La maison d’édition Albatros, un phénix qui renaît toujours de ses cendres
70 ans se sont écoulés depuis la fondation de la maison d’édition Albatros spécialisée dans la littérature d’enfance et de jeunesse. Au cours de cette période remplie d’activités éditoriales, la maison a changé de nom, déménagé plusieurs fois et publié quelque 13 000 titres en 350 millions d’exemplaires.
Une maison d’édition comme un moyen de lutte idéologique
En 1949, un an seulement après la prise du pouvoir par les communistes en Tchécoslovaquie, les autorités décident de créer une maison d’édition pour les enfants et adolescent tchèques. Officiellement, cette mesure fait partie de la nouvelle conception des activités scolaires et extrascolaires des enfants. L’objectif véritable du nouveau régime était cependant de contrôler tout le domaine de l’édition et de lui imposer une discipline idéologique. Le nouvel établissement s’appelle Státní nakladatelství dětské knihy SNDK - Maison d’édition d’Etat de livres pour enfants. Vingt ans plus tard, la maison changera de nom et s’appellera désormais Albatros. C’est sous ce nom qu’elle existe encore aujourd’hui. Son rédacteur en chef actuel Petr Eliáš peut se retourner avec fierté sur le passé de sa maison :« La tradition est un mot que nous déclinons assez souvent dans différents contextes. Et il faut dire que le sens de ce mot n’est pas toujours compris comme il faut. Je le comprends ainsi : nous avons 70 ans d’histoire mais ce qui est important, c’est ce qu’Albatros représentait à un moment précis, dans un contexte social et politique concret. Et je crois qu’Albatros a toujours été un éditeur qui ne manquait pas d’un certain aplomb, un éditeur qui était un refuge de nombreux auteurs, traducteurs et illustrateurs pour lesquels cette maison est devenue comme un second foyer. C’est Albatros qui leur permettait de publier leurs textes refusés par les éditeurs de livres pour adultes. »Le refuge des auteurs proscrits
A cours des quatre premières décennies de l’existence d’Albatros sa position est assez délicate. Fondée selon un modèle soviétique, elle subit de nombreuses pressions idéologiques de la part des autorités qui lui imposent d’abord des directeurs politiques. Elle arrive pourtant à résister tant bien que mal à ces contraintes et évite de devenir un instrument malléable de la propagande communiste. Souvent des rédacteurs d’Albatros ou des auteurs tolérés par le régime communiste prêtent leurs noms aux auteurs, illustrateurs et traducteurs interdits de publication. Cette méthode destinée à tromper les censeurs communistes est utilisée aussi dans d’autres maisons d’éditions mais dans le refuge d’Albatros, ces auteurs proscrits sont moins visibles et donc plus protégés contre le pouvoir arbitraire. Déjà dans les premières décennies de l’existence de la maison l’ambition des rédacteurs d’Albatros est d’éveiller l’intérêt du petit lecteur pour les livres de qualité. Et cela n’a pas changé jusqu’à aujourd’hui. Petr Eliáš le résume par ces paroles :« Ce qui est le plus important, c’est quand le livre résonne avec les enfants, quand nous voyons qu’il les amuse et les intéresse vraiment, qu’il n’est pas seulement joli, réussi au niveau artistique et qu’il se vend bien, mais que les enfants l’ouvrent et le lisent avec plaisir et intérêt. »
Les succès internationaux
Entre 1952 et 1955, le poste de rédacteur en chef est occupé par l’écrivain Karel Nový et entre 1955 et 1967 la direction de la maison est confiée au romancier Bohumil Říha. Ces deux personnalités contribuent beaucoup à la qualité de la production de la maison. Les succès de leur politique astucieuse, tolérante et ouverte aux nouveaux talents ne se font pas attendre. En 1958, de nombreux livres pour enfants sont primés à l’exposition universelle de Bruxelles et le Prix Hans Christian Andersen, considéré comme le prix Nobel de la littérature enfantine, est attribué successivement à plusieurs collaborateurs de la maison. Parmi les lauréats du prix, on compte entre autres Jiří Trnka, Dušan Kállay et Květa Pacovská. Impossible de citer ici tous les prix tchèques et internationaux remportés par les livres et les auteurs de la maison Albatros. Pour Petr Eliáš, la recherche de la qualité est un trait essentiel de toute la production de son établissement :« Quel que soit le livre que nous publions, nous cherchons à être toujours capables de défendre notre choix. Evidemment, nous ne sommes pas toujours contents à cent pour cent, nous n’avons pas toujours du succès, parfois nous nous rendons compte que nos attentes ne se sont pas réalisées, mais nous cherchons toujours, et là je suis très sévère avec nous, à ne pas avoir honte de ce que nous avons publié, même après des années. »Les pièges de l’économie de marché
En 1989, le régime communiste s’effondre et Albatros est obligé d’affronter de graves problèmes posés par l’économie de marché et la nouvelle concurrence. La maison est privatisée et change plusieurs fois de propriétaire. Elle continue ses activités mais ses effectifs sont réduits au minimum. Elle vit des périodes difficiles sans savoir si elle y survivra. Le début du nouveau millénaire apporte cependant une solution. Albatros devient membre fondateur du groupe Albatros media qui finit par réunir plusieurs maisons d’édition. Aujourd’hui le groupe compte 19 maisons d’édition qui gardent leur authenticité, leurs marques et leurs caractères. Selon Petr Eliáš, cette nouvelle situation va aussi de pair avec de nouveaux défis :« Nous faisons partie d’un grand groupe qui ne cesse de croître et l’une de nos tâches est de chercher toujours notre place parmi les éditeurs réunis dans cette grande société. Nous publions en moyenne 150 à 160 livres par an dont la majorité sont des nouveautés d’auteurs tchèques. Nous publions cependant aussi des livres réédités, des livres intemporels qui sont toujours demandés, ou des titres de qualité auxquels nous revenons après un certain temps. »
Le livre face aux nouveaux moyens de communication
Le monde change rapidement et avec lui change aussi le livre pour enfant. Albatros ne peut pas ignorer cette évolution rapide. Il s’ouvre à de nouveaux genres littéraires, à la bande dessinée, à l’audiovisuel. Il est de plus en plus difficile d’éveiller l’attention des enfants et des adolescents tiraillés entre les jeux vidéo, la télévision et le portable. Sur la liste des livres publiés il y a donc désormais Tintin et Harry Potter ainsi que la série de Zdeněk Miler sur les aventures de « krtek », la petite taupe devenue un personnage emblématique de l’imaginaire des enfants tchèques et connue aujourd’hui dans le monde entier. Bien qu’il soit difficile de faire face à la concurrence mondiale, Petr Eliáš estime que la situation actuelle du livre pour enfants tchèque est plutôt bonne :« Sincèrement, sa situation n’est pas aussi excellente que dans les années 1960 par exemple mais elle est assez bonne comme d’ailleurs dans d’autres pays européens. Comparé à plusieurs autres pays européens, notre monde littéraire est relativement petit mais il est très dense malgré ses petites dimensions. Le nombre de livres qui paraissent chaque année est élevé et on peut dire que beaucoup de ces ouvrages sont des livres de qualité. Dans cette avalanche de nouvelles parutions qui atteint annuellement jusqu’à 2 500 titres d’ouvrages à destination des enfants, il est facile de trouver un bon livre. »
L’avenir du livre pour enfants
Il faut se rendre à l’évidence, les enfants d’aujourd’hui lisent de moins en moins. Il est cependant difficile sinon impossible de remplacer le rôle du livre dans la formation de leur esprit et dans leur vie intérieure. La production d’Albatros et d’autres maisons d’éditions démontre que le livre pour enfants est toujours demandé, toujours nécessaire et toujours vivant. Pour Petr Eliáš le livre n’est pas un simple moyen de communication à la vie courte et éphémère. Il souhaite que son rôle soit beaucoup plus durable :« Nous avons une ambition qui est très typique pour nous : nous souhaitons que nos livres aient une longue vie, qu’ils restent longtemps dans les bibliothèques et même dans les petites bibliothèques de famille, qu’ils soient hérités de génération en génération. Il serait très beau si nos livres publiés aujourd’hui pouvaient être transmis un jour encore par les parents à leurs futurs enfants. »