Le mariage tchèque : la femme se donne à son époux, lequel se munit d’une femme

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Il y a de cela quelques années déjà, nous avions consacré une série d’émissions au mariage – svatba - ou plus précisément aux traditions, us et coutumes – svatební zvyky - qui accompagnent la célébration des noces en République tchèque. A l’époque, nous avions choisi de traiter ce sujet car notre collègue Magdalena se mariait, et, on s’en souvient encore, l’événement avait même éclipsé, le temps d’une nuit, la Coupe du monde de football qui battait alors son plein… Cette fois, c’est une autre de nos chères collègues, Anna, qui a fait le choix, comme on dit parfois en français, de « convoler en justes noces ». Quoique aujourd’hui vieilli, ce « convoler » n’en reste pas moins un bien joli mot puisque, issu du latin « convolare », il pourrait signifier quelque chose comme « voler avec » ou « voler ensemble ». Mais pour nous, bien qu’il soit toujours un peu triste de voir de jolies jeunes filles prendre leur envol dans les bras d’autres hommes, c’est d’abord et surtout une nouvelle occasion de « nous réjouir » - « veselit se » - avec les jeunes mariés qui voleront ensemble, plus ou moins longtemps, sur leur petit nuage…

Kytice, závoj, slzy, i štěstí rozplakává, jak je to hezké, když se někdo vdává – Un bouquet, un voile et des larmes, même le bonheur fait pleurer, comme c’est beau quand quelqu’un se marie.

Noc plná vášní, až do kuropění, jak je to hezké, když se někdo žení – Une nuit entière de passion jusqu’au chant du coq, comme c’est beau quand quelqu’un se marie.

Kytice zvadla, a opadává, jak je to smutné, když se někdo vdává – Le bouquet est fané et les fleurs tombent, comme c’est triste quand quelqu’un se marie.

Vějíř se zavřel, hořkne políbení, jak je to smutné, když se někdo žení – L’éventail s’est refermé, les baisers deviennent amers, comme c’est triste quand quelqu’un se marie.

Intitulée « Svatební píseň » - « Le chant nuptial », interprétée par l’immense Hana Hegerová et écrite par le poète nobélisé Jaroslav Seifert, cette chanson poème est sans doute un des plus beaux textes sur le mariage et la vie conjugale que l’on trouve en langue tchèque. Ni très gais ni particulièrement optimistes, c’est le moins que l’on puisse dire, ces vers n’en recèlent pas moins une importante part de vérité, et ce malgré les possibles approximations de la traduction proposée par l’auteur de cette rubrique.

Mais pour nous, en ces jours de fête, l’heure n’est pas à l’amertume, et encore moins à celle des baisers, comme le chante Hana Hegerová, mais plutôt aux larmes de bonheur et à la passion jusqu’au petit jour et au chant du coq.

Surtout, pour les tchécophiles que nous sommes, une chose intéressante ressort de cette chanson ; il s’agit de la différence qu’institue la langue tchèque en fonction du sexe de la personne qui se marie. D’ailleurs, le verbe pronominal « se marier » tel que nous le connaissons en français, ou comme le connaissent également par exemple les Anglais avec « to marry » ou « to get married », n’existe pas dans la langue tchèque. Ou plutôt il en existe deux versions : « oženit se » pour un homme et « vdát se » pour une femme. Certes, précisons qu’il existe également le verbe « vzít », littéralement « prendre » comme pour « prendre pour époux ou pour épouse », mais ce n’est alors plus tout à fait la même chose…

Dans sa forme grammaticale, le verbe « oženit se » ressemble tout à fait à « obout se » - se chausser, ou encore « obléct se » - « s’habiller ». Comme pour une chaussure ou un habit, « oženit se »équivaut donc en quelque sorte à « se munir d’une femme », le mot « žena » - femme, constituant la racine de « oženit se ». Que les féministes ne nous en veuillent pas, il ne s’agit là que d’une petite recherche sémantique…

Pour la femme tchèque qui se marie, les choses sont quelque peu différentes. En effet, elle ne s’équipe pas d’un homme, mais plutôt « se donne », puisque le verbe « dát » - donner - forme la racine de « vdát se » - « se marier » donc pour une femme. En somme, la femme se donne à son mari, elle lui fait don de soi, s’offre à lui. On pourrait même dire qu’elle « s’abandonne » à son époux, le verbe « odevzdat se » étant finalement très proche de la forme imperfective de « se marier » - « vdávat se ». Un peu comme le chante si bien Helena Vondráčková dans la comédie musicale intitulée « Noc na Karlštejně » - « Nuit à Karlštejn », film dans lequel la reine rêve que le roi, venu lui rendre visite, lui prononce les mots suivants :

« Řekl: Lásko má, já stůňu, svoji pýchu já jen hrál, kvůli vám se vzdávám trůnu, klenotů i katedrál » - « Il m’a dit : Mon amour, je suis malade, mon orgueil n’était que de façade, pour vous j’abandonne trône, joyaux et cathédrale »

C’est sur ce vœu que nous formulons aussi pour notre collègue Anna que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». On se retrouve dans quinze jours pour une nouvelle émission avec un thème proche de celui que nous avons abordé aujourd’hui. D’ici-là, portez-vous du mieux possible -mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !