Les dernières pièces de Georges Feydeau : un règlement de comptes avec les femmes
Inutile de présenter Georges Feydeau, l’homme qui a amené à son sommet l’art du vaudeville. Ses pièces comme « La puce à l’oreille », « La Dame de chez Maxim » et « Occupe-toi d’Amélie » ont fait rire de nombreuses générations de spectateurs et leur popularité ne faiblit pas non plus au XXIe siècle. Georges Feydeau est donc un auteur célèbre dont nous croyons bien connaître le talent et le style et que nous avons un peu facilement classé dans la catégorie du vaudeville, cette comédie légère à la française dont l’intrigue repose sur des malentendus. Pourtant, les artisans de la dernière production présentée par le Divadlo v Dlouhé (Théâtre de la rue Dlouhá) à Prague ne cachent pas leur ambition de nous faire découvrir un autre Feydeau, un auteur à la plume acérée qui, vers la fin de sa vie, a déployé toute sa verve satirique pour dévoiler l’enfer de la vie de couple.
« Je pense qu’il était influencé par des auteurs comme par exemple August Strindberg et cela s’est manifesté aussi dans ses relations avec les femmes qui étaient d’ailleurs tout à fait négatives. Tout cela prend source dans son propre mariage qui a abouti à un échec absolu. Il a quitté sa famille et a passé les cinq dernières années de sa vie dans une chambre d’hôtel en écrivant justement ces pièces. J’apprécie sa tentative de changer de cap à la fin de sa vie et je crois que c’est une grande réussite parce que les spécialistes rangent ces pièces d’un acte parmi ses meilleures œuvres. »
Julie, héroïne de la pièce « On purge bébé » est une femme dont la disharmonie intérieure se traduit par un amour aveugle pour son fils et une attitude hypercritique vis-à-vis de son mari. Convaincue que ses principes d’éducation sont les meilleurs du monde, elle s’acharne à obliger son mari à les accepter. Elle finit toujours par avoir raison et, avec une énergie dévastatrice, elle détruit tout ce qui faisait l’unité du couple. La metteuse en scène de cette production Hana Burešová rappelle que Georges Feydeau a jeté une lumière crue sur le danger qui guette pratiquement tous les ménages :« Bien sûr, il s’en prend à ce qu’on appelle ‘la logique féminine’ qui, dans les situations qu’il décrit, doit nécessairement sembler ridicule même aux femmes. En exploitant la problématique des relations humaines, il montre qu’il est pratiquement impossible, après un certain temps, d’éviter ces disputes et de les surmonter. Il y a pourtant beaucoup de ménages qui arrivent à survivre à ces conflits. Moi-même, j’ai toujours une relation qui a commencé, il y a trente ans, par un concours de circonstances avec mon dramaturge et ce sont peut-être nos propres prises de bec qui nous invitent à jeter sur cela un regard décontracté. C’est une sorte de thérapie et je pense que mêmes les comédiens s’y reconnaissent. Je crois donc que les spectateurs, eux aussi, y trouveront quelque chose comme leurs propres problèmes ou leur incapacité à s’entendre avec leurs partenaires. En tous cas, il peut être réconfortant pour certaines personnes de voir que ces problèmes ont été saisis de cette façon par quelqu’un il y a déjà cent ans. »
Dans la seconde pièce, intitulée « Hortense a dit : ‘Je m’en fous!’ » l’auteur nous amène dans un ménage où la femme d’un dentiste terrorise un mari qui n’arrive pas à se défendre face à ce genre d’agressivité matrimoniale et déverse sa colère sur ses clients. Ce sont donc les pauvres malades qui, sur le fauteuil de dentiste, font finalement les frais de l’agressivité féminine. Hana Burešová a transposé cette pièce dans l’actualité :« Les réalités qui ont inspiré Feydeau ressemblent tellement aux réalités d’aujourd’hui qu’une importante adaptation de la pièce n’a pas été nécessaire. Dans la première pièce, c’est un peu plus compliqué, parce que certains accessoires situent l’action dans une période techniquement un peu arriérée.
Par contre la seconde pièce a pu être facilement transposée dans notre temps et nous voyons que la problématique est tout à fait la même. Les accessoires, les costumes ont changé mais les gens et leurs rapports restent pratiquement sans changement.»
Un siècle après leur création, les pièces de Georges Feydeau continuent donc à montrer comme sous une loupe notre incapacité au dialogue. Et elles nous proposent aussi une issue à cette impasse – le rire.