Miroslav Horníček, un amoureux de la Provence
« L’humour est une chose sérieuse », disait Miroslav Horníček (1918-2003), qui a laissé une empreinte profonde dans la culture tchèque de la seconde moitié du XXe siècle. Ce comédien, écrivain et humoriste extrêmement populaire auquel quelques mots suffisaient pour déclencher des salves de rires, était un grand francophile et un amoureux de la Provence. Miroslav Horníček est né le 10 novembre 1918, il y a donc tout juste 100 ans de cela.
Un humoriste qui invite à la réflexion
Il aurait été facile pour Miroslav Horníček de se laisser porter par la vague de son immense popularité. Il était le chouchou du public tchèque qui adorait ses prestations au théâtre, à la télévision et au cinéma. Sa carrière a été une suite presqu’ininterrompue de succès, ce qui n’était pourtant pas tout à fait son ambition. Miroslav Horníček aimait faire rire, certes, mais pas à n’importe quel prix :« Je ne cherche pas avoir de succès. Le succès peut être banal, superficiel, faux. Ce que je veux, c’est l’entente. Je veux que les gens répondent à ce que je dis par un rire approprié, ni plus ni moins. Je veux que les gens comprennent non seulement ce que je dis mais aussi ce que je pense, ce qui sous-entend que leur pensée s’harmonise avec la mienne. Je suis convaincu que le théâtre et tout ce qui concerne la communication, est un dialogue des pensées. Ce ne doit pas être un dialogue des mots car les mots peuvent engendrer des erreurs. Une pensée doit s’entendre avec une pensée, dans la littérature, au théâtre, au cinéma, partout… »
Un comédien qui écrit
Né à Plzeň, en Bohême de l’Ouest, Miroslav Horníček travaille d’abord comme employé de bureau, mais il ne résiste pas longtemps au magnétisme du théâtre. A l’âge de 23 ans, il prend un engagement au théâtre de Plzeň et bientôt s’impose aussi sur les scènes pragoises. Son art et son esprit le propulsent jusque sur la scène du Théâtre national, qui ne constitue cependant pas un cadre favorable à l’épanouissement de son talent qui ne peut se développer que dans la liberté et l’improvisation. Au bout de six ans, il part donc pour créer un couple de clowns inoubliable avec Jan Werich, doyen des humoristes tchèques. Par la suite Miroslav Horníček collaborera avec quelques-uns des meilleurs comédiens tchèques, jouera sur des scènes avant-gardistes et sera souvent sollicité par la télévision et le cinéma. Le public raffole de son art de l’improvisation et de son humour si particulier. Voici comment Miroslav Horníček résume sa conception de l’humour :
« L’humour est un regard bienveillant jeté sur les gens et le monde. C’est un angle de vue qui permet de considérer les choses depuis une certaine position, bien qu’il soit difficile d’expliquer laquelle. Cependant, il y a dans l’humour toujours de l’amour, des sentiments, de la compassion, un bien-être, du calme et une entente, la volonté de parvenir à une entente. »Parallèlement à sa carrière sur les planches, Miroslav Horníček s’adonne aussi à la littérature. C’est avec un esprit de dérision qui lui est propre qu’il évoque ses débuts littéraires :
« J’ai commencé à écrire avant de commencer à jouer au théâtre. Déjà pendant mes études j’écrivais des contes qui étaient publiés dans des journaux de Plzeň, ma ville natale. Heureusement, je les publiais sous un pseudonyme et ils ne sont plus identifiables aujourd’hui. Je les ai relus bien des années plus tard et me suis félicité d’avoir choisi un pseudonyme. »
Lettres de Provence
La liste des œuvres littéraires de Miroslav Horníček est impressionnante. Il publie de nombreux recueils de contes, des livres de souvenirs, tout en étant aussi l’auteur de plusieurs pièces de théâtre et de récits de voyages très particuliers. C’est dans cette catégorie que nous pouvons ranger son livre Listy z Provence (Lettres de Provence), dont le titre lui a été dicté par son profond attachement à la patrie de Frédéric Mistral. C’est d’ailleurs à ce poète provençal qu’il adresse deux chapitres de son livre rédigé sous la forme de lettres. Il y décrit sa visite dans la maison de Frédéric Mistral à Maillane, qui fait resurgir en lui de nombreux souvenirs et échos de ses lectures. Il cite aussi dans le texte des vers du poète provençal et va jusqu’à le comparer à Karel Jaromír Erben qui, au milieu du XIXe siècle, avait jeté les fondements de la poésie tchèque moderne.Une lettre du recueil est adressée à Alphonse Daudet, car Miroslav Horníček ne manquepas lors de ses voyages en Provence de se rendre à Fontvieille, là où l’écrivain a trouvé l’inspiration pour « Les Lettres de mon moulin ». Miroslav Horníček visite le célèbre moulin et laisse flâner son imagination dans ce haut-lieu de la littérature française pour évoquer les inspirations d’Alphonse Daudet, mais il se défend d’inventer quoi que ce soit :
« Les gens me disent toujours ‘Tu inventes tes histoires.’ Mais non. Toutes ces histoires se sont réellement passées. Le narrateur n’invente pas, il ne fait que styliser, adapter ou améliorer la forme de ses histoires. C’est évidemment son droit, sa tâche et son devoir. Et moi aussi, je raconte et améliore mes histoires. »
Cézanne, van Gogh, Tartarin, d’Artagnan et Jeanne d’Arc
Parmi les autres destinataires des lettres réunies par Miroslav Horníček dans son livre, destinataires auxquels il adresse aussi ses impressions et ses réflexions sur la vie, figurent deux peintres pour lesquels la Provence est devenue une grande source d’inspiration - Paul Cézanne et Vincent van Gogh. Le comédien tchèque se recueille dans l’atelier de Cézanne à Aix-en-Provence et se rend aussi à Arles pour invoquer Vincent van Gogh, peintre que les Arlésiens prenaient pour un fou et qui, de l’avis de Miroslav Horníček, compte parmi ceux qui « rendent le monde propre à la vie, humanisent le monde ».Il adresse ses lettres aussi à d’autres personnages réels ou littéraires qui ont joué un rôle dans sa relation avec la Provence et la France. Il voue un véritable culte à Tartarin de Tarascon, ne cache pas sa grande sympathie pour d’Artagnan, héros de ses lectures juvéniles, et apostrophe dans une lettre également Jeanne d’Arc, jeune fille qui a trouvé assez de force pour répondre aux voix intérieures qui l’appelaient à sauver sa patrie.
Un bouquet de bruyère pour Gérard Philipe
Dans le dernier chapitre, Miroslav Horníček s’adresse à l’unique destinataire de ses lettres qu’il a connu personnellement. L’auteur dépose un petit bouquet de bruyère sur le tombeau de Gérard Philipe à Ramatuelle, où il se remémore sa rencontre avec le célèbre acteur à Prague et sa courte collaboration avec lui lors d’une séance de poésie française présentée parallèlement en version originale et traduite en tchèque. Il évoque aussi quelques moments précieux de la complicité amusée qui est née entre lui et le grand comédien français qui, à ses yeux, avait gardé beaucoup des traits du jeune garçon du sud de la France qu’il avait été.Ainsi s’achève le livre qui est un hommage simple et discret à la Provence, à ses beautés, ses parfums, ses habitants et ses artistes. Un écrivain qui est aussi un acteur invite le lecteur à partager ses amours et ses sympathies. Dans ce livre, comme sur la scène, ce narrateur passionné obéit au besoin de raconter et de se raconter qu’il considère comme sa vocation :
« Je suis un comédien qui raconte des histoires que ce soit d’une façon littéraire ou théâtrale. Je suis davantage narrateur que comédien. Je considère cela comme ma mission, un plaisir et un honneur. »