Adolf Branald, un témoin du XXe siècle
« J’ai eu la chance exceptionnelle de vivre en compagnie de gens qui contribuaient à créer l’esprit, le style et la couleur de leur époque, » constatait l’écrivain Adolf Branald (1910-2008) vers la fin de sa longue vie. Né sous l’empire d'Autriche-Hongrie il y a tout juste 110 ans, il a vécu tous les grands tournants historiques du XXe siècle qui se sont reflétés dans son œuvre littéraire d’une abondance stupéfiante.
L’homme de nombreux métiers
Adolf Branald est un homme de nombreux métiers qui lui ont fait connaître de diverses facettes de la vie. Avant de se consacrer entièrement à la littérature, il a été cheminot, télégraphiste, vendeur, pianiste de cinéma, agent commercial, libraire, employé de banque et porte-parole de la direction de la Société des chemins de fer. Pourtant, les antécédents familiaux et les circonstances de sa jeunesse prédestinaient le futur écrivain à devenir homme de théâtre. C’était une jeunesse nomade pleine d’impressions et d’aventures qui allait devenir pour lui une abondante source d’inspiration :
« Mon père était comédien et metteur en scène et ma mère, elle aussi, était comédienne, mais ils étaient des comédiens assez particuliers, des comédiens ambulants. Ils sillonnaient la Bohême et la Moravie et ils jouaient du théâtre partout où c'était possible, dans des villages, des auberges, des salles de gymnastique, etc. Mon père jouait cependant aussi dans de grands théâtres stables mais il était un homme insouciant, d'une insouciance qui ne manquait pas de charme, et lorsqu'il a eu, par exemple, une toute petite dispute avec quelqu'un au grand théâtre de Vinohrady à Prague, il est rentré à la maison et a dit à ma mère : ‘Márinka, on fait les bagages.’ Et ils sont repartis à la campagne et ont continué à jouer. »
Il va de soi que le petit Adolf Branald subit lui aussi la séduction des planches et de la vie d’artiste. Il campe des rôles d’enfant au théâtre, il joue également au cinéma. On lui confie même des rôles principaux dans des films et il devient un enfant star. Plus tard, il écrit avec son père des pièces de théâtre et pourtant le théâtre ne sera pas finalement sa vocation :
« Il ne m’est jamais venu à l’idée d’être écrivain. Je voulais devenir comédien et mon père le souhaitait aussi. Je le voyais campant de beaux rôles comme celui de Danilo dans la Veuve joyeuse, un bel homme séduisant de belles femmes. Mais ma mère connaissait très bien les défauts du métier de comédien et elle m’a convaincu d’abandonner cette idée. Je me suis donc inscrit dans une école de commerce et je suis devenu ce que je suis devenu, c’est-à-dire un homme qui a exercé de nombreux métiers. »
Un cheminot qui écrit
Adolf Branald n’apprécie pas tous ces métiers de la même façon, il y a des professions qui lui répugnent et même son travail de cheminot lui pose des problèmes parce qu’il est, comme il le dit lui-même, ‘anti-technicien’. Quoi qu’il en soit, c’est pendant la période où il est employé des chemins de fer que naît sa vocation littéraire et qu’il commence à écrire son premier roman intitulé La Perruque d’argent :
« J'ai commencé à écrire ce livre lorsque je travaillais comme chef d'une gare de Prague. Vous pensez peut-être que ce sont deux métiers incompatibles - comédien et chef de gare. Ils ont pourtant beaucoup de traits communs parce que les troupes ambulantes voyagent à travers le monde et les comédiens ne savent pas où ils joueront le soir. Quant au chef de gare, il a l'impression d'avoir sous la main les voies ferrées du monde entier et il lui semble donc que le monde entier lui est ouvert. »
La Perruque d’argent
La Perruque d’argent est une saga mettant en scène trois générations d’une famille de comédiens qui couvre une période allant depuis la moitié du XVIIIe siècle jusqu’en 1915. Les membres de cette famille se consacrent au théâtre malgré l’avenir incertain et les privations de toutes sortes que leur vie nomade leur inflige. C’est un combat constant pour obtenir les faveurs du public mais aussi tout simplement pour gagner la vie. En écrivant ce livre Adolf Branald a largement puisé dans sa connaissance intime du milieu théâtral :
« Je suis un enfant de comédiens. Et c'est probablement pour cette raison que mon premier livre évoquait le milieu de théâtre. Evidemment, à ce moment-là, je ne savais pas encore que je serais écrivain. Je voulais seulement ériger un petit monument aux troupes de théâtre ambulantes dans lesquelles j'avais vécu pendant une grande partie de ma jeunesse. »
Le roman paraît en 1947 et il est le premier d’une longue série de livres dans lesquels l’écrivain marie la réalité avec la fiction et qu’il écrit avec une connaissance remarquable du milieu et des réalités de l’époque. Parmi les héros de ses livres il y a souvent des hommes qui aiment leur travail et le considèrent comme leur véritable vocation. L’ancien cheminot profite de ses expériences pour écrire entre autres deux romans ferroviaires. La Gare du nord (1949) et Le Train sanitaire (1950) sont des livres dans lesquels il évoque le charme caché du travail des employés des chemins de fer et leur héroïsme discret au cours de la Deuxième Guerre mondiale.
Grand-père automobile
En 1955, Adolf Branald publie un conte qui deviendra son livre le plus populaire. Dans la nouvelle Grand-père automobile il raconte les exploits des premiers automobilistes et l’amour d’un jeune mécanicien tchèque pour une belle Française. Le livre remporte un vif succès et est porté à l’écran par le réalisateur Alfred Radok avec des acteurs tchèques et français. Dans le roman La Visite (1967), l’écrivain raconte la vie des médecins et des malades d’un hôpital. Le livre Le Coffret de maquillage (1960) évoque l’histoire de la famille de l’écrivain et ses souvenirs d’enfance. Une autre source de sujets pour sa création est l’histoire du théâtre. Il est impossible de mentionner ici tous les livres publiés par cet auteur prolifique.
La sincérité et la perfidie
En 1948, Adolf Branald adhère au Parti communiste de Tchécoslovaquie mais après l’invasion des troupes soviétiques en août 1968, sa conscience ne lui permet plus de rester membre d'un parti qui approuve l’occupation de son pays. Il quitte le parti communiste en 1969 et c’est un acte de liberté qui ne sera pas sans conséquences. Pendant les années 1970, le romancier est interdit de publication. L’écrivain a rompu avec son parti politique pour pouvoir rester fidèle à lui-même. Il dit :
« J'ai beaucoup d’estime pour la sincérité et je déteste la perfidie parce que la perfidie fait beaucoup de mal. Je crois qu'un homme sincère peut aider les autres déjà parce qu'il est sincère, parce qu'il dit la vérité, parce que vous n'êtes pas obligé de vous contraindre, de vous forcer, de mettre un masque devant lui. »
Témoin de son temps, Adolf Branald finit par exploiter progressivement la majorité des sujets que lui offre sa longue vie. Dans ses livres il revient plusieurs fois encore à ses souvenirs et il fait revivre aussi plusieurs personnalités du théâtre tchèque. Dans d’autres ouvrages, il évoque Prague, ville où il vit et qu’il aime infiniment.
Le Compagnon tacite
Pendant toute son existence, l’écrivain est encouragé et inspiré dans son travail par ses amis parmi lesquels on trouve quelques-uns des plus grands artistes tchèques de son temps. Lié par l’amitié avec les peintres Kamil Lhoták et Cyril Bouda, l’écrivain Bohumil Hrabal et les poètes Jaroslav Seifert et František Hrubín, Adolf Branald leur consacre une partie importante de ses textes de la dernière étape de sa vie. Il évoque ses amitiés aussi dans le livre de souvenirs Le Compagnon tacite (2005) qui paraît trois années avant sa mort. L’auteur lui-même prend ici le rôle de ce compagnon qui sait se taire quand les autres parlent, qui leur prête une attention amicale et qui cherche à les comprendre pour entrer dans leur intimité et brosser leurs portraits littéraires. Maître dans l’art d’écrire, il donne une leçon sur l’art de l'écoute. Presque centenaire, il peut se retourner avec satisfaction sur l’œuvre de sa vie. Il peut exprimer aussi sa reconnaissance à ses amis qui l’ont inspiré et aux lecteurs qui ont lu ses livres :
« Je voudrais remercier symboliquement tous mes lecteurs qui m'ont accordé leur confiance pendant plus d’un demi-siècle. Je n’ai aucun message à ajouter, j’ai tout dit. C’était beau et c’en est assez. Il faut seulement encore leur dire : C’était beau aussi grâce à vous. Merci. »