C’est un club où vous vous produisez également. Ce n’est pas rien pour un nouvel arrivant !

« L’année 2018 est pour moi une vraie bénédiction. Début juillet, j’y ai fait ma première date, à la demande du patron lui-même. C’était comme une consécration, une récompense après tout ce parcours que j’ai fait en un an. Je ne saurais même pas dire combien de dates j’ai dû faire. Une centaine on va dire. Voire plus. C’est allé très vite. Ce que j’aime particulièrement dans mon arrivée au Reduta, c’est que ça s’est fait naturellement. C’est le bouche à oreille qui m’a emmené jusque-là. Pour moi c’est très important. A cette époque où les gens cherchent la reconnaissance, et sont prêts à tout pour cela, moi je préfère être reconnu que connu. Si je suis connu parce que je suis reconnu, alors c’est beaucoup mieux parce que c’est vraiment moi et pas l’image que j’essaye de véhiculer. »

Comment caractérisez-vous la scène de jazz tchèque ?

Photo: Jazz Club Reduta
« Prague est réputée pour être une ville de jazz, et ce, dans le monde entier. Reduta n’est pas n’importe quel endroit parce qu’il y a de grands noms de jazz qui s’y sont produits. Ray Charles, Nina Simone, Ella Fitzgerald, donc tous ceux qui ont bercé mon enfance. C’est reconnu pour le jazz, et pas uniquement à cause du Reduta. Si vous faites le tour de Prague, le jazz est partout, que ce soit dans la rue ou ailleurs. Vous allez dans les piano-bars, les restaurants, le jazz est présent partout. J’ai le sentiment que le jazz est vraiment l’âme de Prague. »

Vous donnez un spectacle mi-décembre intitulé Frémissement. Un spectacle musical un peu particulier puisqu’il combine aussi du théâtre. Vous avez en effet collaboré avec la metteuse en scène française Sophie Knittl qu’on connaît bien pour l’avoir interviewée plusieurs fois. Comment est né ce spectacle ?

« Ce spectacle est un conte musical. »

Un conte musical, dans un pays où les habitants adorent les contes…

« Je l’apprends. C’est donc qu’il n’y a pas de hasard… Cette idée a germé en moi pendant quelques années. Mes chansons sont toute très, très différentes. Il n’y a quasiment aucune des mes chansons qui ressemblent à une autre. Quelques-unes oui, mais peu. Quand je me lève le matin, qu’un air me vient en tête, je ne décide pas à ce moment-là que ce sera de la soul, du jazz ou autre chose. J’ai la chance d’avoir bercé dans différents univers artistiques, musicaux. Cela s’exprime de la façon dont ça veut s’exprimer au moment où j’ai l’inspiration. Mon parcours avec les maisons de disque m’a conduit à finalement créer quelque chose d’atypique. Les choses sont venues naturellement. On m’a toujours dit : c’est pas mal ta chanson, mais fais-en deux ou trois autres pareilles. Parce qu’on a besoin de me placer comme un produit ! Je ne revendique rien, je ne suis pas contre le système, j’aimerais juste que ce système musical soit beaucoup plus ouvert, car cela permettrait d’accéder à une plus grande richesse. Quant à moi, voyant que par rapport à l’industrie du disque c’était très compliqué, cela m’a conduit à créer une histoire autour de mes chansons. Ce que j’aime dans mes chansons, c’est l’idée de l’histoire. Je me suis dit que j’allais essayer d’en faire quelque chose de plus large. Cela a donné naissance à ce conte musical. J’en ai parlé à Sophie Knittl, qui a été la première à être sensible à ce projet. Elle m’a aidé exactement au niveau de la dramaturgie, pas la mise en scène… elle insiste sur ce terme de dramaturgie. C’est un honneur pour moi d’être accompagné par une personne aussi lumineuse, talentueuse et humaine. »

Ce spectacle sera un peu particulier car les musiciens seront au cœur du public. Pourquoi ce choix ?

« La période de Noël, la fin de l’année est un moment où on est beaucoup plus tournés vers soi, vers de petits bilans personnels et des résolutions qu’on a envie d’apporter. C’est la fin d’un cycle et le début d’autre chose. C’est un peu l’idée de ce conte musical qui est un voyage aussi. Ce mot ‘voyage’ a un lien avec tout cela parce que je m’appelle Hermès. Beaucoup de personnes sont interpelées par ce prénom qui est particulier. Hermès c’est le messager des dieux et le dieu des voyageurs. Ça correspond totalement à ma vie. Ma vie a été faite de voyages et de message que j’ai transmis et que je continue de transmettre par mes chansons. Donc j’invite ce public à voyager avec moi. C’est un voyage en eux-mêmes en même temps. Mon histoire c’est la leur. Et donc pourquoi au cœur du public ? Pour qu’ils puissent ressentir ce frémissement. Le cliché actuel c’est : une scène, et le public est de l’autre côté. Là, Sophie m’a donné cette idée de placer les musiciens au cœur du public. Nous serons au centre de tout cela, pour que chacun dans la salle soit acteur de ce frémissement, de cette naissance qui se prépare. »