Le piano chimérique de Quentin Sirjacq

Quentin Sirjacq, photo: Site officiel de Quentin Sirjacq

Dans le cadre de la deuxième édition du festival multigenre Spectaculare, qui se tient jusqu’au 6 février à Prague, le pianiste et compositeur français Quentin Sirjacq a fait résonner des mélodies très oniriques dans le splendide temple Saint Salvador, situé à quelques pas de la place de la Vieille Ville. Déjà neuf albums à son compte, Quentin Sirjacq a présenté à un public pragois très concentré des morceaux de son album « Piano Memories », paru au mois de janvier 2014. Expérimentateur de sons abstraits, Quentin Sirjacq a su plonger les spectateurs dans un univers très « intergalactique », et ce non seulement en jouant à la fois au piano et au célesta, cet instrument hybride entre le glockenspiel et le piano, mais aussi en faisant ressentir de liens étroits entre sa musique et l’atmosphère même de l’église, où des projections prenaient la forme de tableaux vivants, de cimes d’arbres mélangées à des rayons de soleil, et de ciel parsemé d’astres et d’étoiles filantes. Radio Prague a eu le plaisir de s’entretenir avec Quentin Sirjacq, qui nous a entrouvert les portes de son univers.

L'église Saint-Salvator,  photo: Ben Skála,  CC BY-SA 3.0 Unported
Comment avez-vous été sollicité pour jouer dans le cadre de ce festival Spectaculare ?

« J’ai été sollicité par Josef Sedloň, qui est l’organisateur et le programmateur de ce festival. Il était également le programmateur du palais Akropolis il y a quelques années, où j’étais venu jouer avec un ami anglais, que Josef Sedloň connaissait. On s’est donc rencontré et depuis il suit mes parutions d’albums. Il a aimé mon dernier album, du coup il m’a invité. »

Donc ce n’est pas pour la première fois que vous vous présentez devant un public tchèque ?

« Non, j’avais déjà joué ici il y a exactement cinq ans, mais pas sous mon nom, sinon avec Dakota Suite. Il s’agit d’un chanteur anglais qui s’appelle Chris Hooson et le nom de son groupe c’est Dakota Suite. Et c’est vrai que c’est la première fois que je jouais sous mon nom en solo à Prague. »

Quel a été l’accueil du public à l’église Saint-Salvator lundi soir ?

« Super ! J’ai été très touché par les retours des gens qui sont venus me voir après et acheter des disques. Et il y a quelque chose de particulier aussi, quand on joue en piano solo, on sent très facilement la façon dont le public ressent la musique. C’est peut-être possible avec d’autres formations, mais le côté intime du piano, c’est qu’il y a vraiment besoin de concentration de la part du public pour que l’énergie circule. Et hier (lundi 26 janvier 2015, ndlr), c’était très bien, j’étais très content, les gens étaient vraiment dedans, je le sentais. Du coup, cela me donne vraiment la possibilité d’aller en profondeur, de me laisser aller en confiance. Parfois le public qui chahute, c’est un peu plus difficile de se concentrer. Là, c’était très bien, j’étais très content. Donc je pense que ça a été bien reçu. »

De quelle façon décrivez-vous par vos propres mots, votre musique ?

Quentin Sirjacq,  photo: Site officiel de Quentin Sirjacq
« C’est une entreprise délicate. Par la force des choses, j’ai été amené à essayer de comprendre ce que je faisais, de le réfléchir pour en parler à des gens, surtout lorsque l’on me pose des questions. Et je pense que je fais un travail sur une matière, un monde assez intérieur, intime, onirique et qui a très attrait à la sensation, à une forme d’intimité, d’introspection, d’un inconscient ou de quelque chose de mélodique, que je fais ressurgir, comme une réminiscence qui remonte en moi, dans mes compositions. J’espère que cela se transfert dans le public public, qui, à son tour, a l’occasion de se laisser aller dans de la sensation, dans un souvenir, ou dans quelque chose de subconscient qui revient. C’est une musique assez intérieure. »

Le piano, n’est pas le seul instrument qui vous accompagne sur scène. Pouvez-vous nous décrire le deuxième instrument sur lequel vous avez joué ?

« Le célesta, c’est un instrument clavier, qui se présente comme un petit piano, mais qui a un son très cristallin. C’est l’instrument de Papageno dans « La Flûte enchantée ». C’est un très vieil instrument, au son très cristallin comme du verre, et qui a un côté un peu enfantin. Je pense qu’il participe à quelque chose de très aérien dans le son, que j’aime beaucoup, quelque chose de l’ordre du rêve ou de l’enfance. C’est une forme de magie qui se dégage de cet instrument. C’est comme cela que je le définirais. »

Comment vous-êtes venus l’idée de jouer à la fois sur le piano et sur le célesta ?

« Je travaille depuis plusieurs années à la radio de France Culture, je fais des émissions de fictions. Je dispose de pleins d’instruments différents, vu qu’il y a beaucoup d’instruments à la radio. Et souvent je fais des productions seul, donc j’ai des vibraphones, des percussions et des timbales. Et je peux aussi demander le célesta ou du xylophone. Sinon je pratique aussi un peu tous les instruments de percussions d’orchestre. C’est donc comme cela que j’ai commencé à pratiquer le célesta mélangé à du piano. Je l’ai fait pour mes compositions personnelles. Pour mon dernier album, j’ai rajouté le célesta. »

Quel a été votre formation, votre parcours musical ?

Quentin Sirjacq,  photo: Site officiel de Quentin Sirjacq
« J’ai commencé le piano à l’âge de 8 ans. J’ai d’abord fait du classique, ensuite je me suis mis au jazz. J’ai fait des études de jazz au Conservatoire royal de Hollande, puis des études de composition à Auckland, en Californie. J’ai fait un parcours assez éclectique avec des influences assez larges. Une fois rentré à Paris, j’ai commencé à travailler, à faire des concerts, des collaborations, des compositions pour des films, pour le théâtre, pour la radio. Je suis aussi professeur de piano jazz dans un conservatoire. J'ai un agenda bien rempli, mais c’est ce qui faut pour être musicien. Je pense. »

Y-a-t-il des musiciens ou des compositeurs tchèques qui vous ont inspiré pendant votre parcours musical ?

« J’aime bien une série de pièces qui s’appelle ‘In the Mists’ de Leoš Janáček. C’est une pièce pour piano. Je me suis aussi intéressé à ses opéras. Je connais aussi Bohuslav Martinů, mais un peu moins. Chez Janáček, j’aime beaucoup l’aspect folklorique de sa musique. C’est un naturalisme qui est assez proche de Béla Bartók, mais plus romantique, moins moderniste. Il y a de vraies mélodies puissantes et on sent bien l’esprit, l’âme tchèque dans sa musique. Ça compte pour moi. J’aime bien la différenciation des univers, des caractères musicaux. Donc Janáček me plaît bien. Ce n’est pas très moderne, mais je ne connais pas trop les musiciens actuels. »

Vous avez notamment composé la musique pour le documentaire d’Andrea Sedláčková, ‘La vie selon Václav Havel’, comment est née cette coopération ?

« Je la connais de par des liens familiaux Andrea Sedláčková, qui vit à moitié à Paris, à moitié à Prague. J’avais déjà effectivement composé la musique pour deux de ses téléfilms pour la télévision tchèque. Pour le film sur Havel, je n’ai pas écrit la musique originale, mais Andrea Sedláčková a utilisé les morceaux de mon dernier album. Elle a choisi des morceaux qu’elle aimait, elle les a montés sur son film, ça fonctionnait bien et du coup, ils sont restés jusqu’à la fin. Un compositeur tchèque a fait d’autres rajouts de musiques. Il y a peut-être eu aussi des emprunts de musique existante. Mais donc du côté des Français, elle a pris ma musique. J’espère que je vais pouvoir travailler avec elle, car cela se passe toujours très bien. Elle est très fidèle, puisque j’ai fait ses premiers films, et là je refais le dernier documentaire. »

Quelles sont vos sources d’inspiration à vous ?

« C’est assez vague, je crois que l’on pourrait dire que j’ai des sources vraiment multiples. Enfant, je faisais vraiment de la musique classique, donc je reste vraiment attaché à ce langage, comme à une pratique quotidienne. Les grands classiques du piano continuent d’être ma nourriture quotidienne. Mais en termes d’autres musiciens classiques, c’est vrai que je me sens une filiation avec une école française : Debussy, Ravel, Satie. Je pourrais parler ici d’influences vraiment atemporelles. Autrement, après, je me suis lancé dans le jazz. J’ai une grande passion pour Keith Jarrett, John Coltrane, Charlie Mingus, Duke Ellington, des grands musiciens du jazz classique et moderne. Je les ai beaucoup travaillés, beaucoup joués aussi. Et seulement assez tardivement, je me suis intéressé plus aux musiques électroniques, expérimentales, à la musique improvisée, à la musique contemporaine. Aujourd’hui, je m’intéresse plus à des musiques indépendantes, électroniques ou contemporaines un peu moins connues ; quand il s’agit de découvrir de nouvelles choses. Le spectre est quand même très large, donc ce n’est pas facile de réunir toutes ces influences. Ça met du temps. Mon objectif avoué, c’est d’arriver à faire une musique, qui ne soit pas vraiment dans une chapelle, mais qui soit transversale, de toutes les influences. »