« Les Séminaristes », un thriller pas comme les autres sur la collaboration de l’Eglise avec le régime communiste

'Les Séminaristes'

C’est un des films qui ont marqué le cinéma européen en 2020. « Les Séminaristes » (« Služobníci » en version originale), le deuxième long-métrage du réalisateur slovaque Ivan Ostrochovský, 48 ans, se penche sur la collaboration de l’Église catholique avec le régime communiste, entre les murs d’une faculté de théologie. Depuis sa première mondiale il y a un an au Festival de Berlin, cette coproduction slovaque, tchèque, roumaine et irlandaise, nommée aux Prix du cinéma européen, attend sa sortie en salles en République tchèque. Jusqu’au 15 avril, le film est disponible en streaming sur la plateforme tchèque Aerovod.

'Les Séminaristes' | Photo: Filmtopia

C’est un chapitre sombre de l’histoire tchécoslovaque, un sujet toujours sensible voire tabou en République tchèque. Au début des années 1970, à l’époque dite de la normalisation, les autorités communistes ont créé l’organisation Pacem in terris destinée à contenir l’Eglise catholique dans une position tolérable pour l'idéologie d’État.

Ainsi, des centaines de prêtres tchèques et slovaques, membres de cette organisation, ont succombé à la pression et ont collaboré avec le parti communiste, alors que d’autres étaient actifs au sein de l’Eglise clandestine, opposée au régime en place et proche du mouvement de la dissidence. Des résistances à la trahison des prêtres réunis au sein de Pacem in terris pénètrent jusqu’à intérieur de la Faculté de théologie de Bratislava, où se déroule l’histoire du film. Ivan Ostrochovský :

Ivan Ostrochovský | Photo: Bohumila Reková,  ČRo

« Mon film raconte l’histoire de deux jeunes hommes qui, en 1980, arrivent de la campagne à Bratislava, pour étudier la théologie. Au séminaire, leur idéalisme et leur naïveté sont confrontés à la réalité de l’Eglise catholique de l’époque, harcelée par le régime communiste. La pression exercée sur les séminaristes détruit l’amitié entre les deux garçons qui ont chacun une manière différente de faire face à cette situation compliquée. »

'Les Séminaristes' | Photo: Filmtopia

Ivan Ostrochovský a composé autour de cette histoire un film d’art et d’essai avec des éléments de thriller. Tourné en noir et blanc, le film s’appuie moins sur les dialogues, mais il se concentre sur l’ambiance pesante et oppressante de l’époque, soulignée par la bande originale. Sans présenter des scènes chocs, le réalisateur parvient à maintenir la tension et l’incertitude tout au long du film. Ivan Ostrochovský souligne qu’il n’a pas voulu dépeindre l’Eglise catholique sous le régime communiste, car il est impossible de traiter le sujet en un seul film. Il a voulu évoquer un dilemme moral universel, tout en s’inspirant d’événements historiques :

'Les Séminaristes' | Photo: Filmtopia

« Un de mes amis qui incarne un prêtre dans le film a fait ses études à la Faculté de théologie de Bratislava dans les années 1980 dont il a été exclu au bout de trois ans. Ensuite, la police secrète lui a proposé de continuer à faire ses études s’il collaborait, ce qu’il a refusé. Grâce à cette histoire, mon équipe et moi avons commencé à nous intéresser à ce qui s’était passé au sein de ce séminaire théologique sous le communisme. Dans le film, nous évoquons par exemple la grève de la faim lancée par les séminaristes pour protester contre les activités de l’organisation Pacem in terris. (…) Un autre fait qui illustre bien la réalité de l’époque est la mort suspecte d’un prêtre ordonné en secret et très actif au sein de l’Eglise clandestine. »

« Toutefois, je ne pense pas que mon film parle uniquement de l’époque communiste. Ce n’était pas mon but. J’enseigne à l’école de cinéma et je sais bien que c’est une histoire lointaine pour les jeunes de 20 ans. Le communisme ne les intéresse pas, c’est comme si on leur parlait des guerres napoléoniennes. Pour moi, le communisme était une toile de fond pour montrer comment les gens peuvent se comporter dans les situations extrêmes. »

'Les Séminaristes' | Photo: Filmtopia

Plusieurs noms connus à l’international ont collaboré au film d’Ivan Ostrochovský. Parmi eux, la dramaturge britannique Rebecca Lenkiewicz, qui a coécrit le film oscarisé « Ida » ou encore le grand acteur roumain Vlad Ivanov. A savoir que les ventes internationales du film sont assurées par l’enseigne parisienne Loco Films.

Lukáš Jirsa | Photo: Dominik Čejka,  ČRo

Pour le critique de cinéma Lukáš Jirsa, « Les Séminaristes » sont l’un des meilleurs films européens de l’année dernière :

« Pour moi, ce film est avant tout une œuvre d’art. Ceux qui y cherchent un thriller classique, un film d’espionnage sur l’époque communiste dans le style HBO seront probablement déçus. Il se distingue par son ambiance particulière, par cette magie cinématographique liée à la réalisation, le casting et le jeu d’acteurs, la prise de vues, le montage, la lumière… »

'Les Séminaristes' | Photo: Filmtopia

« Pour ce qui est des faits réels évoqués dans le film, j’en ai discuté avec mes parents. Ils m’ont dit que dans les années 1970-80, les croyants ne savaient pas grand-chose sur l’organisation Pacem in terris. Ils ne savaient pas quels prêtres avaient adhéré à cette structure communiste et quels prêtres avaient refusé. Cette organisation, qui réunissait à l’époque son apogée environ 30% du clergé tchèque et un nombre similaire de prêtres en Slovaquie était très critiquée au sein de l’Eglise même. Elle a pratiquement arrêté son activité après 1982, lorsque son existence a été dénoncée par le Saint-Siège. »

'Les Séminaristes' | Photo: Filmtopia

La sortie des « Séminaristes » est prévue dès la réouverture des salles en République tchèque. Le réalisateur Ivan Ostrochovský espère que son film pousse les spectateurs à une réflexion :

« J’aimerais que l’on réfléchisse à l’impact de la peur sur notre comportement. C’est un sujet qui est peut-être plus d’actualité qu’auparavant. »