La Clemenza di Tito, drame de l'amour, de l'amitié et de la trahison
C'est par deux premières, samedi et mardi derniers, que l'opéra La Clemenza di Tito de Mozart est revenu au répertoire du Théâtre des Etats à Prague, le même où cette oeuvre avait été donnée en première audition sous la baguette de l'auteur déjà en 1791.
Un immense tube d'une blancheur impeccable, un laboratoire stérilisé où l'on dissèque les passions humaines, un tunnel menant vers une issue fatale - c'est ainsi que se présente la scène créée pour ce spectacle par le scénographe allemand Karl -Ernst Hermann. C'est dans ce cadre géométrique et aveuglant que se déroule l'histore d'un homme puissant qui a été trahi par ses amis. L'histoire de l'empereur romain Titus Flavius est dépouillée ici de ses attributs historiques. La mise en scène de Ursel Hermann et les costumes situent l'action plutôt dans notre temps et donnent aux conflits des personnages un caractère intemporel. La seule allusion à la Rome impériale sont les deux couronnes de lauriers pour l'empereur et l'impératrice, attributs du pouvoir qui jouent un important rôle symbolique dans le spectacle. Cet espace froid et stressant qui souligne l'action scénique, permet de s'épanouir à la musique de Mozart excellemment servie par le chef Alessandro de Marchi et l'orchestre du Théâtre national transfiguré pour cette occasion. Alessandro de Marchi explique ses intentions :
«Bien que nous jouions d'instruments modernes, nous utilisons symboliquement aussi quelques instruments historiques. Nous avons donc dans l'orchestre un hammerklavier et des timbales baroques. J'ai aussi bien réduit le nombre des musiciens de l'orchestre. J'ai tâché par tous les moyens possibles de parvenir à réveiller musicalement la partition, pour en faire plutôt une musique de chambre au lieu d'une musique symphonique. Tel a été mon objectif. »
Le chef d'orchestre a pu s'appuyer sur un plateau de bons chanteurs qui avaient déjà excellé dans les mêmes rôles devant le public de grands théâtres étrangers. Le rôle de Vittelia, héroïne perfide qui est au coeur des conflits psychologiques de l'opéra, a été confié lors de la première de ce samedi à la Polonaise Elzbieta Szmytka qui a donné à son personnage le physique et la souplesse séduisante de femme fatale. Un seul regret : sur le plan vocal elle est souveraine dans les aigues, mais son registre de poitrine manque de force. Le rôle de Titus, monarque qui pardonne généreusement aux conspirateurs qui voulaient le tuer, a été campé par le ténor allemand Johannes Chum, un jeune homme élancé qui a donné à son Titus une voix suave mais capable de se raffermir et de se hérisser d'accents poignants dans les scènes dramatiques. Il a évoqué par ses termes le travail sur son rôle :
« Ce qui est important dans cette production ce n'est pas Titus, mais les rapports entre les personnages et leurs sentiments, la naissance d'une amitié et d'une trahison. Mozart a réussi à mettre tout cela dans cette oeuvre. C'est pourquoi je pense que dans cet opéra il n'y pas de musique ancienne mais une musique moderne. J'ai chanté Titus trois fois, à Berlin, à Salzbourg et à Edimbourg, mais ici à Prague, l'endroit où nous travaillons est marqué par le génie. Certes, le théâtre a été restauré et il n'est plus tout à fait comme au XVIIIe siècle, mais nous cherchions à nous adapter à ces conditions. Ici, on sent une atmosphère spéciale, la présence de Mozart et cela nous a inspiré une grande performance. »
Cependant, c'était sans doute la cantatrice américaine Kate Aldrich dans le rôle de Sesto, homme que l'amour aveugle conduit à la trahison et à l'attentat contre l'empereur, son meilleur ami, qui a été la vedette de la soirée. Sa voix opulente et agile a su exprimer à merveille le terrible combat intérieur, la lutte entre l'amour et l'amitié, qui bouleverse ce personnage.
(Rappelons dans ce contexte que le rôle de Sesto a été chanté à plusieurs reprises et avec succès par la cantatrice tchèque Magdalena Kozena. Sur son dernier disque consacré entièrement au répertoire mozartien elle a osé cependant enregistrer le rondeau de Vitellia, rôle qui ne correspond pas tout à fait à sa tessiture. Le résultat est néanmoins remarquable.)