George Ripka : dans les pays de l’Est, la physique a été bien enseignée
Nous vous proposons d’écouter la deuxième partie de l’entretien réalisé avec George Ripka, par notre collaborateur, Bertrand Schmitt. Il y a une semaine, ce dernier vous a raconté les péripéties de son père Hubert Ripka, journaliste et homme politique tchécoslovaque qui a réussi à fuir le pays, avec l’aide des services secrets français, après le putch communiste qui a eu lieu en Tchécoslovaquie en février 1948. Il reviendra encore une fois à ce départ dramatique et évoquera les souvenirs de ce qu’il avait lui-même à vivre, après avoir rejoint son père en exil.
Une fois que vous êtes arrivés en France, vous y avez retrouvé votre père et puis vous êtes partis pour les Etats-Unis. Pourquoi ce départ?
« Pourquoi pas ? Je ne sais pas très bien comment vous répondre, je ne connais plus la cause de ce départ, mais beaucoup d’émigrés sont allés aux Etats-Unis. Mon père a passé six mois en France où il a été logé chez un éditeur qui lui a demandé de décrire les événements de Prague. Il a donc écrit ce livre et ma mère l’a traduit en français immédiatement. Ce livre est d’ailleurs paru après 1990. «
Aux Etats-Unis vous avez continué vos études et vous êtes ensuite devenu un physicien connu, reconnu… Lors de vos travaux, de vos recherches, vous avez rencontré plusieurs scientifiques qui étaient venus de Tchécoslovaquie ou d’autres pays d’Europe de l’Est. Quelle impression aviez-vous à travers eux de ce qui se passait de l’autre côté du rideau de fer?
« Ma mère est revenue en Europe en 1955, parce que mon père avait été accusé par des Tchèques et des Slovaques de sympathies avec les communistes pendant la période McCarthy. Il a été tellement dégoûté qu’il a quitté les Etats-Unis ce qui a causé le retour de ma famille en Europe. Et comme j’étais citoyen français, c’était naturel pour moi de finir mes études de physique nucléaire en France et j’ai travaillé toute ma vie au service d’études théoriques… A l’époque, je n’avais aucun rapport avec les physiciens tchèques, mais j’ai commencé à les rencontrer quand on m’a chargé de m’occuper de la physique nucléaire au centre de Trieste qui dépensait la moitié de son budget aux pays en développement. Les pays de l’Est ont été considérés comme les pays en développement. Les physiciens tchèques obtenaient les visas beaucoup plus facilement pour aller à Trieste que pour aller dans des laboratoires étrangers. J’ai commencé à les connaître, j’ai connu les physiciens de Prague. Ils avaient fait des visites assez régulièrement dans des laboratoires de Dubna au nord de Moscou. »
En 2002, vous avez publié un ouvrage qui s’appelle Vivre en savant sous le communisme dans lequel vous avez réuni un nombre d’entretiens des chercheurs, des savants et des scientifiques des anciens pays communistes.
« J’ai cru que étant donné que nous n’étions pas loin de la chute du rideau de fer, les témoignages étaient intéressants. J’avais la possibilité d’en connaître un très très grand nombre, d’autant qu’ils émigraient en masse, à l’époque. Ces témoignages n’ont pas une valeur statistique, mais ils racontent le vécu, la qualité de l’enseignement de la physique. Les communistes ont fait beaucoup de choses abominables, mais on oublie que la physique a été bien enseignée. Et il est vrai aussi que les physiciens ont été assez bien protégés dans le régime communiste, dans une certaine mesure. »