Le trésor caché de la villa de Karel Čapek
En 1926, l’écrivain Karel Čapek aménage dans une maison double qu’il a fait construire en commun avec son frère Josef, peintre d’avant-garde, dans la banlieue de Prague. Les frères y vivront et travailleront ensemble jusqu’à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. En 2013, la moitié de la villa ayant appartenu à Karel Čapek a été achetée par la mairie du quartier qui procède actuellement à sa restauration et envisage d’ouvrir au public ce monument de la littérature tchèque étonnamment bien conservé.
Une maison, un refuge, un atelier littéraire
Maître souverain de la langue tchèque, Karel Čapek (1890-1938) a marqué par son génie pratiquement toutes les formes littéraires. Il est aussi à l’aise dans le roman que dans le conte, le théâtre, le journalisme et même dans la poésie. Son anthologie de la poésie française publiée en 1920 fait école et montre le chemin à toute une génération de traducteurs. Dans la première moitié du XXe siècle, il est sans doute l’auteur tchèque le plus connu et le plus traduit à l’étranger. Ses pièces de théâtre sont jouées dans le monde entier et seule sa mort prématurée en 1938 a probablement empêché sa « nobélisation ».Né à la campagne, Karel Čapek s’installe à Prague, d’abord dans le quartier de Malá Strana et lorsque sa situation matérielle le lui permet, il s’associe à son frère Josef pour faire construire une maison sur un terrain qui se trouve à l’époque encore à la périphérie de la capitale. L’architecte Marta Mezerová est chargée de préparer la restauration de cette double villa que les héritiers de Karel Čapek et de sa femme Olga Scheinpflugová ont vendue à la mairie du Xe arrondissement de Prague :
« Cette maison est clairement intéressante. Œuvre de l’architecte Ladislav Machoň, la villa a été construite au début du XXe siècle. Ladislav Machoň était un architecte renommé. Avoir une maison créée par lui était considéré comme une marque de prestige. Pourtant ce n’est pas une maison hors standard. Ce qui est intéressant pour moi en tant qu’architecte, c’est que les intérieurs de la villa ont été conservés car les remaniements postérieurs ont été négligeables. On pourrait dire que Karel Čapek s’est ‘défoulé’ dans le jardin et pas dans la maison où de nombreux éléments authentiques sont restés intacts. Non seulement les meubles, mais aussi les revêtements de murs et de planchers sont pratiquement les mêmes. Nous, les architectes, avons donc assez d’informations sur les détails de cette maison et maintenant il ne s’agit plus que de trouver le moyen de lui redonner vie. »Un petit paradis terrestre
Karel Čapek qui aimait beaucoup la nature, a laissé aussi une profonde empreinte dans le jardin qui entoure sa maison. Kristina Vaňová, conservatrice du Musée Karel Čapek de Stará Huť, évoque la naissance de ce jardin que l’écrivain a tenté de transformer en un petit paradis terrestre et qui lui a inspiré son célèbre livre « L’Année du jardinier » :« Karel Čapek se réjouissait beaucoup à l’idée d’avoir un jardin, c’est-à-dire un espace qu’il pourrait transformer à sa façon. Je pense qu’au début il y avait un architecte-paysagiste qui devait remodeler l’espace autour de la villa, mais on peut lire dans les documents de l’époque que Karel s’est bientôt rendu compte que la conception de ce paysagiste ne correspondait pas tout à fait à ses intentions et il a décidé de s’en charger lui-même. Il ne travaillait pas tout seul parce qu’il a engagé un jardinier qui s’appelait Václav Motl. On peut dire que ce jardinier et chauffeur allait devenir, après quelques années, un membre de la famille de Karel Čapek. »
Les Invités du Vendredi
Après l’achat de la villa en 2013, une équipe de spécialistes a procédé à un examen détaillé des intérieurs et a fait l’inventaire de tous les objets qui s’y trouvaient. Ils ont été surpris de découvrir certaines pièces et également le fait que le dernier étage, inhabité pendant longtemps, se trouvait presque dans le même état qu’on peut le voir sur les photos datant des années 1930. C’est au dernier étage situé sous le toit mansardé de la villa que se réunissaient régulièrement dans les années 1920 et 1930 les amis de l’écrivain. Karel Čapek reçoit ses amis le vendredi et c’est pourquoi on se met à les appeler « Pátečníci – Les Invités du Vendredi ». C’est un cénacle exclusivement masculin inspiré par les clubs à l’anglaise qui réunit de nombreuses personnalités importantes de la vie intellectuelle et culturelle tchèque. L’historien de la littérature Jiří Holý rappelle quelques noms des membres de cette brillante coterie :« La majorité des invités étaient les auteurs que nous situons aujourd’hui dans le groupe appelé ‘le cercle du journal Lidové noviny’. C’étaient des intellectuels d’orientation libérale et démocrate comme le journaliste Ferdinand Peroutka, le dramaturge František Langer, les romanciers Karel Poláček, František Kubka et autres. Seul l’écrivain de gauche Vladislav Vančura faisait exception. Karel Čapek l’estimait beaucoup mais ne partageait pas ces opinions politiques. Il cherchait à attirer dans sa maison aussi des écrivains catholiques comme Jakub Deml, qu’il admirait beaucoup, et Jaroslav Durych, mais je pense que ni l’un ni l’autre ne sont jamais venus. »
Il faut ajouter que parmi les invités figurait aussi souvent le président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk et son futur successeur Edvard Beneš ce qui, d’une part, rehaussait encore l’éclat de ces rencontres mais, d’autre part, donnait aux mauvaises langues un prétexte pour accuser Karel Čapek de se mêler des affaires de la « grande politique ». Les sièges et même les verres numérotés des invités du vendredi sont toujours à leur place.
Découverte d’un trésor
Cependant, la plus grande découverte attendait les conservateurs dans les combles où se trouvait le bureau de Karel Čapek. Dans un coffre-fort astucieusement caché au fond d’une armoire, ils ont trouvé à côté de l’argenterie de famille des liasses de lettres échangées entre l’écrivain et sa femme Olga, sa correspondance avec le président Masaryk et même les lettres adressées par Josef Čapek pendant la guerre à sa famille après sa déportation dans un camp de concentration. Les spécialistes apprécient surtout la découverte de deux cahiers pleins de dessins esquissés par Karel Čapek lors de ses nombreux voyages. Plusieurs ensembles de photos représentent entre autres Olga Scheinpflugová mais aussi la petite chienne fox terrier appelée Dášeňka que l’écrivain a immortalisé dans un de ses livres les plus populaires et les plus appréciés des enfants. Les conservateurs ont trouvé et recensés dans la maison au total 3 500 objets dont 400 ont une incontestable valeur historique et documentaire.Comment préserver l’authenticité de la maison
C’est donc une grande richesse qu’il faudrait présenter au public d’une manière ou d’une autre. Les amateurs de l’œuvre de Karel Čapek et tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la littérature tchèque ont déjà la possibilité de faire une visite virtuelle de la villa sur le site Internet du Xe arrondissement de Prague qui est désormais propriétaire de la maison et se charge aussi de sa restauration : http://www.praha10.cz/. Que faire pour permettre au public de visiter cet espace privilégié sans lui nuire ? Que faire pour préserver le caractère authentique, fragile et intimiste de ce haut lieu de la littérature tchèque ? Telle sont les questions que se posent aujourd’hui les spécialistes, dont l’architecte Marta Mezerová :« Je suis curieuse de savoir quel aspect la mairie de cet arrondissement de Prague désirera donner à cette villa. Il y a plusieurs possibilités pour aborder la restauration de cette maison. Evidemment nous chercherons à conserver la majorité des éléments originaux mais il reste à savoir dans quelle mesure la villa s’ouvrira au public, dans quelle mesure elle se transformera en un centre culturel. Pour moi, Karel Čapek est une espèce d’icône mais je me demande ce que les écoliers actuels savent de lui. A travers cette maison, c’est ainsi que je le comprends, nous pouvons transmettre aux gens de façon informelle énormément d’informations, et sur la villa, et sur la personnalité de l’écrivain. »