Une histoire sur les rails

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Les horaires d’ouverture sont restrictifs, il n’en est que plus attractif… Le musée des transports de Prague, dans le dépôt de Střešovice, est souvent oublié des parcours touristiques. Son directeur, Milan Pokorný, nous y a reçu et tenu de guide privé. Il nous fait revivre l’histoire unique des tramways pragois.

František Křižík et son tramway
Le bruit est familier aux millions de Pragois qui, chaque jour, prennent le tramway pour se déplacer dans la capitale. Ce moyen de transport, qui remonte à la fin du XIXème siècle, avec l’inventeur tchèque František Křižík, possède une riche histoire.

Avec Milan Pokorný, nous découvrons la collection du musée, aux sons de l‘atelier, car ici on rénove sans cesse…

Le tramway 240 par l’architecte Jan Kotěra
« Ce tramway date de 1908 et il a exactement la même apparence qu’à l’origine. Il fut conçu par l’architecte Jan Kotěra, qui a donné son visage aux premiers tramways pragois. Ceux-ci présentent des caractères bien spécifiques et ils resteront identiques pendant trente ans encore. Ce n’est que dans les années 1940, que le visage des tramways pragois commencera à changer… »

Les premiers tramways à Prague comportaient-ils différentes classes de prix, comme autrefois le métro parisien ? La réponse à cette question anodine renvoie aux traditions sociales tchèques, ancrées bien avant la venue de Masaryk au pouvoir.

« Le système des transports en commun à Prague a, depuis sa création il y a plus de 135 ans, toujours eu une nature sociale, cela relève presque d’une question de politique. Il n’a jamais existé de classes distinctes, A, B etc… Il n’y avait pas de salons, comme sur les chemins de fer. Qu’il s’agisse des trams ou des trolley-bus, les prix ont toujours été les mêmes pour tout le monde »

A-t-on gardé des témoignages sur les us et coutumes des passagers au début de siècle ou sous la première République ? Pour nous répondre, Milan Pokorný nous fait monter dans un tram de 1909, reconstitué comme à l’origine.

«En fait, il nous est difficile de percevoir avec exactitude l’image des comportements quotidiens des passagers d’antan, comment on voyageait, comment les chauffeurs roulaient… Dans les véhicules, le martériel principalement utilisé était le bois. Un choix clairvoyant pour la propreté et la solidité. De plus, le bois est un matériel agréable. L’intérieur du véhicule est d’origine. Les bancs sont constitués d’une combinaison de bois de frêne et d’acajou, dont les tranches alternent. Il y a un siècle, le luxe était beaucoup plus présent qu’aujourd’hui. De nos jours, vous vous asseyez sur du plastique, quand, auparavant, c’était sur de l‘acajou »

L’aspect des tramways commence à changer dans les années 1940. Et un tramway de 1942 nous ramène soudain vers les années sombres. Les nazis avaient épargné la Bohême-Moravie pour son potentiel industriel, qu’il ne se privait pas de piller. Les tramways ne furent pas concernés mais leur rôle fut important pendant la première guerre mondiale.

« Les tramways ont toujours servi au strict transport des passagers. Mais des véhicules de travail pouvaient transporter du sable, des pierres, etc… Pendant la première guerre mondiale, Prague était une ville ouverte. Des milliers de soldats blessés de toute l‘Europe y passaient et les tramways ont pu être transformés en ambulance. 1 500 de ces soldats n’ont pas survécu à leurs blessures et des tramways ont alors été transformés en véhicules mortuaires. Durant la Seconde guerre mondiale, sous l’occupation, le réseau des tramways fonctionnait normalement, pour les soldats de la Wehrmacht et la population tchèque ».

Le tramway numéro 3, quant à lui, sera un témoin privilégié de l’attentat contre Reinhard Heydrich, le protecteur de Bohême-Moravie, le 27 mai 1942. Une photo d’époque montre le tram à l’arrêt devant la voiture défoncée d’Heydrich. Des passagers seront interrogés par la Gestapo. La ligne passait dans le virage, à Prague 8, rue V Holešovičkách.

« Cela fera 70 ans en mai 2012 que l’attentat contre Heydrich s’est produit… Le tournant de Heydrich, comme on l’appelle, où a eu lieu l’attentat, ne se reconnaît aujourd’hui pas facilement. La disposition des lieux à changé à cause des constructions. Les seules images que nous possédons se trouvent donc dans les documents et films d’actualité tournées à l’époque, comme "Attentat". Aujourd’hui, ça a complètement changé ».

Sous le communisme, la technologie tchèque pour les véhicules à traction ne faiblit pas. Et le savoir-faire tchèque s’exporte à l’Est comme à l’Ouest, justifiant encore le rôle de la Tchécoslovaquie comme vitrine du camp socialiste. L’un des meilleurs exemples : la construction du T-3, un tramway qui roula à Prague comme à Moscou et qui est toujours en service.

« Le tramway T-3 est populaire, intemporel et même immortel. Les premiers modèles furent construits en 1962. C’est le premier véhicule qui sortira des usines en série. Vous pouvez voir cette carrosserie hors du temps. Le constructeur est la ville de Prague. Il y a donc un gabarit type. On en comptait alors 700 à 800, 1000 au maximum. Aujourd’hui, on parle de 16 000 livraisons. Le T-3 a connu une rénovation, avec l’équipement électrique, des sièges en polyester stratifié. Ces sièges symbolisent les années 1960 et sont aujourd’hui très recherchés par les collectionneurs ou les amoureux de ces "années dorées". »

« Le record de construction du T-3 fut de 20 000 véhicules. Ils circulaient dans tout l’ancien Bloc de l’Est. On en a même trouvé dans des pays outre-mer ! Aujourd’hui, ils circulent encore dans d’anciens pays du Bloc. Les entrepreneurs pensent qu’il sera encore présent dans nos rues en 2035. Prenez un calendrier et calculez l’âge que vous aurez alors… C’est bien un tramway immortel dans ce sens. Le T-3 est unique par sa fiabilité et son aptitude à l’exportation. Il s’insère dans une tradition tchèque, à l’instar des usines Tatra à Schmichov, tenus par les Ringhoffer. »

A partir du début des années 1960 commence la construction du métro à Prague. Les autorités considèrent alors le tramway comme négligeable. Pourtant, il est finalement resté un – si ce n’est le – moyen de transport majeur à Prague. Comment l’expliquer ? Est-il particulièrement bien adapté à la topographie pragoise ?

« C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Rappelons que même les transports en surface, tramway, bus et, jusqu’en 1962, trolley-bus, n’arrivent pas à atteindre toutes les parties du territoire urbain. A Prague, comme dans toute grande ville, les transports en commun forment l’épine dorsale de la ville parce qu’ils couvrent une distance de 140 km en terme de réseau. Ses capacités de remplissage et d’accessibilité sont à la base de son bon fonctionnement. Cependant, ils ne parviennent pas à tout couvrir. Il y a encore des coins à Prague où il faut s’assurer des jonctions possibles de lignes de tram. Pour parler chiffres, on compte chaque jour à Prague trois millions d’usagers des transports en commun. Cela fait environ 1 milliard par an, ce qui est assez conséquent. »

Pour tout ceux qui sont intéressés, et cela vaut vraiment le coup, le musée des transports en commun de Prague est ouvert d’avril à novembre, les week-ends et vacances seulement, de 9h à 17h.