1968 ou l’avènement d’une génération anti-autoritaire, par-delà les frontières
1968, année zéro. Il y a du vrai dans ce titre du documentaire de Ruth Zylberman réalisé pour la chaîne franco-allemande Arte. A travers les témoignages de deux Français, une Allemande, une Italienne et côté tchèque, de Petr Uhl et Anna Šabatová, la réalisatrice place 1968 comme un pivot dans l’histoire contemporaine. Car les destins et les consciences de ces hommes et de ces femmes, dans leurs pays respectifs et avec leurs révoltes singulières, ont alors basculé. Ruth Zylberman qui présentait son film mercredi à l’IFP.
Pourtant, sachant tout cela et combien le Printemps de Prague a sa singularité et continuant à travailler cette question, je me rends compte de façon assez forte qu’il y a malgré tout l’avènement d’une génération, inscrite dans des contextes géopolitiques extrêmement différents, mais malgré tout une génération qui est celle de l’après-guerre, qui est marquée d’une manière différente par un idéal anti-autoritaire, par quelque chose qui est de l’ordre d’une volonté d’émancipation et d’être libre qui se manifeste de façon différente.
Mais il y a quand même un lien entre quelqu’un comme Adam Michnik en Pologne, Petr Uhl en Tchécoslovaquie ou Daniel Cohn-Bendit en France. Je ne cherche pas des similitudes de façon artificielle. Je reconnais les différences. A Paris, on traitait les jeunes étudiants du Printemps de Prague de révisionnistes. Ces malentendus parfois tragiques ont existé. Mais je pense qu’il y a un ferment de liberté d’une génération et que ce n’est pas un pur hasard que tout cela soit advenu dans le milieu des années 1960. »Vous interrogez ces personnes de cette génération 1968 quarante ans plus tard. Ces personnes ont-elles un point en commun aujourd’hui ? Sont-elles désabusées face à l’évolution de leurs pays respectifs ? Y a-t-il des réflexions sur la société actuelle, par le prisme de ce qu’ils ont vécu, qu’ils auraient en commun ?
« Vicky Franzinetti est italienne, c’est Berlusconi qui est au pouvoir. Yves Cohen et Jean-Paul Gitta ont Nicolas Sarkozy au pouvoir. Angela Merkel en Allemagne et qui nous savons en République tchèque. C’est évident que ce ne sont pas des gens qui sont en lien amical avec le pouvoir qui les représente. Je ne sais pas si on peut parler de gens désabusés. Ce qui les lie, et c’est ce que je voulais montrer, c’est un parcours politique. Je ne voulais pas seulement montrer ce qu’ils ont fait en 1968, je voulais montrer ce qu’ils sont devenus après 1968, après c’est un cheminement de renoncement, de questionnement, d’autocritique comme n’importe quel parcours humain. Ce qui est évident c’est que pour tous ces gens, il y a une même posture intellectuelle, politique par rapport au monde, qui est une posture d’interrogation. C’est quelque chose devant quoi ils n’ont pas abdiqué. Ils continuent, avec plus ou moins de force et de présence dans le débat public, d’interroger le monde dans lequel ils vivent. »
Avez-vous d’autres projets de documentaire en République tchèque ?
« Oui. Je suis en train de préparer un film qui est un projet que j’ai depuis longtemps, depuis des années. C’est une évocation de la dissidence en Europe centrale de 1956 à 1989, en Pologne, Tchécoslovaquie et Hongrie. C’est une histoire essentielle qu’on a eu parfois tendance à oublier, à remiser. Moi qui ne suis ni Tchèque, ni Polonaise, ni Hongroise, qui ai ce regard extérieur, je pense que c’est une histoire importante en tant qu’histoire de la lutte anti-totalitaire, du communisme et de sa chute. Mais c’est aussi une histoire importante existentiellement : comment on résiste ? Comment on résiste sur le long cours. Je prépare cela pour Arte, j’espère commencer à tourner en début d’année prochaine. J’ai déjà fait des repérages, j’ai déjà rencontré certaines de ces personnes, je suis ravie. J’espère pouvoir revenir à Prague pour présenter le film avec les protagonistes. »