Renaud Cohen : « En tournant ‘Au cas où je n’aurais pas la Palme d’Or’, je me suis libéré de mes peurs »
Rencontre aujourd’hui avec Renaud Cohen, un passionné de la culture chinoise réalisateur de documentaires et de deux films de fiction, Il a présenté sa comédie d’auteur « Au cas où je n’aurais pas la Palme d’Or » lors du dernier Festival du film français à Prague. Ce film d’inspiration autobiographique raconte les difficultés de Simon, un cinéaste quadragénaire qui se croit gravement malade, à tourner après une longue pause son deuxième film. Autoproduit et réalisé avec sa famille et une équipe d’amis, « Au cas où je n’aurais pas la Palme d’Or » est le film qui a changé la vie de Renaud Cohen, comme il l’a raconté à Radio Prague.
« Au départ, je voulais faire de l’ethnologie. Vers l’âge de 18 ans, j’ai suivi une mission au Népal et ces ethnologues-là m’ont conseillé de choisir une langue. J’ai choisi le chinois, mais c’était une attirance vague, je ne connaissais pas spécialement ce pays. A l’âge de 19 ans, j’ai donc vécu un an en Chine. Il est vrai que cette expérience a bouleversé ma vie, je suis tombé amoureux de cette culture. J’y suis retourné souvent et cet été, j’ai même monté un spectacle en Chine. On m’a proposé de faire une mise en scène de ‘Alice au pays des merveilles’ en acrobatie chinoise, avec une troupe acrobatique. Le spectacle vient tout juste d’être présenté en première en France. »
Cela veut dire que vous faites aussi du théâtre ?
« Je n’en avais jamais fait. Cet été, c’était la première fois. »
On entend d’ailleurs le chinois dans votre film.
« Absolument, cela fait partie de mon univers. Je parle avec mon frère en chinois. »
Comment êtes-vous alors devenu cinéaste ?
« J’avais deux passions : la Chine et le cinéma. Quand j’étais en Chine, j’ai fait de petits films en super 8. Quand j’ai terminé mes études, je ne voulais pas devenir professeur de chinois et j’ai tenté la FEMIS, l’école de cinéma. En sortant de cette école, je suis parti réaliser des documentaires en Chine. Ce sont vraiment mes deux passions unies, mes passions de jeunesse. »
Quels ont été les sujets de ces documentaires ?
« C’étaient des sujets très différents. Le premier film portait sur des projectionnistes itinérants dans la campagne chinoise. C’est une tradition soviétique : ils vont, à pieds, apporter des films aux paysans. Ils projettaient d’abord des films scientifiques, politiques et ensuite de fiction. En général, les gens n’arrivaient que pour des films de kung-fu, avant, il n’y avait personne. J’ai fait aussi un film sur une famille de paysans chinois, dont le père de famille chasse des singes. J’ai fait un autre film sur des chauffeurs de taxi... Le dernier porte sur un village modèle communiste près de Shanghai. »
En 2000, vous avez réalisé votre premier long-métrage intitulé « Quand on sera grand ». Onze ans après, vous avez tourné la comédie « Au cas où je n’aurais pas la Palme d’Or », que vous présentez au Festival du film français à Prague. Il s’agit d’un film autobiographique, n’est-ce pas ?« C’est un film d’inspiration autobiographique. Oui, c’est fortement inspiré de ma vie. »
Vous avez donc mis onze ans à réaliser votre deuxième long-métrage, comme Simon, le personnage principal que vous incarnez dans le film...
« Après avoir tourné mon premier film ‘Quand on sera grand’ qui avait plutôt bien marché, mon producteur m’a fait signer un contrat pour écrire un premier scénario, puis un deuxième, puis un troisième qui ne se sont pas réalisés. »
Comme cela arrive à Simon...
« Absolument. J’ai pris tout ce qui était impressionnant dans ma vie. (rires) Au bout du troisième scénario que mon producteur a refusé, je me suis un peu révolté. Le cinéma coûte beaucoup d’argent et quand on est cinéaste, on ne peut pas, contrairement à un écrivain, fabriquer tout seul à priori son film. Mais moi, je me suis dis : ‘Si, au bout de dix ans, je ne fais pas mon propre film, je suis mort comme cinéaste de fiction (avant, je faisais aussi des documentaires). Comme je n’avais pas envie de mourir tout de suite, j’ai commencé à entreprendre ce projet avec des amis et des bénévoles. J’y ai d’abord mis mon propre argent, nous avons tourné dans ma maison... Ensuite, alors que je ne l’avais jamais fait de ma vie, je me suis mis dans le rôle du producteur et de l’acteur. Tour le monde m’a dit que ce n’étais pas possible, mais le l’ai fait. »Comment avez-vous construit cette histoire de Simon qui croit avoir un cancer ? Connaissez-vous ce genre d’angoisse ?
« Il m’est arrivé de faire un pari, mais pas dans les même conditions que dans le film, et de me raser la tête et de découvrir que j’avais une bosse. J’ai eu peur pendant 48 heures. Cela c’est passé il y a quatre ou cinq ans. Quand j’ai décidé de faire ce film, j’ai essayé d’utiliser un événement que j’avais vécu pour qu’il serve de déclencheur. En réalité, je ne sais pas très bien quel a été le déclencheur de ce film. Un jour, je me suis dit : ‘Il faut tourner’. C’est devenu un impératif. J’ai utilisé cet événement dans le film pour dire qu’à un moment donné, il faut prendre son destin en main. Cela ne s’adresse pas uniquement aux cinéastes : tous les gens qui ont des passions, des choses importantes à faire peuvent les réaliser. »
Peut-on dire qu’il est de plus en plus difficile de tourner, de financer des films ?
« Il y a quelques jours, j’étais chez un ami scénariste. Il m’a montré un rapport selon lequel on produit en France 240 films par an. C’est un chiffre énorme, comparable à la situation aux Etats-Unis où on en produit 270. Il y a d’un côté le film d’auteur, dur et âpre qui obtient l’avance sur recettes, donc des aides de l’Etat. De l’autre côté, il y a des films commerciaux du type ‘Astérix et Obélix’ et qui coûtent très cher. Mon créneau, ça a toujours été la comédie d’auteur qui est, en fait, hors du système : elle ne fait pas appel aux grandes vedettes, ce n’est pas cette comédie un peu grosse et un peu grasse. Elle ne trouve pas facilement sa place. Avant, dans le système français, il y avait des films du milieu, avec un budget moyen. Or maintenant, nous assistons à une radicalisation qui oppose des films subventionnés mais très durs pour le public, et des films purement commerciaux. Mon problème, c’est que je me situe entre les deux. »Dans votre film, vous faites jouer votre femme, vos enfants, vos parents... C’était voulu dès le début ?
« Oui, l’idée était de faire un film avec tout ce qui était gratuit. (rires) Donc ma maison, moi, ma bosse, ma femme, mes enfants et mes parents. Je voulais transformer en cinéma ce qui était autour de moi. Après, il y a d’autres comédiens plus connus qui sont venus dans un deuxième temps (Julie Gayet, Emmanuel Salinger, Frédéric Pierrot, ndlr). Comme j’avais fait des documentaires auparavant, j’avais confiance que mes proches pourraient incarner des personnages eux-mêmes, mais en plus poussé. Il est vrai que cela a donné des situation un peu bizarres : par exemple mes parents ne voulait pas venir à la scène de mon enterrement ou mon fils qui, pendant le tournage de cette scène-là, ne pleurait pas assez. J’étais obligé de lui dire : ‘C’est quand même l’enterrement de ton père, il faut que tu pleures plus !’ Le réel et la fiction se sont encastrés, mêlangés. J’étais Simon et je n’étais pas Simon... Même sans argent, je ne voulais pas faire un film pauvre. J’ai pensé aussi au spectateur. Je voulais que cette pauvreté économique apporte peut-être d’autres qualités, des choses un peu singulières. »Vos proches étaient-ils d’accord pour se faire filmer ?
« Oui et c’était une belle expérience. Dans cette famille qui est toujours la mienne, j’étais celui qui parlait toujours du cinéma, mais qui en faisait rarement. Le fait que l’équipe vienne tous les matin nous réveiller quasiment à la maison, que le cinéma envahisse la maison, alors que jusqu’à présent, il avait été quelque chose de purement cérébral, c’était un peu comme une revanche. Mes enfants qui, jusqu’alors, connaissaient peu de ce que j’avait fait, ont été pris de plein fouet par ça. Pour moi, c’était une chose vitale. Eux, ils ont vu que quand on a quelque chose d’important à faire dans la vie, il faut absolument le réaliser. En plus, le tournage les a amusés, ma femme était ravie d’avoir un amant dans le film... Tout le monde était content (rires). »
Pourriez-vous expliquer la dernière scène du film, celle de l’enterrement ?
« Au début, le personnage principal a la sensation d’être mort, par ce qu’il ne fait pas ce qu’il veut dans la vie. Après, on raconte toute son histoire et à la fin du film, on s’aperçoit que ce qu’on a raconté, ce n’était pas la mort de Simon, mais la mort de sa passivité, de sa soumission, de ses années d’attente. Ce qu’on enterre à la fin, c’est cette peur et ces angoisses. En ce qui me concerne, depuis que j’ai fait ce film énormément de choses ont changé dans ma vie, des choses très surprenantes, auxquelles je ne m’attendais pas : j’ai monté une boîte de production, on m’a proposé ce spectacle en Chine... Tout cela parce que j’ai décidé de faire mon propre film, alors qu’avant je croyais que c’était impossible en France, où nous avons une culture de cinéma très assistée, contrairement aux Etats-Unis. J’ai transgressé toutes les règles : ne jamais mettre de l’argent dans son propre film, ne jamais jouer dedans... Et cela m’a beaucoup appris. »