Leopolda Štěpánová : une histoire entre la Tchécoslovaquie, la Tunisie et la France

Photo: Archives de Marie-Louise Foizon et Monique De Matteis

A l’occasion de la fête de Cyrille et Méthode, jour férié en République tchèque, Radio Prague vous propose, dans le cadre d’une émission spéciale, de plonger dans l’histoire d’une femme, Leopolda Štěpánová, dont le destin incarne à lui seul les aléas de l’histoire tchécoslovaque au cours du XXe siècle.

Bonjour. Radio Prague accueille aujourd’hui en studio Marie-Louise Foizon et Monique De Matteis. Notre rencontre a pour but d’évoquer ensemble un sujet qui nous est évidemment cher à la rédaction française de la Radio tchèque, puisque c’est un destin franco-tchèque. C’est celui de votre mère, Leopolda Štěpánová. C’est aussi un travail de filiation féminine, puisque je constate que ce sont les descendantes de Leopolda, dont votre fille et nièce Violaine également, qui s’attellent à la tâche de retracer son histoire franco-tchèque à travers sa correspondance. Vous vous êtes lancées en effet dans un travail de longue haleine de traduire toutes les lettres qui lui ont été envoyées par sa famille pendant toute sa vie hors des frontières de la Tchécoslovaquie. Mais avant de parler de cette correspondance proprement dite, revenons sur l’histoire de Leopolda. Qui était-elle, d’où venait-elle ?

Photo: Archives de Marie-Louise Foizon et Monique De Matteis
M.-L. F. : « Leopolda venait de Moravie, elle est née à Přerov. Elle a été scolarisée comme toutes les jeunes filles de l’époque. A l’occasion du travail qu’on a fait sur elle, on s’est rendu compte que l’enseignement était une priorité dans ce pays depuis très longtemps. Lorsqu’elle a eu 24 ans, elle a dû partir pour le travail obligatoire en Allemagne. »

Puisque vous parlez de cette enfance tchécoslovaque, rappelons qu’elle est née en 1917, elle est presque née, à un an près, avec la toute nouvelle république démocratique de Masaryk, après l’effondrement de l’empire austro-hongrois. J’imagine que cette enfance et cette adolescence sous la Première république tchécoslovaque ont dû laisser des traces…

M.-L. F. : « Absolument. Elle en parlait en permanence. Les personnages et les choses qui ont rythmé notre enfance, c’était Masaryk, Beneš, Jan Hus, c’était la constitution de la République tchécoslovaque, l’avènement du communisme en 1948, l’inquiétude pour ce pays en permanence. Je pense qu’elle nous a initiées à une lecture politique, au vrai sens du terme, où il s’agit des relations entre les personnes et les Etats. »

M. D. M. : « Ensuite, elle nous a beaucoup parlé aussi de toute la période austro-hongroise. Quand elle évoquait Marie Thérèse d’Autriche, elle disait ‘notre roi Marie Thérèse’. C’était peut-être une erreur, mais je n’en suis pas sûre. Une chose est sûre : elle en parlait beaucoup, ainsi que des grands personnages de l’histoire tchèque depuis le début. »

Elle vivait avec un gros héritage de l’histoire tchèque et elle vous l’a transmis…

M. D. M. : « Oui. Et d’ailleurs, ça nous posait des problèmes à l’école parce qu’elle avait une façon de présenter l’histoire de son pays qui n’était pas exactement la même façon de présenter l’histoire que l’on avait à l’école. Cela nous a permis de nous rendre compte que ce qu’on nous raconte à l’école n’est pas forcément objectif. »

Les Accords de Munich | Photo: Bundesarchiv,  Bild 183-R69173/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 1.0
On en reparlera plus tard : Leopolda s’est retrouvée bien plus tard en France et avant cela en Tunisie. Mais puisque vous parlez de la dichotomie entre son vécu et ce qu’on vous racontait à l’école, j’imagine que les Accords de Munich ont été quelque chose qu’elle a très mal vécu…

M. D. M. : « Très mal. Elle en voulait à la France parce que les Tchèques avaient une certaine admiration de ce pays, à travers la littérature. D’ailleurs elle-même a appris le français en lisant les grands auteurs. Et les Accords de Munich ont été une vraie trahison qui l’a fait souffrir. Ça, elle nous en parlait… »

Olomouc le 8 avril 1948 Chère Leinka, Leinka, je te félicite d'avance que vous ayez bientôt une famille. Tout a donc bien tourné : vous avez un appartement, vous aurez bientôt une famille, que voudrais-tu d’autres ? Loin des différends humains européens, je t'envie, ma fille, chez nous c'est horrible la situation et que pouvons-nous faire ? Serrer les dents et suivre sans dire un mot. J’ai souvent l’impression que c’est pire que pendant l’occupation où nous avions peur des Allemands. Aujourd’hui nous avons peur des nôtres et ça fait d’autant plus mal le fait que ça soit des nôtres, et la méfiance des uns envers les autres, la jalousie, la haine, celle-ci peut exister uniquement au sein de notre nation tchèque, crois-moi qu’on aurait presque honte d’avouer qu’on est Tchèques. Autant nous en étions fiers, autant maintenant, si j’étais obligée de le dire à l’étranger, je le ferais avec un dégoût et une crainte d’être considérée comme un être exclu de la société des conscients. C’est à cela que nous sommes arrivés, c’est la revanche sur ceux qui se sont battus, qui étaient dans le besoin, qui saignaient pour notre « liberté ». Mais nous sommes serrés comme jadis, il n’y a pas de liberté de presse, de liberté de penser, de liberté de s’exprimer. Je voudrais vraiment savoir comment on parle de nous à l’extérieur, écris quelque chose, espérons qu’ils ne s’abaisseront pas jusqu’à censurer les lettres, il n’y a pas si longtemps qu’on a connu cela. Ca ne serait pas bizarre. Míla

Pour revenir à ce que vous évoquiez toute à l’heure : la guerre arrive, la Tchécoslovaquie est occupée. Que devient Leopolda ?

Lea et Aldo à Nuremberg,  1945,  photo: Archives de Marie-Louise Foizon et Monique De Matteis
M.-L. F. : « Leopolda part en Allemagne pour le travail obligatoire. Là, c’est encore une source de recherches pour nous, car en France, le STO n’était pas obligatoire pour les femmes mais il semblerait qu’elle ait été obligée de partir. Elle a été affectée dans une usine de tapisserie à Nuremberg. C’est à la suite d’un bombardement dans cette usine qu’elle a été amenée, avec les autres ouvriers, à prendre ses repas dans un bâtiment où se trouvaient des prisonniers de guerre, sans doute de toutes nationalités, dont des Français. »

Et c’est là qu’elle va rencontrer son futur mari, votre père, un Français d’origine italienne, vivant en Tunisie…

M.-L. F. : « Il n’avait jamais connu la France d’ailleurs. Sauf en la traversant avant d’être fait prisonnier dans la région parisienne et affecté à Nuremberg. Ils sont tombés amoureux d’une façon tout-à-fait originale, qui peut aussi témoigner de la générosité de cette femme. Mon père était toujours en retard, il avait le rythme méditerranéen. Et elle s’était rendu compte que lorsqu’il arrivait à table, il n’y avait plus rien dans les gamelles. Donc, elle lui prenait toujours une pomme de terre dans une gamelle, lui faisait signe de venir à ses côtés. Donc l’histoire a commencé comme cela, autour d’une pomme de terre. »

Parlait-elle de cette période de la guerre ou pas ?

M. D. M. : « Oui. Ils en parlaient beaucoup ensemble. »

M.-L. F. : « Et surtout ma mère ne cessait de dire qu’on savait ce qui se passait. Elle disait que tout le monde fermait les yeux, mais qu’on savait… Elle disait que dans les usines, on savait que les Juifs étaient déportés, qu’ils mouraient de façon très rapide. Elle se rebiffait contre ce silence de la communauté internationale, car elle souffrait de cela. Pour elle, de même qu’on avait abandonné la Tchécoslovaquie, on abandonnait les Juifs. »

Le 26 novembre 1951, du Canada Je ne sais vraiment pas comment ça se passe ces derniers temps avec l’envoi des lettres depuis la Tchécoslovaquie à l’étranger. La dernière lettre de chez moi, pour laquelle je joins ici la réponse et vous pris de l’envoyer, est bien arrivée chez nous mais sur l’enveloppe il y avait des inscriptions écrites avec une main différente de celle qui a écrit la lettre. Je ne sais vraiment pas quelle est la pratique des camarades en ce moment. On ne peut certainement pas écrire tout ce que les gens de chez nous voudraient écrire. Les nouvelles de chez nous ne sont pas du tout bonnes en ce moment. Il est vraiment le temps qu’il se passe quelque chose. Et aujourd’hui, rien ne peut se passer sans la guerre. Quand ça sera enfin la fin de ces guerres terribles pour que les gens puissent vivre leur pèlerinage terrestre tranquillement et en paix ? Ici, personne ne se fait la tête avec la politique. Ici, les gens s’occupent du bien-être de tout le monde. Votre Václav

Photo: Archives de Marie-Louise Foizon et Monique De Matteis
Tous deux ont survécu à la guerre… Et que s’est-il passé ensuite ? Leopolda fait le choix de rejoindre ce jeune homme vivant en Tunisie…

M.-L. F. : « Pas tout de suite. Elle rentre en Tchécoslovaquie en 1945 et elle est partie en 1946 en Tunisie. »

C’était un choix assez incroyable, j’imagine, pour l’époque, de partir de Tchécoslovaquie pour la Tunisie… Savez-vous comment l’a vécu sa famille ?

M.-L. F. : « On ne peut pas savoir. Elle n’en parlait pas, c’était une personne très discrète. On ne sait pas comment elle l’a vécu, ni comment l’a vécu sa famille. Mais ça devait être douloureux, car lorsque ma mère disait ‘chez nous’, c’était toujours la Tchécoslovaquie… »

Comment se passe cette nouvelle vie en Tunisie ?

M. D. M. : « Je pense que c’est une vie qui est extrêmement difficile. D’abord c’est une famille qui vit en Afrique du Nord. C’est une vie qui est proche de celle des Tunisiens, et qui est totalement différente de celle qu’on peut vivre par exemple en Europe centrale. Ma mère ne comprenait pas pourquoi, quand elle devait sortir, sa belle-mère devait l’accompagner… Elle ne pouvait pas sortir toute seule. Elle a eu l’impression d’être un peu prisonnière. Mais la famille a été accueillante. Je pense qu’elle a été bien accueillie mais qu’elle a énormément souffert du décalage culturel… »

Tunisie,  photo: Archives de Marie-Louise Foizon et Monique De Matteis
M.-L. F. : « Et du décalage par rapport à la langue… »

Elle parlait en quelle langue justement ?

M. D. M. : « Elle parlait l’allemand avec mon père : il était très doué avec les langues et a appris l’allemand pendant sa captivité. Ils se parlaient en allemand sans être allemand ni l’un ni l’autre. Donc le dialogue ne devait pas toujours être très facile. »

Elle a appris le français à ce moment-là ?

M.-L. F. : « Oui, elle a appris le français en lisant. Elle avait donc un français très littéraire, très désuet. »

M. D. M. : « Le vocabulaire était très recherché, mais la syntaxe était incorrecte. Donc c’était assez surprenant. Personnellement, nous ne nous en rendions pas compte… Mais le vocabulaire n’était pas adapté à la forme de ses phrases. »

Olomouc, le 3 juin 1953 Chère Léa, Et comment est-ce que tu vis là-bas ? Et le climat te fait du bien ? Je suis vraiment bien curieuse de savoir si un jour on pourra bien t’accueillir dans ta patrie, si tu te rendras dans ton pays. Je sais que rien ne t’attire ici et chez toi c’est ailleurs, mais au fond de ton âme il doit y avoir quand même un petit désir et des souvenirs de ton pays, un petit désir de retourner voir les tiens, ceux avec qui tu as grandi et a passé ta jeunesse. Je te souhaiterais vraiment d’avoir la possibilité de prendre l’avion et de faire un saut dans ton pays et de t’envoler ensuite de nouveau comme un petit oiseau et voler là où ta famille t’attache. Je sais que tu as beaucoup de travail avec les trois enfants, mais tu vas, j’espère, trouver un moment. Quand les frontières seront ouvertes, je viendrai te voir et t’amènerai une salutation de chez toi. Míla

Photo: Archives de Marie-Louise Foizon et Monique De Matteis
Puis vient la décolonisation… C’est difficile pour toute la famille. Pour Leopolda, c’est un deuxième déracinement. La famille se retrouve en France où personne n’a jamais mis les pieds. Comment cela se passe-t-il ?

M. D. M. : « Mon père travaillait aux impôts. Il était fonctionnaire et donc a été muté à Grenoble. Mes parents y avaient donc acheté un appartement. Et quand on est arrivés à Grenoble, on a dit à mon père que finalement sa mutation était à Châlons-sur-Marne. On est arrivés à Châlons sans logement, on était cinq et un peu comme des vagabonds. A notre arrivée, nous avons dû loger à l’hôtel et nous passions nos journées dans les jardins publics. Je me demande par contre, si le fait d’être dans la Marne ne lui a pas rappelé un peu son pays d’origine… Parce que c’est plus vert, qu’il y a plus de forêts, que c’est à l’Est, qu’on n’est pas loin de l’Alsace, qu’il y a peut-être des gens qui parlent l’allemand… Je pense qu’elle devait s’y sentir un peu plus à l’aise, ne serait-ce qu’à cause du climat qui était moins chaud, et aussi au niveau alimentaire. Il faut savoir que notre mère nous faisait des plats extrêmement chauds, bouillants. Ce qui peut se justifier quand on est en Tchécoslovaquie, mais en Tunisie, un peu moins. A Châlons, elle retrouvait un peu ses habitudes alimentaires : on avait droit à la soupe bouillante, à la choucroute… Et on passait pas mal de vacances en Suisse, en Allemagne… »

Přerov, le 4 juillet 1953 Chère Leuška et Aldíček ! Maruška m’a écrit deux petites lettres. Je l'en remercie, et Maruška, envoie m’en encore une. Je les garde pour comparer la maturité. Elle tient le pas avec les autres enfants de l’école. J’ai de beaux livres de contes de fée, mais dois avoir une autorisation pour les envoyer. Quand je serai arrivée à me libérer du travail (c’est très difficile) j’irai à Olomouc. J’enverrais aux enfants aussi des marionnettes. Apprends-tu aux enfants aussi le tchèque ?

Et les voyages en Tchécoslovaquie débutent quand ?

Photo: Archives de Marie-Louise Foizon et Monique De Matteis
M.-L. F. : « C’est aussi à partir de là qu’ont commencé les voyages en Tchécoslovaquie… Le premier voyage familial où on allait voir le pays natal de notre mère, c’était en 1958. On a été suivies sur place par une sorte d’accompagnateur : je ne sais pas comment on appelait ces personnes qui escortaient les touristes… »

M. D. M. : « Tous les matins, il passait à la police ou je ne sais où pour donner le circuit qu’on allait faire dans la journée. »

M.-L. F. : « Les comportements de la famille étaient aussi étranges parce que pour parler dans la maison, on fermait les portes. Nous ne comprenions pas trop. Et puis, quand ma mère et son frère parlaient de questions politiques, ils allaient toujours dans les bois… »

Je voulais vous demander comment elle a vécu l’éloignement de son pays, mais ça semble clair, c’était un pays qui lui manquait…

M. D. M. : « Je dirais que ma mère ne regardait jamais derrière elle. Elle allait toujours droit devant. Elle n’avait jamais de regrets. Si elle devait partir, elle partait. Ce n’était pas quelqu’un qui vivait dans la nostalgie. Elle devait en éprouver mais faisait comme si ce n’était pas le cas. Mais je pense qu’elle a terriblement souffert. »

Lea Štěpánová à Châlons-sur-Marne en 1962,  photo: Archives de Marie-Louise Foizon et Monique De Matteis
Leopolda est décédée en 1995, à sa mort, vous avez retrouvé toutes les lettres qu’elle avait reçues de sa famille restée en Tchécoslovaquie entre 1947 et les années 1980. Avec qui correspondait-elle et qu’apprend-on au travers de ces lettres ?

M.-L. F. : « Elle correspondait avec son frère, sa sœur, avec une amie d’enfance, Zofinka… Le contenu, c’est à l’image des lettres qu’on écrivait dans le temps, où la lettre était un véritable exposé de la vie quotidienne, de ce qui se passait au niveau politique, familial, culturel. Peu à peu, on voit qu’avec l’avènement du régime communiste, plus contraignant, les lettres deviennent banales. Mais on ne sait pas s’il n’y avait pas des codes entre eux… C’est là que nous fait défaut le manque de maîtrise de la langue et c’est pourquoi on a fait appel à une traductrice qui nous permet d’accéder à ce contenu. Et là, nous avons la possibilité de récupérer la correspondance que ma mère envoyait à son frère : j’ai retrouvé une cousine qui a toute la documentation. On aura donc toute la partie des lettres que ma mère adressait à sa famille. »

Donc le contexte historique se reflétait dans cette correspondance. En quoi par exemple ?

M.-L. F. : « D’abord l’avènement du communisme et la peur du nouveau régime en place. Ma mère avait une sœur qui était une femme un peu résistante. Elle s’était obstinée à vouloir maintenir un crucifix dans sa salle de classe. Elle a été révoquée et affectée aux chemins de fer. Elles correspondaient entre elles sur ce sujet aussi. »

Le 8 juin 1954, Demain, je vais envoyer, parallèlement avec cette lettre, un des livres de Martina. Écris-moi, s’il te plaît, aussitôt que le livre arrivera et je choisirai après encore quelque chose de beau pour l’envoyer. Je serais tellement contente si tes enfants pouvaient babiller en tchèque quand vous viendrez un jour.(…) Peut-être un jour, je verrai votre maison quelque part près de la magique Tunis ou à Tunis même. La France est certes magique et tu as raison, on s’habitue finalement partout, on doit s’installer là où on gagne son pain. (…) Par ailleurs, tu m’as parlé de tes dernières vacances. Je regarde souvent les cartes que tu m’as envoyées. Elles me font soupirer profondément et me donnent envie de partir aussi au moins une fois à la découverte du vaste monde magnifique. Je sais, tu désires te rendre à nos montagnes que tu dois trouver les plus belles au monde. L’homme est comme ça, il désire toujours ce qu’il ne peut pas atteindre. Je suis contente pour toi de vous voir rester là où vous êtes, où tu te plais et où tu es heureuse. Déménager n’est pas un délice, on est content quand on peut se poser tranquillement. (…) La dernière ligne que tu m’avais écrite m’a fait très plaisir : tu t’engages à m’écrire chaque mois au moins une lettre. Je suis vraiment très, très curieuse de savoir si tu arriveras à tenir cette résolution. J’ai donc un grand espoir et peux me réjouir dans l’attente de ta belle lettre. Je vais à chaque fois l’attendre avec une grande impatience, tu le comprends certainement. Il y a si longtemps que je ne t’ai pas vue. Ça fait une éternité, n’est-ce pas ? Marta

Est-ce que vous avez l’impression qu’elle vous a laissé un héritage tchèque ? Vous ne parlez pas la langue, mais avez-vous l’impression d’avoir engrangé certains aspects de la culture de son pays d’origine ?

M.-L. F. : « D’abord la lecture. Ce qui dans un milieu d’Italiens vivant en Tunisie à cette époque-là était considéré comme un acte de fainéantise. A fortiori dans ce milieu de femmes, affectées uniquement aux tâches ménagères. Ma mère était totalement singulière : elle lisait, et la lecture avait de la valeur. Lire n’était jamais une perte de temps, alors que dans cette culture-là, c’était le propre du fainéant. »

M. D. M. : « Et on pense que le fait d’aimer la lecture et de le transmettre aux enfants, ça vient d’elle. Tous petits on avait de la lecture, elle-même était toujours en train de lire et elle lisait toujours des livres de très grande qualité. On peut dire qu’elle nous a apporté le goût de la lecture et de la belle lecture. »

M.-L. F. : « Elle nous a aussi transmis la capacité d’analyser des situations politiques. Je crois qu’elle avait un sens du social, du collectif, héritage dont je ressens d’autant plus l’importance à l’heure actuelle, alors que la tendance est au narcissisme, au psychologisme. Elle avait l’idée d’un peuple résistant, minoritaire, qui sait faire face à l’adversité avec des moyens de résistance passive. C’est un héritage précieux que j’aimerais transmettre à mes enfants car c’est une manière d’être au monde. Elle était plus d’une communauté humaine que d’une communauté spécifiquement géographique. Cet héritage nous permet de lire les événements actuels d’une autre manière. »

(Les lettres familiales à Leopolda sont lues par sa petite-fille, Violaine Foizon.)