Les sortilèges de Magdalena Kozena

L'orchestre d'instruments anciens Musica Florea a donné ce lundi un concert avec le concours de Magdalena Kozena, cantatrice avec laquelle il collabore depuis des années.

A la veille de son départ pour les engagements à Glyndenbourne et au Metropolitan Opera, Magdalena Kozena a chanté sous les immenses lustres dorés de la Salle espagnole du Château de Prague des oeuvres de Haendel. On a entendu trois grands airs de l'opéra "Giulio Cesare" et la cantate "La Lucrezia". L'orchestre dirigé par Marek Stryncl a ajouté l'ouverture "Wassermusik" et le concerto pour deux flûtes de Telemann, oeuvre brillante et chatoyante servie à merveille par les flûtistes Jana Semeradova et Marek Spelina.

Il y a peu d'oeuvres aussi dynamiques et violentes que la cantate "La Lucrezia". Haendel a accumulé dans la cantate les passages très contrastés. Les explosions d'une énergie dévastatrice alternent avec les moments d'un désespoir sans fin, le climat sentimental change avec une rapidité prodigieuse et les moyens vocaux aussi. Pour caractériser l'héroïne déshonorée qui se donne la mort, Magdalena Kozena a exploité non seulement tout un arsenal du bel canto mais aussi des éléments du théâtre dramatique. On peut se demander, certes, si c'est un répertoire qui correspond le mieux à son talent. Elle est sans doute plus à l'aise dans les airs empreints de lyrisme et de douce mélancolie, mais aujourd'hui elle dispose aussi des moyens pour s'attaquer aux oeuvres exprimant la violence des passions. Dans l'air de Cléopatre "Da tempeste" elle a montré qu'elle ne cesse de perfectionner sa technique vocale. Toutes ces fioritures, ces roulades, ces trilles et ces sauts périlleux deviennent dans sa bouche un instrument qui exprime avec une finesse psychologique irrésistible les élans intérieurs du personnage qu'elle incarne.

Le sommet de la soirée était cependant le grand lamento de Cléopatre "Se pieta". Cette mélodie sans fin a permis à Magdalena Kozena de déployer la splendeur de sa voix d'un volume prodigieux et d'une délicatesse à couper le souffle. Elle a bouleversé son public, mais par le miracle de l'art, les accents tragiques de sa voix, les larmes et les sanglots transfigurés par le chant blessaient et guérissaient en même temps pour nous apporter finalement une douce résignation.