Philippe Jaroussky : J’ai un peu le syndrome Magdalena Kožená
Récemment Prague a applaudi le contre ténor français Philippe Jaroussky venu chanter des œuvres de Jan Dismas Zelenka. A cette occasion le jeune et déjà célèbre chanteur a accordé un entretien à Radio Prague. Comme nous n’avons pas encore présenté cette interview dans son intégralité, je me permets exceptionellement de dépasser un peu les limites de cette rubrique littéraire et vous propose de l’écouter aujourd’hui. Bien sûr, il sera question avant tout du chant et de la musique, mais aussi de l’opéra donc du théâtre mis en musique. Et comme les pièces de théâtre et les livrets d’opéras sont également des genres littéraires, la littérature sera donc présente aussi dans cette rencontre avec cet artiste étonnant qu’est Philippe Jaroussky.
Aimez-vous chanter à l’opéra ? Il y a en vous aussi une espèce de comédien?
«Oui mais un comédien qui, au début, se sentait mal sur scène, parce qu’il n’en avait pas l’expérience. Pour moi, le monde de l’opéra est un monde qui parfois fait un peu peur. A l’opéra il y a énormément de contraintes. Souvent on accepte de faire un opéra sans connaître le metteur en scène. Au début, on a l’impression d’avoir beaucoup moins de liberté. On doit entrer dans un personnage, le metteur en scène et le chef d’orchestre nous donnent des indications, on répète pour les lumières, les décors et les costumes. C’est une société à part entière et on n’en est juste qu’un maillon. Les premières répétitions sont toujours une violence pour moi. Par contre, quand on arrive à la fin des répétitions et à la générale de l’opéra, je commence vraiment à sentir que l’opéra apporte énormément de choses à un chanteur. On travaille pendant deux mois à la même œuvre dont on en est complètement imprégné. Et du coup, quand on arrive sur scène, on a une telle expérience qu’on arrive à se surprendre soi-même. Je pense que l’opéra est aussi une école, une confrontation très fructueuse avec d’autres chanteurs et c’est très important.»
Y a-t-il des musiciens baroques tchèques qui vous attirent et que vous aimeriez chanter ?
«Oui, Mysliveček. Je ne le connais pas très bien mais je pense qu’il est Tchèque. Je ne connais pas bien sa carrière. Je ne sais pas s’il a beaucoup travaillé à Prague... »
Très peu parce qu’il s’est exilé encore dans sa jeunesse et a travaillé par la suite surtout en Italie, à Naples.
«Voilà, il a travaillé surtout en Italie mais on y trouve des particularités intéressantes. Ses opéras ont l’air formidable et sont complètement oubliés, il faut le dire.»
Vous vous trouvez à un moment de votre carrière où vous cherchez à élargir votre répertoire. Vers quels horizons aimeriez vous aller maintenant?
«Je viens tout juste de finir un enregistrement de mélodies françaises. Cela surprendra beaucoup de gens, je crois, parce que les gens vont dire : Debussy, Fauré, Chausson, Massenet, Saint-Saëns n’ont pas écrit pour contre-ténor. Je crois, qu’à l’instar du lied allemand, la mélodie française n’est pas un monde d’acrobatie vocale. C’est quelqu’un qui dit un poème en musique. Et si je me considère comme chanteur et non seulement comme contre-ténor je pense avoir le droit de le faire. Je voudrais aussi défendre ce répertoire qui a la particularité, comme celui de l’âge baroque, d’être immense et où il y a plein d’œuvres inconnues. Donc, j’ai fait un peu la démarche baroque dans ce répertoire-là. C’est également un monde très intime. J’aime beaucoup le rapport piano-voix. Et j’ai prévu beaucoup de concerts de ce répertoire pour l’année prochaine.
Je ferais également des créations contemporaines dont un opéra autour de Caravage composé par Suzanne Giraud et récemment j’ai crée un cycle de mélodies de Marc-André Dalbavi. Puis j’ai aussi l’intention de m’intéresser justement à l’époque un peu oubliée entre la musique baroque et Mozart où il y a énormément de compositeurs qu’on dit galants, compositeurs d’opéra séria Traetta, Jomelli, Johann Christian Bach. J’ai donc le projet de faire un disque consacré à l’opéra séria de Johann Christian Bach qui a composé sur tous les grands livrets de Métastase (Artaserse, Alessandro nell’India, Catone in Utica, etc.) Ce sont de très belles choses et des compositeurs qui ont été très importants dans l’histoire de la musique, comme Paisiello. Tous ces compositeurs ne sont pas tellement joués parce qu’on a peur du côté un peu galant de leur musique. Mais il y a des choses extrêmement fortes. Je pense à cette capacité de faire de grandes scènes dramatiques. J’ai découvert cette période avec le disque magnifique que Cecilia Bartolli a consacré au jeune Gluck. Ce disque montre que Gluck n’a pas attendu Orfeo pour être génial. Il y a une partie de son œuvre qui a été oubliée. Et c’est une musique qui a une fraîcheur d’inspiration, une force particulière et aussi une orchestration qui va souvent plus loin que la musique baroque et amène justement Mozart.»
Parmi tous ces noms des auteurs que vous chantez il y en a un que vous avez oublié, le nom de Reynaldo Hahn. Pourquoi ce compositeur un peu oublié, qui était, si je me rappelle bien, ami de Marcel Proust. Quelles sont les qualités de sa musique?
«Oui, j’ai oublié Reynaldo Hahn qui sera beaucoup dans le disque. Pourquoi Reynaldo Hahn ? Pour moi c’est le Vivaldi de la mélodie française. Avec quelques notes, deux ou trois notes égrenées au piano, quelques notes chantées, il provoque un charme qui agit beaucoup sur le public. Je suis grand fan d’Ernest Chausson et de Gabriel Fauré, mais quand je fais le récital de mélodies françaises, je sais bien que le public tombe complètement sous le charme des mélodies de Reynaldo Hahn comme ‘A Chloris’ ou ‘L’Heure exquise’ et sa capacité de créer d’un rien un monde extrêmement simple, extrêmement évident. J’ai eu très vite l’impression que Reynaldo Hahn correspondait plus à ma voix que d’autres compositeurs comme Poulenc ou Duparc que j’ai refusés de chanter. C’est un compositeur qui avait une voix assez légère. Il est très intéressant de l’écouter. Il y a des enregistrements de Reynaldo Hahn qui chante en s’accompagnant au piano et c’est très agréable de voir à quel point s’est juste dit, comme de la chanson française. Et c’est ça qui fait son charme un peu début de siècle.»
Avez-vous constaté une évolution de votre voix ? Votre voix évolue-t-elle et dans quel sens?
«Au début j’étais très complexé de cette voix très aigue et très légère, ce qui a fait qu’au bout de quelques années j’ai voulu chanter le plus grave possible, je voulais essayer de travailler le ‘sens opposé’. Je pense que j’arrive petit à petit à un équilibre. Ma voix a gagné dans le médium, en profondeur et en chaleur, pas forcément en puissance. Et curieusement, je trouve qu’elle n’a pas perdu tant que ça d’aigus. Donc j’ai un peu le syndrome Magdalena Kožená. Je ne le dis pas parce que c’est une chanteuse tchèque mais parce qu’on est un petit peu entre deux voix. Je sais que Magdalena Kožená a beaucoup chanté des parties d’alto, puis elle a chanté Cléopâtre dans ‘Jules César’ de Haendel. Elle chante donc des choses très différentes. Sans me comparer à elle, je vais dire que j’ai aussi le même problème. Par exemple le programme Zelenka est plutôt un programme alto, mais dans deux ans je vais chanter Nerone dans ‘L’Incoronazione di Poppea’ (Monteverdi) et j’aurais d’autres engagements plus ‘sopranisants’. C’est donc un réglage constant qui doit se faire mais j’ai l’impression quand même que les deux parties de ma voix se raccordent. Idéalement, il faut que ce soit la même voix. Je crois, en tous cas, qu’une certaine sérénité s’installe dans mon travail technique.»