Le lecteur tchèque face au livre électronique
L’année 2011 a apporté une petite révolution sur le marché du livre tchèque. Si la parution des premiers livres électroniques offre de nouvelles possibilités aux éditeurs, elle soulève toutefois de nombreuses interrogations. Le livre électronique est-il un rival dangereux du livre classique ? Dans quelle mesure ce nouveau moyen peut-il changer les habitudes des lecteurs et le marché de l’édition en général ? Ce nouveau moyen technique devrait-il porter un autre nom ? Le livre classique, le livre imprimé, le livre de papier est-il menacé de disparition ?
La maison d’édition Palmknihy.cz a été fondée en 1999, c’est-à-dire à l’époque où le livre électronique n’était qu’une vision futuriste et où les lecteurs de ce genre de livre n’existaient pas. L’éditeur Jiří Vlček et son associé Jiří Bodlák étaient même obligés, pendant les premiers sept années d’existence de leur maison, de distribuer les livres gratuitement. Jiří Vlček évoque ces années «préhistoriques» :
« Nous travaillions surtout pour nous et parce que cela nous amusait. Cette activité n’est devenue un ‘business’ que vers la fin de l’année 2010. Dans la première phase, ce n’était qu’un ‘hobby project’, une distraction et rien d’autre. »
Pendant 500 ans, c’est-à-dire depuis la formidable invention de Gutenberg, le livre imprimé a été l’un des piliers de la culture mondiale et de la civilisation humaine. Cette position privilégiée du livre classique n’a été ébranlée que par l’ordinateur. Risque-t-il aujourd’hui d’être complètement détrôné ? Le livre numérique est-il en passe de devenir son rival sérieux ? Jří Vlček ne pense pas que ce sera une rivalité sans merci. Il pense que ces deux moyens de lecture coexisteront comme cela est arrivé, par exemple, entre le théâtre et le cinéma. Il rappelle que le théâtre qui est considéré souvent comme une forme culturelle plus élevée que le cinéma, n’a pas disparu à l’époque de l’engouement pour le film devenu un nouveau moyen de distraction. Il constate par ailleurs que le théâtre, le cinéma, et même la télévision et la vidéo sont des moyens qui se complètent bien malgré l’existence d’une certaine forme de concurrence. Et cela est également valable, selon Jiří Vlček pour le rapport entre le livre classique et le livre numérique :« Je pense qu’il y a quelque part une concurrence entre le papier et le livre électronique surtout dans la littérature de ‘consommation courante’ que vous achetez par exemple pour tuer le temps quand vous voyagez en train. Dans ces situations le livre électronique revêt une grande importance. Par contre quand il s’agit des textes d’une valeur durable et intemporelle, je préfère moi-même le livre de papier. »
Martin Lipert, le cofondateur de la société Reading.cz qui vend les livres électroniques en République tchèque, refuse l’idée que le livrel est la même chose que le livre imprimé. Il insiste au contraire sur le caractère inédit de ce moyen de lecture :« Le livre imprimé est un moyen complètement différent et ses qualités sont même tout à fait différentes. Les graphistes poussent un cri d’alarme et affirment que la présentation graphique des livres imprimés qui est parvenue à la perfection sera balayée par le livre électronique. Je pense que cela est vrai dans une certaine mesure, mais l’approche des textes est bien différente dans ces deux cas. »
Et Martin Lipert de souligner que ces deux modes de lecture sont incomparables notamment en raison du fait que c’est le lecteur du livre électronique lui-même qui choisit les caractères d’impression de son livre. Cet avis est nuancé par l’éditeur des livres électroniques Michal Rydval :
« Les grandes exigences des professionnels du design graphiques vis-à-vis des livres électroniques sont dues à la dénomination ‘ e-livre ’ qui suggèrent qu’il s’agit de livres. En réalité ce ne sont pas des livres. Le problème réside peut-être dans le fait qu’il ne s’agit pas réellement de livres et que ce n’est qu’une métaphore avec laquelle on travaille. »Michal Rydval constate aussi que la qualité n’est pas toujours importante pour le consommateur qui se contente souvent par exemple d’enregistrements MP3 et d’enregistrements vidéo de mauvaises qualité, notamment en raison du fait qu’ils sont disponibles ou facile à obtenir. Jiří Vlček réplique cependant que la qualité du livre électronique n’est pas pire que celle du livre classique, mais qu’elle est différente :
« Vous dites que le livre électronique est de mauvaise qualité mais en réalité il propose aux consommateurs des possibilités différentes. Dans le livre normal vous n’arrivez pas à agrandir les caractères pour pouvoir lire sans problèmes. Et ce détail trahit le fait que derrière tout cela il y a une technologique tout à fait différente. Pour le consommateur courant qui doit lire le livre en papier avec des lunettes ou une loupe, le livre électronique apporte une qualité supérieure mais c’est une qualité d’une autre dimension, une qualité incomparable qui apporte au lecteur une plus grande satisfaction parce qu’il peut enfin lire confortablement. »
Toujours est-il que le livre numérique est un moyen qui n’a pas encore eu le temps de montrer toutes ses capacités. Il traverse actuellement la période de maladies infantiles et cache, sans doute, un certain potentiel d’évolution. Martin Lipert insiste aussi sur les possibilités d’évolution du livre numérique en le comparant à la télévision. Il rappelle que les premiers programmes télévisés, leur style et même les gestes des personnages du petit écran ressemblaient à ceux du théâtre. La télévision a eu besoin de beaucoup de temps pour se débarrasser de ce style théâtral, pour trouver sa propre voie, ses propres moyens d’expression et son propre milieu culturel :
« J’aimerais dire que le livrel n’est commercialisé que depuis un an et demi et que le livre imprimé existe depuis 500 ans. Alors quand nous aurons eu la même histoire derrière nous, tous les problèmes du livre électronique seront réglés. »