La grand-mère, la mère et le fils – les collisions dans une famille
Trois personnes, trois destins humains, trois générations s’entremêlent et s’entrechoquent dans le roman que son auteure Petra Soukupová (*1982) a intitulé Nejlepší pro všechny (Mieux pour tous). Le récit raconté dans un style sobre, vif et efficace est une plongée dans les rapports délicats et difficiles au sein d’une famille.
Eva, Hana et Viktor
Petra Soukupová évoque la naissance de l’idée originale de son livre sorti récemment aux éditions Host :« C’est une idée très ancienne. J’ai été intriguée par l’histoire d’une comédienne qui a confié son enfant à sa mère. La grand-mère élevait donc l’enfant de la comédienne afin que celle-ci puisse se consacrer à sa carrière artistique. Cela m’a intéressée, mais cette première idée a fini par donner dans mon livre quelque chose d’un peu différent. Mon livre n’est pas seulement sur cette histoire-là, ce n’est pas son thème principal comme au moment où j’ai eu cette première idée. »
Hana, Viktor, Eva - la mère, le fils et la grand-mère, c’est autour de ces trois personnages que l’écrivaine a tissé une trame composée d’une multitude d’infimes détails quotidiens qui donnent à son roman quelque chose d’authentique et de crédible. En lisant le récit sur les rapports compliqués des personnages principaux, sur cette suite de bonnes intentions qui se heurtent souvent à l’incompréhension et provoquent le conflit, le lecteur a souvent l’impression d’avoir vécu des situations semblables dans sa propre vie, dans les rapports avec ses proches et ses amis, donc avec les gens qu’il aime et dont l’incompréhension est d’autant plus blessante. Petra Soukupová s’interroge sur le thème principal de son roman :
« Je crois que ce qui est essentiel dans ce livre, c’est la question du bonheur personnel dans le cadre d’une famille. Chacun a une opinion sur l’éducation des enfants qu’ils soient petits ou adultes. Et je pense que dans le livre, il y a aussi bien sûr en partie le thème des parents qui confient l’éducation de leurs enfants aux grands-parents. »
Hana, artiste et mère qui n’arrive pas à élever son enfant
Hana est une comédienne dont la carrière démarre lentement et péniblement mais qui obtient finalement un rôle dans une série télévisée. Elle aime beaucoup son fils Viktor, un garçon de dix ans, qui est souvent livré à lui-même parce que sa mère passe beaucoup de temps au théâtre. C’est un garçon à problèmes, qui provoque souvent par sa malice la colère de ses enseignants et Hana n’arrive pas à mettre de l’ordre dans sa vie. Elle se sent impuissante face à ce garçon qu’elle aime et qui l’aime mais qui devient de plus en plus rebelle et incontrôlable. En créant le personnage de Viktor, Petra Soukupová a réussi un portrait profond d’un garçon d’une famille incomplète, exposé à l’influence néfaste des médias électroniques qui finissent presque par dévorer sa vie intérieure. Le personnage de ce garçon de dix ans permet également à l’auteure de jeter sur la réalité un regard ingénu et plus sincère que celui des adultes :« L’enfant voit les choses certainement avec des yeux différents. C’est dû au fait qu’il est encore plus sincère que les adultes face à lui-même ou face à certaines situations. (... ) Je trouve amusant que l’enfant ne sache pas et ne puisse pas tout savoir et qu’il se mente encore beaucoup moins à lui-même. Il me semble amusant lorsque l’enfant explique son regard sur la vie, lorsqu’il tire des conclusions de certaines situations. »
Un citadin invétéré à la campagne
Espérant qu’un changement puisse être salutaire pour le jeune garçon récalcitrant, Hana décide finalement de confier son fils à Eva, sa propre mère qui vit à la campagne. Pour Viktor, c’est comme un cauchemar. Habitué aux agréments de la capitale, il voit cette décision comme une catastrophe. Lui qui sacrifiait la majorité de son temps aux jeux vidéo et qui a développé une dépendance à l’ordinateur, se retrouve tout à coup dans un petit village à 160 kilomètres de Prague et dans une maison où l’ordinateur ne fonctionne qu’avec beaucoup de difficultés. Pire, le garçon habitué à une liberté relative doit accepter la tutelle d’une vieille femme qui ne lui permet pas de passer tout son temps devant l’ordinateur et lui demande de l’aider à la maison et au jardin, d’être sage à l’école du village, de manger des plats qu’il n’aime pas et de faire du sport. Il se sent abandonné et tiraillé entre l’amour et la haine pour sa mère qu’il rend responsable de son malheur.
Les relations orageuses entre mère et fille
« Moi, en écrivant, je tâche de ne pas préférer l’un à l’autre, je cherche à aimer tous les personnages sans distinction ou, au minimum, à les comprendre tous sans faire de différence. »
Parallèlement, l’auteure décrit les relations compliquées entre Eva et Hana, la fille et la mère qui s’aiment, ont besoin l’une de l’autre mais qui se heurtent à des barrières d’habitudes, d’incompréhensions et de préjugés. C’est évidemment une source inépuisable de conflits, conflit de générations, conflit entre une citadine et une campagnarde, conflit entre une artiste et une femme « qui se respecte ». Dans cette dispute où se reflètent des opinions sur le monde et des modes de vie très différents, le lecteur peut donner raison à l’une ou à l’autre partie mais l’auteure cherche à rester objective :
« Moi, en écrivant, je tâche de ne pas préférer l’un à l’autre, je cherche à aimer tous les personnages sans distinction ou, au minimum, à les comprendre tous sans faire de différence. On ne peut pas dire que je vis les vies de mes personnages quand j’écris une histoire. Je cherche à créer des personnages qui soient compréhensibles, afin qu’on puisse les suivre et les accompagner. Il est évident que chacun finit par sympathiser avec quelqu’un d’autre, quelqu’un qui lui ressemble le plus, selon la situation dans laquelle le personnage se trouve, selon son âge. Peut-être que j’aime le plus le personnage de Hana, probablement à cause de son âge qui est proche du mien… Je ne sais pas… je ne sais pas… »
Mieux pour tous
Ce labyrinthe des rapports psychologiques n’empêche cependant pas les protagonistes du roman de vivre leur vie, de travailler dur, de s’occuper de la maison et du ménage, de jouer au théâtre et à la télévision, d’aller à l’école et de nouer de nouvelles amitiés et de nouvelles amours. Ils ne sont pas dépourvus de bonnes intentions et cherchent des solutions qu’ils jugent les meilleures pour eux-mêmes et pour leurs proches sans vraiment comprendre les besoins de l’autre. Petra Soukupová cherche minutieusement à mettre en relief les obstacles qui rendent aussi difficiles les rapports entre les membres d’une famille :
« Ce n’est pas tellement un problème de communication mais il s’agit de ce que les gens veulent entendre ou de ce qu’ils veulent bien admettre, de ce qu’on est capable de s’avouer à soi-même même s’il s’agit de choses négatives. Souvent les gens n’arrivent pas à s’excuser auprès des autres bien qu’ils se rendent compte qu’ils ont fait une faute et la seule chose dont ils sont capables est de se comporter comme si rien ne s’était passé. Si c’est donc une incapacité de communication, cette incapacité est due au fait que les gens ne sont pas prêts à ne pas se mentir à eux-mêmes. »
Malgré cette peinture minutieuse des rapports intimes, le livre de Petra Soukupová n’est pas qu’une étude psychologique, mais un roman attachant et plein de vie. Le lecteur suit avec un intérêt toujours croissant les exploits du petit citadin qui cherche péniblement sa place dans un milieu rural où il se heurte d’abord à de l’hostilité, et aussi la vie de Hana, sa mère, dont la carrière prend un tournant prometteur mais qui se reproche de ne pas élever elle-même son enfant et, qui de surcroît, tombe amoureuse d’un homme marié. Et le lecteur finit par sympathiser également avec Eva, cette grand-mère qui n’arrête pas de travailler, qui se complique la vie en se chargeant de l’éducation d’un enfant difficile et résistant et qui continue à tenir ses engagements presque héroïquement malgré l’âge et la maladie. C’est le flux de la vie qui apportera finalement des solutions, adoucira les conflits et révèlera aussi les sympathies mutuelles profondes sur lesquelles reposent ces trois existences qui peuvent sembler parfois si incompatibles.