Le roi Georges de Podebrady, auteur du projet d'union pan-européenne
Le 16 mai 1464, les ambassadeurs du roi tchèque, Georges de Podebrady, se dirigeaient, de Prague, en direction de la France. L'objectif de leur mission était de soumettre au roi français, Louis XI, un document n'ayant pas d'équivalent dans la politique européenne d'alors: Louis XI, à titre de représentant de l'Etat le plus puissant à l'époque, était chargé d'intervenir en faveur de la convocation d'un congrès des souverains européens. Au programme de ce congrès: la création de l'union pacifique pan-européenne dont le roi tchèque, Georges de Podebrady, était l'auteur.
Le chapitre d'introduction de ce document stipule les buts et explique les raisons ayant conduit à son élaboration: c'est avant tout le soucis visant la sauvegarde de la paix et la défense commune des Etats européens, face aux invasions imminentes des Turques.
Les 23 institutions suivantes concrétisent et expliquent, plus en détail, les principes juridiques et d'organisation de l'union pacifique universelle. Ainsi, l'organisation pacifique universelle est caractérisée comme une union d'Etats égaux en droits, sans considération de la position privilégiée de l'empereur ou du pape. Ses principaux organes sont les suivants: l'assemblée générale des délégués permanents, le conseil des souverains, la cour internationale et le corps de fonctionnaires. Tous les Etats, réunis dans 4 groupes régionaux, devaient disposer de leur propre représentation. L'organe central de l'union devait être le congrès permanent des délégués plénipotentiaires des divers Etats. Par ailleurs, cette union devait avoir ses propres armoiries, ses sceaux et la monnaie unique. Le congrès, siégeant en permanence, devait avoir son siège, d'abord à Bâle, et tous les 5 ans, d'autres villes devaient se succéder.
Le second organe le plus important au sein de cette union - la cour internationale chargée de décider, par la voie pacifique, des litiges entre Etats. D'ailleurs, un tiers des statuts de la charte de l'union se penche sur les moyens visant à résoudre, par la voie de négociations, les conflits internationaux. Même les successeurs sur le trône devaient réaffirmer les engagements à l'égard de l'union. Le texte de la charte pacifique contient des idées de valeur générale sur la coexistence pacifique entre les Etats. Egalement sur d'autres points, le document devance son époque ou, pour le moins, il est le plus moderne en son temps: il rejette la théorie moyenâgeuse sur la souveraineté de l'empereur ou du pape.
La question se pose de savoir comment un représentant d'un pays dit hérétique, qu'était la Bohême au XVe siècle, aurait pu se retrouver à la tête de la politique européenne? La réponse, il faut la chercher dans les capacités diplomatiques du roi Georges de Podebrady. Les pays tchèques représentaient, dans le monde chrétien d'alors, une enclave spécifique, au sein de laquelle, a été, pour la première fois, appliquée la coexistence de l'Eglise catholique et réformatrice. Inutile de souligner que cet état de choses était extrêmement dangereux pour la curie papale. Aussi, sous cette optique, le projet d'union européenne a-t-il été une excellente contre-action politique pour détourner l'attention de la question tchèque et, en plus, pour gagner la faveur du pape, vu l'objectif également visé par ce projet, celui de protéger le monde chrétien contre les invasions barbares.
Notre appréciation du document ne serait pas complète sans mentionner le rôle joué par Antonio Marini de Grenoble, l'un des conseillers du roi tchèque, et dans lequel des historiens voient le co-auteur de l'idée de l'union européenne. Sur initiative de Marini, le projet d'union pan-européenne a été élargi, en 1463, du projet d'une nouvelle organisation européenne.
Le succès de la démarche dépendait, nous l'avons dit, de la réponse du roi français, Louis XI, qui s'est réservé un certain temps avant de répondre. Ce délai a été aggravé par ses prélats qui faisaient tout pour empêcher la négociation du document. La curie papale a fini par triompher, en mettant fin aux perspectives de ce processus pacifique.
Pourtant, on peut quand même parler du succès de la mission: elle amenait, de Paris à Prague, le traité d'amitié avec la France et la promesse du roi français de garder en vue la nécessité de reprendre la négociation en temps opportun. Hélas, une occasion pareille ne s'est plus présentée. La disgrâce de fortune n'a, cependant, rien changé au fait que le projet d'union pacifique pan-européenne de Georges de Podebrady rappelle les objectifs de la Charte de l'ONU que seul le XXe siècle a mis en application.
Georges de Podebrady n'a, hélas, pas su imposer la succession héréditaire sur le trône tchèque pour ses fils. Mort relativement jeune, à l'âge de 51 ans, il a cédé la place à la dynastie des Jagellons. C'est Ladislas Jagellon, qui lui succède, en 1471.