Le village tchèque – la fin des illusions

Petra Dvořáková, photo: Kamila Šoltésová / Host

La vie à la campagne tchèque dépouillée de son auréole bucolique. C’est ainsi que nous pouvons résumer le sujet du livre que son auteure, Petra Dvořáková (1977), a intitulé Dědina (Le Village). Sa plume acérée dessine une image sans complaisance des villageois pris au dépourvu par les défis de l’actualité. Parmi les traits caractéristiques de ces héros campagnards, il y a la cupidité, la jalousie, et la méfiance vis-à-vis des autres, mais aussi l’attachement pour la terre, une certaine générosité et des liens familiaux encore très forts. Il ne leur est pas facile de vivre avec un tel fardeau dans un monde qui change à vue d’œil.

Une vie digne d’un roman

Petra Dvořáková,  photo: Kamila Šoltésová / Host
La vie de Petra Dvořáková pourrait être un sujet de roman. Le sort lui a fait subir de nombreuses épreuves. Pour échapper à une mère trop possessive, elle se réfugie, à 14 ans, dans un couvent où elle passe quatre ans et fait, en même temps, des études d’infirmière. Revenue à la maison, elle se marie rapidement parce qu’elle n’arrive plus du tout à supporter la tyrannie familiale. Elle a deux fils dont le benjamin tombe grièvement malade. Il souffre d’une leucémie et sa mère lutte de son côté désespérément contre l’anorexie. Son fils guérit après un traitement long et compliqué, mais l’anorexie de Petra s’aggrave encore. A 24 ans, elle ne pèse que 37 kilos et, alors qu’elle est à bout de forces, son mari la quitte.

Dans ce moment critique, elle trouve pourtant une nouvelle énergie pour recommencer sa vie. Elle divorce, trouve un nouveau partenaire, et réussit finalement à guérir de son anorexie. Pendant la maladie de son fils, elle avait déjà commencé à écrire et ses livres finissent par lui rapporter plusieurs distinctions dont le prix Magnesia litera, considéré comme le prix littéraire tchèque le plus prestigieux. L’impulsion pour écrire son dernier livre lui est venue à la campagne :

« Je viens d’un village sur le Plateau tchéco-morave. Je n’y vis plus depuis longtemps, mais chaque fois quand je m’y rends, ce qui arrive à peu près trois fois par an, je vois que le village change profondément. Le village, tel que je l’ai connu, est en train de disparaître, et soudain j’ai ressenti un fort besoin de conserver le village tel qu’il est maintenant et qui, dans vingt ans, sera probablement tout à fait différent. […] La raison principale pour écrire ce livre a donc été de conserver cette image. »

Le conflit des générations à la campagne tchèque

'Le Village',  photo: Host
Petra Dvořáková connaît bien son sujet. Elle a vécu à la campagne et le lecteur trouve dans son livre beaucoup de détails tirés de la réalité de tous les jours et des caractères originaux et convaincants. Dans son récit tragicomique, elle brosse une image haute en couleurs de cette vie loin des grandes agglomérations où elle voit poindre un conflit de générations :

« Après la révolution, on a commencé à restituer les terres à leurs anciens propriétaires. Cela a d’abord suscité un grand enthousiasme, parce que la génération de mes parents espérait que tout serait comme avant la collectivisation. Mais, entre-temps, le monde a profondément changé et la génération des quarantenaires désire vivre autrement. Ils demandent leur part du bien-être et du confort, même à la campagne, mais travailler dans l’agriculture n’est pas chose facile, on y travaille dur du matin au soir. »

Une famille divisée

La génération des quarantenaires n’a plus envie de faire ce genre de besogne et refuse de se sacrifier pour la terre. Cet antagonisme entre générations surgit aussi dans la famille dont la vie est le principal sujet de ce livre. Les époux Josef et Maruna se trouvent au seuil de la vieillesse. Ils possèdent une grande ferme et de vastes champs qui leur ont été restitués mais leur fils, Zbyněk, n’a pas envie de labourer la terre. Il cherche d’autres moyens pour gagner sa vie, même illégaux. Le conflit ouvert entre le père et le fils éclate au moment où Josef découvre que son fils s’est associé à des voleurs. Ce coup terrible, qui risque de désintégrer la famille, a aussi, cependant, un effet salutaire parce qu’il révèle à Zbyněk le danger qui le guette et lui offre la possibilité, peut-être, de se ressaisir. L’affaire de cette famille paysanne n’est cependant qu’un des épisodes constituant la trame du livre et qui ne sont liés que très librement. Petra Dvořáková constate :

« Je dis toujours que c’est un livre d’expériences. Venez à la campagne et vivez la vie de la campagne dans tous ses aspects. Je ne recherchais ni les situations comiques ni sérieuses, je voulais présenter le village tel qu’il est. J’avais l’impression que beaucoup de gens se font des illusions et que l’idée qu’ils se font de la vie à la campagne est idéalisée. Et tout cela est encore stimulé par les tendances actuelles des gens souhaitant partir à la campagne pour y mener une vie écologique. »

Des vies qui s’entremêlent

Dans d’autres épisodes du livre, le lecteur suit le désespoir d’une grand-mère qui n’arrive pas à dompter sa petite-fille agitée, ce qui est la source d’incessants problèmes. Il devient ensuite le témoin de l’infidélité du boucher du village envers sa femme enceinte, qu’il commet dans un moment de faiblesse et qui ne cesse de troubler sa conscience. Et le livre finit par l’histoire d’un couple, une petite vieille et son mari malade, qui semblent vivre dans l’indifférence et même dans une antipathie mutuelle, et qui pourtant ne peuvent plus exister l’un sans l’autre. Petra Dvořáková n’épargne pas ses personnages, elle montre toutes les failles de leur caractère avec une objectivité qui peut sembler sévère. Elle est une observatrice implacable, mais c’est peut-être cela qui donne vie à ses personnages :

« Je ne peux créer un personnage littéraire que quand je m’identifie avec lui, quand je deviens ce personnage. […] Je n’ai pas la possibilité de vivre séparément de mes personnages et je ne peux même pas les juger. En écrivant, je me glisse dans leur peau. »

Une arène où l’on s’observe

« A la campagne, on doit savoir pardonner. »

Le village se présente dans ce roman comme une arène où évoluent des individualités bien différentes, mais qui ont quand même certains dénominateurs communs. C’est un monde clos où Dieu, ce grand élément unificateur, est déjà presqu’absent, et où les vielles coutumes qui réunissaient les gens, tombent dans l’oubli. C’est un monde où les gens s’observent attentivement et se jugent sévèrement. Ils voient bien toutes les irrégularités dans le comportement de leur voisins, leurs penchants pour l’alcool et le sexe, leur mauvaise langue, leur âpreté au gain et leur mesquinerie sans se rendre à l’évidence qu’ils partagent eux aussi ces défauts, et souvent sans s’apercevoir que leurs voisins font parfois de bonnes choses.

Petra Dvořáková démontre aussi dans son livre que la coexistence des habitants des villages tchèques est encore possible parce que les villageois sont capables, malgré toutes les animosités avouées et inavouées, de s’entendre, de s’entre-aider et de sympathiser. Ils sont quand même les héritiers de nombreuses générations des paysans que la dure vie à la campagne prédisposait à la lutte égoïste pour leurs intérêts, mais les poussait aussi à se rapprocher, à chercher une entente et à se pardonner. Petra Dvořáková conclut :

« A la campagne, on doit savoir pardonner. Il faut pardonner chaque jour. Vous pouvez être en colère, vous pouvez jalouser votre voisin mais le nombre de gens qui y vivent est si petit et les gens y sont si près les uns des autres que, lorsque vous vous mettez à les haïr et vous êtes de surcroit rongé par l’envie, vous vous retrouvez dans une situation qui est invivable. Pour survivre, vous devez donc pardonner. Les gens qui vivent à la campagne ont plus besoin les uns des autres, ils sont plus liés entre eux. »